Le Front National a une nouvelle présidente, élue à 67 % des voix, et déjà créditée de 18 % dans les sondages présidentiels pour 2012. Le Front National a aussi un nouveau discours. Simple replâtrage intellectuel ou renouveau idéologique ?

 

 

Derrière les sondages, le show à l'américaine de Tours et la polémique sur le journaliste de France 24 passé à tabac, on a peu parlé ces derniers jours du fond du discours de Marine Le Pen ce dimanche. Pourtant, celui-ci, long de plus de 50 minutes, pourrait marquer un tournant idéologique, une modernisation du socle intellectuel et un renouveau des idées du Front National.

En dépit de sa durée, ce discours prononcé dimanche 16 janvier à Tours, mérite d'être écouté ou lu en intégralité (discours de Marine Le Pen à réécouter ici).

Si la nation et la France, la mondialisation et l'immigration restent au coeur du discours nouvelle manière de Marine Le Pen, son propos connaît des inflexions spectaculaires sur le fond comme sur la forme.

Sur la forme d'abord. Derrière son pupitre, et devant des milliers de petits panneaux comme aux meetings d'Obama, Marine Le Pen est souriante, à l'aise, moderne - osons : séduisante. Elle parle avec talent oratoire, a des propos et un ton modérés. Elle ne fait pas de lapsus, ne se trompe pas de mot en lisant, adapte sa parole et sa vitesse aux réactions de la foule. Elle sait capter l'attention de l'audience, elle met les pauses où il faut, accélère ou ralentit en fonction des effets recherchés. Elle n'a pas l'habileté oratoire d'une Ségolène Royal ou l'humour d'un François Hollande, mais elle est efficace et progresse. C'en est fini des phrases amères de son père dont on sentait la salive poindre par la haine. La séduction est recherchée. Il n'y a que la voix grave et quelques intonations qui rappellent son père. C'est tout. On est loin du Front National de papa.

Sur le fond ensuite : Marine Le Pen ne heurte pas. De très larges parties de son discours auraient pu être prononcées, aux mots près, par un leader de droite, Nicolas Sarkozy en tête, ou même par un Jean-Pierre Chevènement, sans susciter trop d'hostilité ou de désapprobabion. Elle défend une vision certes rigide de l'Etat, une vision old school de la culture et de la langue française, elle s'inquiète de la mondialisation et des délocalisations et entonne l'hymne cher à Dominique de Villepin du patriotisme économique. Mais c'est souvent un discours de droite dure, guère plus.

Les petites phrases sont nombreuses et recherchées, mais aucune ne vise à choquer ; au contraire, elle veut convaincre. Le racisme direct est absent et si Marine Le Pen évoque l'immigration ou les frontières, parfois durement, cela ne fait pas le coeur du discours. (Sur France 2, elle dira qu'il faut ériger des "écluses aux frontières", métaphore modérée qui a le mérite de renvoyer tant aux produits de la mondialisation qu'aux hommes).

D'entrée de jeu, en inaugurant son discours, Marine Le Pen place celui-ci sous le sceau de la "déclaration des droits de l'homme et du citoyen", quand son père rejetait entièrement, et à l'inverse d'elle, 1789 et cette déclaration (Marine Le Pen se contente, à dessein, de rajouter le mot "devoir" dans la formule devenue dans sa bouche, "la déclaration des droits et des devoirs de l'Homme et du citoyen de 1789"). Elle évoque ensuite l'article 2 de cette déclaration (oubliant au passage l'article 1 abrogeant les distinctions sociales qui ne lui convient guère).

"Mais qu'est donc devenue la France ?" est l'inquiétude majeure de Marine le Pen. La France dans le monde, mais aussi la France dans ce qu'elle a de plus simple et de plus populaire : nos paysages, notre qualité de vie, notre environnement. La nouvelle présidente du Front National est, sur ces sujets, une José Bové qui se cherche. On est loin de Jean-Marie Le Pen.

La France, c'est le vrai leitmotiv du discours. "Notre si beau pays". Elle en reprend les emblèmes, l'hymne, les codes et affirme avoir ramassé "le drapeau tricolore que la classe politique a laissé traîner dans le ruisseau".

Elle brosse le portrait d'une "France éternelle" qui, pour être largement imaginaire, touche aux ressorts profonds du peuple. "Les Français sont un grand peuple qui possède un grand pays. La France n'est pas petite. Sa langue, notre langue nationale rayonne sur les cinq continents, privilège qu'elle partage seule avec l'anglais. "France rime avec beauté et culture". Elle dit sa fierté d'être française et d'aimer son pays.

La défense incantatoire de la francophonie, la critique récurrente de la marchandisation de la culture, la défense de "nos valeurs de civilisation" et de nos traditions, la peur contre "la dilution de nos valeurs de civilisation" : c'est un discours qui, sur la culture, n'est pas loin de celui de Renaud Camus ou d'Eric Zemmour, et on a l'impression qu'une bonne part de ses idées sont ici reprises d'Alain Finkielkraut - rien de bien méchant.

Au demeurant, notons qu'elle critique avec sévérité la loi Hadopi, ce qu'on peut trouver étrange dans un tel discours.

Ici ou là, mais sans trop d'insistance, Marine Le Pen fustige les médias, les faiseurs d'opinion, les publicitaires, les censeurs mais sans la violence d'un Jean-Luc Mélenchon. Et surtout elle est contre la censure, et le dit.

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Une critique de l'immigration plus subtile.

La thématique de l'immigration est assez subtilement amenée. Elle l'est à travers la critique des revendications des minorités (sans autre précision au début) et surtout le débat du communautarisme. Ici encore, on n'est pas loin d'Alain Finkielkraut ou de Caroline Fourest - en plus hard. Et on a du mal à extraire de ce long discours "la phrase" qui excommunierait sans débat la nouvelle présidente du Front National (ce qui explique sans doute que la polémique de Tours a porté sur l'expulsion musclée d'un journaliste de France 24 et du jeu de mot de Jean-Marie Le Pen sur le fait qu'on ne voyait pas qu'il était juif à "son nez").

Ce faisant, elle critique nommément les "associations prétendument antiracistes", reprenant ici un argument plus classique mais qu'Eric Zemmour sortait aussi récemment lors de son procès.

Si on s'y attarde, il y a pourtant des formules implicites et codées qui rappellent Richard Nixon lorsqu'il avait adopté la "Southern Strategy" républicaine consistant à reprendre les thèmes spécifiques des Blancs du sud et leur vocabulaire raciste, sans bien sûr, apparaître raciste (il parlait par exemple de "welfare queens", sans citer précisément les Noirs comme profiteurs de l'Etat-Providence, mais le message était bien décrypté localement).

Bon exemple de cette stratégie, la formule de Mme Le Pen : "l'Europe n'est pas un califat, la France n'est pas un califat, elle ne l'a jamais été, elle ne le sera jamais" (la référence au souverain musulman, successeur de Mahomet, est limpide). 

Un autre bon exemple de cette technique est cette phrase, remarquable à bien des égards : "La carte nationale d'identité a pris la forme d'une hideuse carte de crédit que les préfectures se plaisent à délivrer à la demande". Ici, Mme Le Pen fait le pont entre le social et la nation. De forts applaudissements à ce moment précis montrent que son message est décrypté cinq sur cinq.

Un troisième exemple est cette critique forte contre l' "assimilation à l'envers", formule à double-sens au demeurant qui laisse penser sans ambiguïté que les Français seraient obligés de se résigner à adopter les modes de vie des musulmans. Mais là encore elle parle par image.

 

Contre "la gauche du FMI"

Nicolas Sarkozy est étonnamment absent de ce discours, sauf lorsqu'elle évoque les "candidats interchangeables Strauss-Kahn ou Sarko". Elle s'en prend d'ailleurs moins au président qu'à la "gauche du FMI".

Lorsqu'elle attaque le président de la République, c'est surtout à travers sa critique de la dévalorisation des institutions. Elle entend "retrouver l'esprit de la Vème République en tournant le dos au zapping institutionnel du quinquennat par un mandat de sept ans non renouvelable (...). Pour être respecté, le Président de la République doit être respectable" (forts applaudissements). Elle attaque toutefois sur un point, et avec une violence inouïe et personnelle, le Chef de l'Etat devenu "le Chef d'un clan, le gouverneur d'un protectorat américain, un candide en campagne ou même l'agent d'une chanteuse au succès déclinant même si c'est sa femme".

Au fond, son discours est, d'une manière incantatoire, républicain. C'est un républicanisme hard. "Les véritables défenseurs de la République, c'est nous !", dit-elle, contente de son effet. Au lieu de dénoncer les mosquées (qu'elle cite pourtant), elle s'en prend à "l'aménagement des horaires particuliers dans les piscines pour les femmes musulmanes ou à l'introduction d'interdits religieux alimentaires dans les cantines scolaires". Plus limpide, elle affirme aussi, brutalement : "Personne ne doit être conduit contre son gré ou à son insu à manger hallal". Mais, à part ce genre de formule outrée, elle embrasse le plus souvent un discours laïquard, une laïcité intransigeante, et réclame l'application stricte d'une grande loi de la IIIème République : la loi de 1905.

Ailleurs, elle affirme aussi :  "La démocratie ne nous fait pas peur". La voici démocrate et respectueuse des institutions que son père vouait aux gémonies. Elle est souverainiste et laïque - pour les relocalisations en France en économie. Parfois, elle devient nationaliste en se proposant de "restaurer la nation". Elle dénonce l'affaiblissement de la Nation et, emploi nouveau d'un mot ancien, sa "dislocation". Elle se propose d'édifier, enfin, "l'Etat irréprochable qui a été promis en 2007".

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Un discours social

C'est aussi un discours social qui devient sévère contre les "privilèges", la "destruction de nos emplois". Elle fustige les énarques ("il faudrait commencer par apprendre la Marseillaise aux énarques"), les "technocrates illégitimes" et bien sûr, avec dureté, Bruxelles. Elle hurle contre l'Euro devenu "un boulet", contre le "monstre européiste". Elle embrasse les paysans, la "souffrance des agriculteurs" et la ruralité. Notre agriculture serait dit-elle, "la deuxième du monde". Elle défend les services publics, la Poste et la SNCF qui doivent rester nationales, refuse la fermeture des petits collèges, des maternités... et des consulats français à l'étranger.

Très en pointe pour défendre la diplomatie de la France, elle tance fréquemment les Etats-Unis et l'américanisation du monde. La critique de la mondialisation est permanente, parfois économique, parfois culturelle, et parfois même tout à la fois identitaire, commerciale et vestimentaire : "Une société dont l'horizon se limite à voir nos enfants se chercher leur identité et leur fierté au travers des marques commerciales des habits qu'ils portent". Du coup, l'une des formules brutales du discours est celle-ci : "La mondialisation identicide s'est transformée en horreur économique, en tsunami social, en Tchernobyl moral. L'utopie de la mondialisation heureuse a vécu".

Le discours est sécuritaire et anti-délinquant, mais sans plus. Elle note toutefois, en une formule forte, qu'en France la délinquance évolue "non pas à l'américaine, comme on le croyait, mais à la brésilienne".

En définitive, le FN de Marine le Pen entend gagner en respectabilité et se veut un parti moderne. "Le Front National que je présiderai sera un parti renouvelé, ouvert et efficace".

Et puis, c'est un discours de femme, fière de sa féminité. Aux militants du FN, elle dit : "Nous avons tous une dette à l'égard [de Jean-Marie Le Pen], la mienne est double puisque Président et père, il a largement contribué à faire de moi, non seulement la militante, mais aussi la femme que je suis".

Marine Le Pen triangule

Mais il y a plus. Marine Le Pen, surtout, s'ouvre et triangule - selon un mot à la mode. La voici qui reprend les grandes figures de notre histoire. Clovis et Henri IV bien sûr, Bonaparte aussi (mais pas Jeanne d'Arc). Surtout, elle s'enflamme lorsqu'elle salue les "hussards noirs de la Troisième République", les "résistants de 40", "les grands commis et serviteurs de l'intérêt général" et, surprise, elle convoque Jaurès sous son drapeau : "A celui qui n'a plus rien, la Patrie est son seul bien, disait Jaurès en son temps, lui aussi trahi par la gauche du FMI et des beaux quartiers".

Dans la bouche de la présidente du Front National, cette formule marque un tournant.

Plus loin, elle cite Peguy et dit avec lui son horreur du "désordre". Elle se veut hussarde et non pas "bobo citadine".

Et la voici reprenant bientôt la formule du Comte de Clermont Tonnerre avec qui elle proclame "tout pour les citoyens, rien pour les communautés". Cette formule est intéressante et probablement fausse et délibérément changée car elle renvoie, pendant la Révolution, à l'idée de Clermont Tonnerre qui disait qu'il faut permettre l'accession des Juifs à la citoyenneté. Il déclarait d'ailleurs : "Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus". Mais Marine Le Pen gomme délibérément la mention aux Juifs et s'adresse implicitement aux Musulmans ici.

Enfin, elle cite Fernand Braudel, reprenant sa formule sur la diversité exceptionnelle de la France.

Ce premier discours de la nouvelle présidente du Front National est-il un tournant idéologique, un choix tactique ou une habile technique de communication ? Vise-t-elle la respectabilité ? Veut-elle s'intégrer aux institutions de la République ? L'avenir le dira.

Mais toujours est-il que de telles références - de Braudel à Jaurès - et une telle modération de ton pour masquer l'extrême droite de discours sont révélatrices.

 

* Lire également sur Non Fiction : La nouvelle droite de Marine Le Pen