Une étude minutieuse et novatrice qui redonne toute leur ampleur à l’idéal de paix et à son long processus d’élaboration.

À la lumière des négociations du traité du Cateau-Cambrésis (1559), Bertrand Haan livre une analyse fine et documentée sur l’élaboration d’une paix au XVIe siècle. Heure par heure, les discussions, tractations, coups de maître et autres déconvenues sont relatés en lien avec les idéaux qui sous-tendent la diplomatie à l’époque moderne. Il ne s’agit pas pour l’auteur de faire un simple compte rendu évènementiel des dernières heures des guerres d’Italie et de leur conclusion, mais plutôt de comprendre les mécanismes qui donnent lieu à la réalisation de l’idéal de paix entre princes chrétiens. Bertrand Haan se propose d’étudier la paix comme un absolu, un devoir, un idéal, mais aussi comme une pratique juridique, sociale, politique et diplomatique. Ainsi, l’ouvrage tout en portant sur une période très resserrée, autour des années 1551-1559, envisage une réflexion plus large à la fois sur les représentations de la paix dans la deuxième moitié du XVIe siècle et sur les relations entre souverains. L’auteur le souligne, considérer le traité du Cateau-Cambrésis comme une paix est déjà un parti pris. Véritable césure dans l’histoire européenne, sa signification reste extrêmement polémique. Il marque tout autant un coup d’arrêt aux guerres d’Italie, un basculement dans les guerres de Religion et que l’entrée dans une ère de prépondérance espagnole et de diplomatie confessionnelle. Les deux grands du XVIe siècle, le Roi Catholique et le Roi Très Chrétien, ont imposé, par sa conclusion, un nouvel ordre à leurs alliés et à l’Europe entière. Afin de comprendre toute l’ampleur et la signification de cette paix, Bertrand Haan fait appel à une documentation très importante, notamment en ce qui concerne le traité lui-même puisqu’il a étudié l’ensemble des projets qui lui ont permis d’exister : le corpus regroupe plusieurs exemplaires du traité ainsi que les projets préparatoires. Le propos suit l’avancée chronologique des négociations en trois grandes parties : un duel entre la paix et l’hégémonie, négocier la paix et les mystères d’une réconciliation.

La paix du Cateau-Cambrésis est envisagée comme un long processus dont l’affrontement, qu’il soit guerrier ou diplomatique, est un constituant à part entière. De 1551 à 1558 les relations entre le roi d’Espagne et le roi de France sont dominées par la lutte armée, mais comme le souligne l’auteur jamais le dialogue n’est totalement interrompu. Dès les premières campagnes de 1551 des   «démarches exploratoires » sont amorcées afin de commencer à préparer la paix. Elle est le fruit d’une œuvre de longue haleine menée par les représentants des deux camps. Rien ne doit être laissé au hasard car les souverains mettent à l’épreuve leur honneur et leur réputation à la fois lors du conflit et de son règlement. Entre Charles Quint (1519-1556) et Henri II (1547-1559), puis entre Philippe II (1556-1598) et Henri II la rivalité est intense. Leur lutte se cristallise autour de la conquête de l’Italie et l’affrontement prend vite l’allure d’un duel dont chacun veut retirer la prééminence en Europe. Les premières années de guerre tendent à prouver que l’empereur n’est pas si invulnérable qu’il n’y paraît, néanmoins aucun des deux protagonistes n’est prêt à réduire l’ampleur de ses prétentions. Le dialogue reste discret sans jamais être rompu, il s’intensifie à partir de 1553 sous l’influence de la diplomatie pontificale qui s’érige en porte-étendard de la paix. Le fait que l’affrontement armé ne se révèle décisif pour aucun des deux camps ne favorise pas une attitude de conciliation. La conférence de Marck (1555) se termine ainsi par un échec à trouver un accord. Bertrand Haan évoque une  "paix avortée" qui ne réussit à trouver qu’une solution provisoire : une trêve ou paix à exécution différée. Charles Quint en retardant la tenue de la réunion et Henri II en écourtant la rencontre soulignent l’impossibilité de trouver un terrain d’entente pour le moment. L’accord de Vaucelles en 1556 ne fait que ralentir le processus guerrier sans véritablement trouver de solutions envisageables par les deux souverains. La trêve est encore une fois imparfaite et temporaire, mais elle représente une ouverture vers la paix. La passation de pouvoir de Charles Quint à Philippe II rend les négociations moins tendues. En effet, Philippe II apparaît moins menaçant et belliqueux que Charles Quint, rival traditionnel de François Ier puis d’Henri II. La trêve ne fait néanmoins pas long feu puisque très vite Henri II s’implique à nouveau dans les affaires italiennes. Au début de l’année 1557, un nouveau conflit européen débute donc avec une extrême dureté. Henri II est mis en difficulté et perd Saint Quentin face à Philippe II. Le prestige du souverain français s’en trouve grandement diminué et la prise de Calais, en 1558, ne parvient pas à contrebalancer totalement son échec. L’entrevue de Marcoing, quant à elle, est révélatrice du nouveau rapport de force qui s’instaure après ces deux batailles décisives. Les diplomates français font preuve de moins d’arrogance dans leurs prétentions et l’équilibre qui s’installe est bien plus propice à l’ouverture de négociations que lors des années précédentes.

Le concept de paix est, au XVIe siècle, inextricablement lié à celui de justice. La paix n’exclut pas le recours aux armes, elle doit rétablir l’ordre et la concorde, obtenir la réparation des torts et injures reçues, prononcer une amnistie et effacer  "les causes d’inimitié" entre les protagonistes. De par les nombreux conflits territoriaux et l’enjeu symbolique qu’elle implique, la paix ne peut se faire qu’au cours d’un congrès de diplomates long et tortueux. Il faut quatre mois de longues négociations pour aboutir au traité du Cateau-Cambrésis. Tout est négocié. Ainsi, les lieux retenus pour son déroulement, l’abbaye de Cercamp (du 12 octobre au 26 novembre 1558) et le Cateau-Cambrésis (du 10 février au 3 avril 1559), sont choisis pour l’équidistance qu’ils représentent entre les deux camps, leur neutralité et leur sécurité. Tout écart au respect de l’égalité entre les princes est un aveu de faiblesse. Des dispositions sont prises pour faire aboutir les négociations : le faste est réduit pour ne pas donner lieu à d’incident diplomatique, les interventions extérieures sont limitées et la Lorraine est choisie comme médiatrice. L’organisation de la rencontre est en elle-même révélatrice de la volonté de trouver un accord. Trois grandes questions sont évoquées : le sort de Calais, celui des territoires dominés par les deux souverains en Italie et la restitution des places picardes. Henri II fait preuve de bonne volonté afin de conserver Calais. C’est dans les derniers moments des négociations que l’affaiblissement français est visible. Pour sceller la réconciliation, au cours de la rédaction définitive des articles du traité, le royaume de France offre à Philippe II la main d’Élisabeth de Valois en gage de réconciliation. La lutte diplomatique des derniers instants laisse entrevoir deux styles bien particuliers de diplomatie, donnant l’avantage à la constance de Philippe II. Face aux lourdes concessions d’Henri II, le traité s’avère quelque peu déséquilibré. Néanmoins, la restitution de Calais au royaume de France pour huit ans ainsi que d’autres  «avantages discret » rendent la paix viable. Symboliquement le désir de paix des deux souverains participe de leur honneur et ouvre la voie à des relations pacifiques.

Si la situation financière terrible qu’engendre la guerre et la naissance de graves troubles internes aux deux monarchies furent des facteurs importants dans la décision de chaque souverain de se rapprocher, il ne faut pas négliger l’importance de leur désir de nouer des liens entre eux. Bertrand Haan insiste sur la sincérité du lien d’amitié qui s’établit entre les protagonistes. Les traités de paix des XVIe et XVIIe siècles créent un lien d’amitié entre les signataires. Il s’agit du mode de relation favorisé lorsqu’ils ne sont pas en guerre. Ainsi, il ne faut pas négliger le choix personnel et politique que font les souverains lorsqu’ils choisissent de régler le conflit et d’opérer un rapprochement   . L’auteur s’attaque à un autre préjugé concernant la paix du Cateau-Cambrésis, celui de la création d’une alliance catholique contre l’hérétique entre les rois d’Espagne et de France. En effet, face aux divisions religieuses qui éclatent dans les deux royaumes à la même époque, l’attitude des souverains se durcit à partir de 1557. Certains historiens voient donc dans la paix conclue au Cateau-Cambrésis la constitution d’un front catholique uni. Cette thèse est mise à mal par l’auteur qui souligne l’autonomie des deux politiques adoptées dans chaque monarchie. De plus, le roi de France ne veut pas s’engager sur le terrain religieux afin de conserver ses liens avec la Sublime Porte. Polémique, le traité du Cateau-Cambrésis est ici recontextualisé sans jamais de surinterprétation intentionnaliste ou téléologique.

"Une lutte pour la suprématie : cette formule suffit à résumer le différend opposant les deux grandes monarchies européennes dans les années 1550", selon Bertrand Haan, l’honneur donne sa direction à la guerre mais aussi aux négociations de paix. Si la paix est l’idéal ultime, elle ne s’obtient que dans une longue lutte diplomatique où chacun veut augmenter son capital d’honneur. En 1559, les souverains entendent signer une paix durable scellée par l’amitié instaurée entre eux. Bertrand Haan livre ici un travail minutieux et novateur sur des négociations souvent négligées et dévaluées par l’Histoire. L’édition du traité principal, d’un traité particulier ainsi que de plusieurs articles séparés, donne encore plus de force au propos et rend le lecteur plus familier à la forme du traité.