500, 2000 morts ? Qui savait ? Une fois révélés, les scandales sanitaires ouvrent la voie à des dénonciations en tous genres.

Au préalable, il n’est pas inutile de rappeler les risques non nuls générés par la consommation de médicaments quels qu’ils soient. Bien malheureusement, ils sont inhérents à chaque molécule aussi novatrice soit-elle. Chaque médicament entraîne nécessairement son lot d'effets indésirables,  plus ou moins graves, à plus ou moins long terme. Certains passent parfois au travers des mailles du filet des essais thérapeutiques conduits sur des durées limitées avant la mise sur le marché des médicaments. Et nul ne sait si le médicament qu'il prend quotidiennement aujourd’hui ne sera pas retiré du marché dans dix ans pour des complications méconnues à ce jour. C’est pourquoi chaque molécule, après sa commercialisation, fait l’objet d’un suivi en pharmacovigilance, afin de recenser les effets indésirables imputables à sa consommation à long terme et sur une population plus large.

C’est à la lumière de l’ensemble des informations disponibles qu’il est jugé bénéfique ou non de prescrire une molécule dans certaines indications, en pesant le rapport entre les risques générés par le médicament et ceux générés par la maladie elle-même. Ainsi, si l’on est prêt à accepter la toxicité cardiaque d’une chimiothérapie pour traiter un cancer, il n’en va pas de même pour la perte de quelques kilos. 

Dans le cas du Mediator, la polémique ne porte pas sur le fait que la molécule génère des effets indésirables à long terme. Elle porte davantage, d’une part, sur le fait que ces effets soient démesurés eu égard aux bénéfices que le médicament est censé apporter, et d’autre part sur le fait que les effets recensés n’aient pas conduit à son retrait du marché, posant ainsi la question de la fiabilité du "système-médicament" français. 

 

L’arme du crime : le Mediator

Commercialisé de 1975 à 2009, le Mediator obtient l’autorisation de mise sur le marché (AMM) chez les diabétiques en surpoids, avec un objectif de réduction pondérale. Après réévaluation en 1998, le service médial rendu du Mediator dans la prise en charge du diabète est jugé insuffisant. Le médicament est néanmoins remboursé pendant près de 25 ans et prescrit à 5 millions de patients en France jusqu’à son retrait du marché en 2009. A ce jour, on estime entre 500 et 2000 le nombre de morts dues au médicament.

Dès les années 1990, des voix s’élèvent, alertant sur les complications cardiaques du médicament. En 1998, selon des documents révélés par le Figaro, l’assurance maladie attire l’attention de l’agence du médicament – désormais AFSSAPS - sur le fait que le Mediator est une molécule de structure amphétaminique prescrite dans un but anorexygène, alors que l’ensemble des coupe-faim de ce type, générant des complications cardiaques graves, se sont vus retirés du marché en 1997. 

Ce sont ensuite des études effectuées d’après les bases de données de l’assurance maladie qui  identifient un lien entre complications cardiaques - valvulopathies - et consommation de Mediator et qui aboutissent au retrait de la molécule, non sans la persévérance d’une pneumologue, Irène Frachon. 

Des enquêtes révèlent également que, chez plus de 60% des patients, le Mediator a été prescrit hors des indications pour lesquels il avait été autorisé, et notamment chez des personnes non diabétiques qui souhaitaient perdre du poids. Cette augmentation des prescriptions est venue se substituer à celles de l'Isomeride, molécule coupe-faim du même laboratoire retirée du marché en 1997. Fruit du hasard ou solution pour le laboratoire de détourner une molécule interdite ? 

 

La responsabilité propre du laboratoire Servier

Il est certain que l’affaire Mediator ne relève pas de l'unique responsabilité de l'industrie pharmaceutique. La part de responsabilité du laboratoire Servier ne doit pas être négligée pour autant.  En premier lieu, la communication du laboratoire, par la voie de son fondateur Jacques Servier, s’avère particulièrement déplorable. Le PDG nie de façon éhontée les effets indésirables attribués à la molécule qu'il a commercialisée et balaye d’un revers de la main les études scientifiques qui lui sont présentées. Cette attitude, dont l’homme est coutumier, concourt à discréditer un peu plus l’industrie pharmaceutique aux yeux de la population générale.

Avant même ses affinités politiques, les pratiques de Servier ont maintes fois été dénoncées : méthodes de recrutement douteuses, enquêtes personnelles sur les salariés, techniques de ventes agressives, intimidations, etc. Le cynisme dont fait preuve le PDG aujourd’hui vis-à-vis des victimes de son médicament n’est pas une première et témoigne d’une volonté acharnée d’accroître les ventes de ses produits, la plupart ayant été considérés comme inefficaces, voir dangereux.  Rappelons que dans plus de 60% des cas, le Mediator n'a pas été prescrit dans les indications pour lesquelles il avait obtenu l’autorisation de mise sur le marché et le remboursement. Une telle proportion de prescriptions hors indications suscite quelques interrogations, d'autant qu’elle intervient à la suite du retrait de l'Isomeride, molécule coupe-faim produite par le même laboratoire. Il est légitime de s'interroger sur la responsabilité du laboratoire, notamment sur le message qu'ont pu véhiculer ses visiteurs médicaux auprès des prescripteurs s'agissant de cette molécule aux mêmes vertus de faire perdre du poids.

 

D’indéniables liens entre le laboratoire Servier et le pouvoir 

Le fait que les instances nationales indépendantes n’aient pas ordonné plus tôt le retrait du marché du médicament sème le doute sur leur  fonctionnement. Il semblerait en effet que différentes alertes soient données à l’agence du médicament à ce sujet dès les années 1990. Aux Etats-Unis, le Mediator est retiré du marché en 1997. En Espagne et en Italie, le laboratoire choisit de retirer du marché sa molécule en 2005, principalement pour des raisons économiques.

Pour autant, en France, aucune réévaluation ne conduit à un retrait du marché. Le remboursement du médicament perdure même jusqu’en 2009, malgré un service médical rendu jugé insuffisant. Les Ministres Aubry, Kouchner et Bertrand disent n’avoir été informés de rien.  Bien qu’il soit précipité à ce jour de désigner individuellement des coupables, l’affaire Mediator met en évidence des insuffisances dans le système de commercialisation des médicaments et de pharmacovigilance.

Face à ce qui s’apparente à un dysfonctionnement, des interrogations subsistent sur une potentielle influence du pouvoir politique sur les instances en charge du médicament. L’entente qui semble prévaloir entre Servier et le président Sarkozy ne peut laisser indifférent. En effet, Nicolas Sarkozy entretient des liens étroits avec le laboratoire, notamment avec son PDG pour qui il a travaillé en tant qu’avocat dès les années 1980. Il est alors avocat d’affaire et conseille Servier notamment en matière fiscale. Au total, il travaillera pendant près de 20 ans pour le laboratoire. Il décore son fondateur de la Grand Croix de la légion d’honneur en 2009. Et les liens de Servier avec les politiques ne se limitent pas à sa proximité avec le chef de l’Etat, de nombreux élus UMP apparaissent dans ses réseaux. 

 

Pressions politiques ou défaillance d’un système ?

On peut toutefois supposer que cette influence ne soit pas tant dû à des amitiés anciennes qu’au fait qu’il s’agisse d’un laboratoire français auquel on aurait souhaité apporter un soutien en maintenant sur le marché et en remboursant une molécule qu’il commercialisait. Servier est actuellement le deuxième laboratoire français, il emploie près de 5000 personnes en France, 20000 dans le monde. Ainsi, le Mediator aurait-il été remboursé jusqu’en 2009 s’il n’avait pas été produit par un laboratoire français ? 

Le non retrait du marché de ce produit malgré ses effets secondaires questionne quant à lui sur le fonctionnement de la pharmacovigilance. L’influence politique s’exercerait-elle également sur l’agence indépendante qui en a la charge – l’AFSSAPS (Agence française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) ? Ou s’agit-il d’une faille dans un système qui n’a pas été à même de prouver le lien entre les complications et le médicament ?

 
Le rôle du politique…
 

Cette crise vient pointer certains dysfonctionnements institutionnels et un manque de transparence évident. Pour cela, espérons que la mission de l’IGAS apporte davantage d’informations, notamment sur le fonctionnement d’une agence - l’AFSSAPS, ex-agence du médicament - qui, par ses statuts, se veut indépendante du pouvoir politique.

Les liens entre pouvoir et laboratoire ne doivent quoiqu’il en soit pas dissimuler les pratiques douteuses du laboratoire lui-même et cette crise doit également nous questionner sur la place de l’industrie pharmaceutique dans le système de santé français. Selon un rapport de l’IGAS de 2007 traitant de l’information des médecins généralistes sur le médicament, les dépenses promotionnelles des laboratoires pharmaceutiques se seraient élevées en France en 2004 à plus de 12% de leur chiffre d’affaire, représentant près de 3 milliards d’euros dont les ¾ pour les seules visites médicales. D’après une enquête réalisée en 2007, le nombre moyen de visites  s’élevait à plus de 300 visites annuelles par médecin ! L’effort consenti laisse supposer que le marché est juteux et la méthode concluante… Le problème est qu’en France, devant la multitude de sources d’informations existantes, c’est  l’industrie pharmaceutique qui assure aujourd'hui la grande majorité de la formation continue des médecins, influençant de façon certaine leurs prescriptions.  Il est bien évident que l'effort public en la matière est insuffisant. Le rapport de l’IGAS préconise d’agir pour réduire les dépenses de l’industrie dans le domaine d’une part et d’accroître l’effort public en termes de formations des médecins d’autre part. Un champ à réinvestir ?

 

NB: Christian Martin est le pseudonyme d'un interne en médecine qui a souhaité rester anonyme.

 

Pour aller plus loin :

 - Grégoire Biseau "L'avocat Sarkozy conseiller "historique" de Servier"Libération, 23 décembre 2010.

 -"Servier, client historique de Nicholas Sarkozy"lexpress.fr, 23 décembre 2010.