Marine Le Pen, fraîchement élue présidente du Front National avec 67,65 % des voix, est-elle la copie conforme de son père ? Pourquoi son image de facho light séduit-elle certains partisans de la droite républicaine ? Pour répondre à ces questions, il faut s’intéresser au travail de l’ancienne avocate sur le plan des idées. Car elle n’a pas décrit le FN comme un "grand parti politique républicain" dimanche dernier pour rien. Marine Le Pen continue à se construire une apparence de femme politique respectable, attachée aux valeurs fondamentales de la République et de la laïcité, tout en surfant sur la vague populiste et islamophobe qui secoue l’Europe.
Cette stratégie trouve selon Mediapart des sources d’inspiration chez le Parti pour la Liberté (PVV) néerlandais de Geert Wilders, le British National Party (BNP) de Nick Griffin, ou l’Union démocratique du centre (UCD) suisse. En axant son discours sur les questions économiques et sociales et la peur de l’islam, Marine Le Pen rompt en effet avec une matrice idéologique d’extrême droite classique- fondée sur un discours sécuritaire, anti-immigration, susceptible de rallier les catholiques traditionnels et antisémites- qu’incarnent son père et Bruno Gollnisch. D’où ses attaques répétées contre l’euro, la mondialisation et le libéralisme ravageur qui détruisent les emplois des travailleurs "français".
Quitte à désarçonner certains militants de son parti, Marine Le Pen a répété au Congrès de Tours qu’il fallait un "Etat fort" pour protéger les Français, tout en citant l’article 2 de la "Déclaration des droits et devoirs de l’Homme et du citoyen" de 1789, afin de se réclamer des valeurs de"la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression." Des références qu’on n’imagine mal dans la bouche de son père, lui qui déplorait encore le déclin de la France, lors de son dernier discours en tant que président de son parti.
Marine Le Pen a pris ce virage idéologique en se construisant une machine à idées efficace. D’abord, il y a le think tank Club Idées Nation, piloté par son compagnon Louis Aliot , et décrit comme "un bureau d’études et une école d’application, un arsenal intellectuel et technique au service de l’Armée de Marine en mouvement." Louis Aliot lui assigne quatre objectifs majeurs :
"1. Dresser le tableau de bord de la France avec la plus grande exactitude.
2. Proposer des mesures immédiatement applicables avec le plus grand réalisme
3. Expliquer précisément ma méthode de mise en oeuvre des mesures envisagées.
4. Utiliser la communication la mieux appropriée pour convaincre l’opinion."
Club Idées Nation s’appuie sur le site Nations Presse Info, et sa version papier, Nations Presse Magazine. Le site se veut à la fois un espace d’information alternative et une plateforme de promotion de l’action des "marinistes" . En réponse aux accusations de France 24, dont un journaliste a été agressé par le service d’ordre du Congrès de Tours le week-end dernier, il publie par exemple un article sur les journalistes passés à tabac par le service d’ordre du PS...
Ensuite, Marine Le Pen adopte la même stratégie que la plupart des hommes et femmes politiques modernes : s’entourer d’une équipe solide et fidèle au sein de son parti et consulter régulièrement des conseillers à l’extérieur. Le noyau dur est donc constitué de Bruno Bilde, son directeur de cabinet, Steeve Briois, président du groupe FN au conseil municipal d’Hénin-Beaumont, Wallerand de Saint Just, trésorier du parti, Sophie Montel, présidente du groupe FN au conseil régional de Franche-Comté, Thierry Gourlot, président du groupe FN au conseil régional de Lorraine, Edouard Ferrand, président du groupe FN au conseil régional de Bourgogne et Jean-Richard Sulzer, ancien membre de l’UMP et professeur de gestion à Paris-Dauphine, tous membres du comité de soutien officiel à la candidature de leur chef de file à la tête du parti. Sans oublier l’historique Monsieur Com’ de Jean-Marie Le Pen, Alain Vizier, assisté de Julien Sanchez, chargé du site Internet.
Les conseillers externes sont, eux, anonymes . Selon les confidences de Marine Le Pen à Mediapart, ils seraient une quarantaine, du "ministère du budget, de l’intérieur ou de l’immigration", "dans les banques, la grande distribution", "économistes", "profs d'éco, de gestion ou de droit", "avocats" ou "magistrats". La moitié viendrait de la gauche et de l’extrême gauche, et certains sont issus de la Nouvelle Droite. Une quinzaine d’entre eux se réunirait chaque semaine pour plancher notamment sur les questions économiques. N’en déplaise à son père, Marine Le Pen recycle donc les méthodes de Bruno Mégret- construire un appareil politique et programmatique d’allure conventionnelle- en prenant soin de ne pas s’enfermer dans le parti qu’elle s’apprête à diriger.
Alors que la menace d’un 21 avril bis est à nouveau brandie ici ou là, le défi pour la gauche est double : convaincre les classes populaires des dangers de ce nouveau populisme à la française, et tenir un discours clair sur la laïcité
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