Différentes civilisations, une même discipline qui scrute le naturel et tend vers le sacré. Pour comprendre les origines de la science du vivant.

Une histoire de la biologie dans l’antiquité est-elle possible? C’est la question qu’on est en droit de se poser à la lecture du titre de cet ouvrage. La notion actuelle que recouvre la biologie, science du vivant dans ses aspects les plus microscopiques –voire génétiques–, masque le fait que cette discipline est et fut consacrée pendant longtemps aux sciences naturelles. Dans ce dernier sens, le titre de l’ouvrage apparaît donc justifié, mais en revanche, comme on le verra, le domaine embrassé dépasse largement la biologie puisque les différentes cultures, les religions, l’astronomie, les mathématiques, et bien d’autres sciences sont évoquées tour à tour.

L’auteur aborde, dans l’ordre, les temps préhistoriques, la Mésopotamie, l’Egypte antique, l’Inde antique, la Grèce antique, la Chine antique. Il est intéressant de noter la présence de la Chine et de l’Inde qu’on ne s’attend pas à trouver dans ce type d’ouvrage généralement occidentalo-centré. L’ouvrage étant assez volumineux   , les parties qui leur sont consacrées sont importantes et fort bien venues. Le plan de l’auteur est clair, et dans chaque chapitre on retrouve une présentation de la culture et des autres sciences avant d’en venir à l’histoire de la biologie ou de la médecine. Les citations sont très nombreuses et la présentation souvent d’une remarquable clarté.

Le début de l’ouvrage est consacré aux temps préhistoriques, permettant ainsi d’aborder les débuts de l’agriculture, de l’élevage, la taille de la pierre et bien d’autres sujets –dont la trépanation– sur lesquels d’intéressantes réflexions sont faites. Pourtant, entre l’étude des temps préhistoriques et les temps historiques, il manque un chapitre qui aurait pu être consacré à l’origine de la médecine, pour être plus clair quant à la question de savoir comment les hommes ont découvert les remèdes pour se soigner ; qui parcourt les ouvrages consacrés à ce domaine en France au vingtième siècle n’en verra jamais trace… Tout au plus parle-t-on de découverte empirique. Mais sur le fond, jamais personne ne s’est jamais posé la question de la faisabilité, de la vraisemblance de cette assertion. Nous en reparlerons plus bas...


Non Sequitur : le lien signe-événement

La Mésopotamie est la première civilisation abordée ; l’auteur présente sa médecine à la fois par ses côtés divinatoires et par sa pharmacopée. Il affirme   : "De la lecture de ce traité médical, vieux de 5000 ans peut-être, il est permis de conclure que, malgré les contraintes de la tradition divinatoire ou magique, totalement irrationnelles, la médecine akkadienne a laissé (progressivement, sans doute) les données de l’observation et de l’expérience prendre le pas sur les explications surnaturelles." Il serait plus juste d’attribuer un peu plus de 3000 à ce texte. Sur la question de l’irrationalité, il est souhaitable de se rappeler qu’en raison de leur vision du monde imprégnée de religion où tout était message des Dieux, les Assyro-babyloniens ont accumulé des observations et des connaissances énormes, d’une manière presque obsessionnelle. La divination est basée ainsi sur l’observation et l’utilisation d’archives qui serviront ensuite à établir le sens.

Si, par exemple, on observe une anomalie remarquable au niveau du foie d’un animal sacrifié et qu’un événement également remarquable survient juste après, on se croit fondé à établir un lien de causalité, ou, pour être plus exact, un lien signe-événement car on n’imagine pas un instant que le foie anormal n’ait pu être la cause de l’événement postérieur. Dans cette culture, on voit apparaître deux faits majeurs qui influenceront profondément la nôtre par l’intermédiaire de la Grèce et du Judaïsme : le rapport entre faute (surtout rituelle) et la maladie d’une part, et d’autre part la prolifération de l’écriture et l’accumulation de connaissances encyclopédiques. Tout comme les autres, ce chapitre bénéficie d’une bibliographie, mais celle-ci est essentiellement constituée de livres français, et plutôt anciens. On n’y trouve pas Diagnoss in Assyrian and Babylonian : Ancient Sources, Translations, and Modern Medical Analyses, de J. Scurock & R. Andersen, ouvrage monumental et récent sur le sujet. Pour l’Egypte, la présentation est également bien faite, beaucoup de textes sont largement cités – l’auteur voit dans les textes les plus anciens, ce qui n’est pourtant pas évident, car les papyrus Edwin Smith et Ebers en sont très pauvres et plutôt consacrés à l’observation traumatologique pour le premier et la pharmacopée pour le second.

Cette idée de culture se dégageant de la magie pour arriver à la raison est répandue partout mais ne paraît pas vraiment fondée dans l’état actuel de nos connaissances sur l’Egypte. La bibliographie ignore les ouvrages allemands récents et nombreux parus sur le sujet.


Et l'acupuncture?

L’auteur aborde ensuite l’Inde, puis la Grèce. Ce dernier chapitre, fort long, aborde les différentes époques, Hippocrate, Aristote et l’époque hellénistique. Ils se révèlent très intéressants et une excellente introduction à la connaissance de la médecine antique. L’auteur montre bien comment les graves lacunes dans la connaissance scientifique –notamment l’anatomie– sont des freins majeurs à l’avancée des connaissances, et aussi comment les théories, notamment celle des humeurs, des souffles et des esprits sont finalement peu productives : elles vont ensuite arriver à bloquer les progrès médicaux en occident, et ce pour des siècles.

Le chapitre consacré à la Chine est très développé sur la culture et les religions chinoises mais très succin sur la médecine chinoise. L’acupuncture occupe une page et la pharmacopée chinoise trois fois mois, alors que toute une page est consacrée à une gravure montrant les méridiens. La conclusion de ce passage se termine par ces phrases : "On constate empiriquement que certains points cutanés, toujours les mêmes, deviennent douloureux en cas de troubles de fonctionnement d’un organe donné. L’excitation de ces points par les aiguilles peut amener un certain soulagement. Beaucoup de médecins occidentaux pensent que l’acupuncture n’agit sur le patient que par suggestion". Et on a presque l’impression que c’est l’opinion de l’auteur.


Un livre "trop" rationnel?

En conclusion, il s’agit d’un ouvrage intéressant, que l’on conseillera vivement aux étudiants en médecine, notamment quand ils suivent des cours d’histoire de la médecine ; il peut cependant plaire à tous les étudiants, ainsi qu’au public intéressé par ces sujets. Les réserves liées au caractère assez rationnel –voir rationaliste– de l’auteur sont finalement assez mineures, toutefois on regrette que les thèmes des influences relatives des différentes médecines entre elles ne soient pas développés : dommage que l’influence de l’Inde sur les médecine occidentales, de l’Egypte et de la Mésopotamie sur la Grèce, et que la question relative à l’origine de la médecine ne soit pas évoquées. Pour ce dernier sujet, on se reportera au récent livre de J. Narby Intelligence dans la nature et à son livre plus ancien Le serpent cosmique qui ouvrent des perspectives assez vertigineuses !


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Crédit photo : C. Fraser / flickr.