Une plongée enrichissante dans la sociologie de Hans Haacke.

A l’heure où l’art contemporain active fort bien des énergies furtives, secrètes, alternatives, inquantifiables, déplace aussi les lieux de l’art, les contextes, invente d’autres espaces et d’autres relations – sans doute en archipels -, produit une autre connaissance du monde et des milieux sociaux, nous extrait de nos éducations figées, agit aux bords de l’économie de la culture en en redirigeant les ressources vers d’autres configurations humaines…, il est bon de revenir sur la question des rapports entre art et sociologie. D’autant que cette question renvoie à un autre ressort : les rapports généraux entre arts et sciences.

 

L’ouvrage de Pierre Bourdieu – Libre-échange, 1994, Le seuil-Les Presses du réel – avait fini par occulter l’existence d’autres ouvrages portant eux aussi sur le travail de l’artiste allemand Hans Haacke. On doit donc se féliciter de voir paraître aujourd’hui sous forme d’opuscule et en français l’article de Howard Saul Becker et John Walton, édité en 1975, mais peu connu en France. Hans Haacke est cet artiste qui réfléchit son milieu, ne cesse de mettre au jour les relations du champ de l’art et de l’économie, l’assujettissement des artistes et le conformisme du public, les structures de pouvoir au sein du monde de l’art, et ceci depuis longtemps. Il en fat la matière de son œuvre. Face à elle, les réactions suscitées sont de deux sortes : soit on prétend qu’il ne pratique plus l’art mais fait de la sociologie ; soit on affirme qu’en faisant de la sociologie, il pratique un art naïf de l’étude du social. En un mot, les pièces de cet artiste, exposées à Paris, à Berlin, à New York (Solomon R. Guggenheim Museum Board of Trustees, Manet-Projekt, On social Grease, ...), ne seraient pratiquement jamais des œuvres artistiques, elles sont systématiquement mises en parallèle avec la sociologie (au détriment de l’une ou de l’autre des pratiques).

 

Les deux auteurs suivent eux aussi cette voie. Mais en nuançant le propos, afin qu’on n’en tire pas de conclusion hâtive sur l’existence d’une sociologie de dilettante chez Haacke, ou sur le manque de scientificité de son travail. Cela dit, même s’ils relèvent évidemment que ces travaux ne comportent jamais de conclusion, puisqu’ils se rencontrent dans des musées et que l’artiste donne à voir ou à lire, mais jamais à agir.

 

Il reste qu’un triple exercice attend le lecteur. Le premier lui impose de relire le livre de Bourdieu, et d’observer les approches différentes des sociologues vis-à-vis de cette œuvre. Le deuxième le conduit à s’intéresser aux rapprochements possibles entre les œuvres dites « sociologiques »  telles que celles de Haacke, Yann Thoma, Jean-Baptiste Farkas, par exemple   . Le troisième l’oblige à reprendre le débat sur les rapports arts et sciences, et à tenter d’en élaborer les termes, alors qu’en France il est encore assez faible