Le dernier opus d’Henri Henri Rouilleault est un vade mecum sur la question de la démocratie sociale. Cet ouvrage synthétique donnera à son lecteur et à tous les progressistes une feuille de route éclairée des constats et des chantiers à mener pour rénover la démocratie sociale dans le contexte français.

Henri Rouilleaut, administrateur à l'INSEE, ancien conseiller du cabinet Rocard (89-91), ancien directeur ANACT, nous donne sa vision d’une société "à la scandinave", montrant les chemins pour que la France puisse enfin porter le dialogue social et politique, et devenir un véritable pays social démocrate.

Cette plaidoirie est liée à un constat formulé par l’auteur sur la société et l’économie française. Celui d’une crise profonde et structurelle quant à la démocratie sociale, l’insuffisance de négociations, tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau national. Avant de formuler des propositions sérieuses et construites, il présente sa vision des changements récents qui transforment durablement le jeu de la démocratie sociale en France. Cet ouvrage est brillant car son constat est juste. Ses propositions devraient former la trame de tout projet progressiste pour les prochaines échéances électorales.

 

Ce qui a changé et changera pour la démocratie sociale en France

 

Pour Henri Rouilleault, la mise en œuvre des règles relatives aux relations professionnelles et à la protection sociale définit la démocratie sociale d’un pays. Si on parle toujours du fait que la France détient le plus faible taux de population syndiquée par celle salarié, l'auteur rappelle fort justement que la France détient par contre le taux d’application de ses accords sociaux le plus important quant à ses salariés concernés, c'est-à-dire 97% de la France au travail.

Dès lors, si nous ne reviendrons pas sur l’historique tenté par l' auteur qui remonte jusqu'à  la révolution française , il est évident que deux lois transforment totalement les règles du jeu de la démocratie sociale en France, la loi Larcher du 31 janvier 2007 et celle de Xavier Bertrand du 20 août 2008.

Trop peu connue, la première s’est immiscée discrètement dans le paysage des politiques sociales, pourtant l’obligation – pour le gouvernement mais pas pour le parlement – de procéder à une concertation préalable pour toute législation inférant à tout ce qui relève de la négociation nationale interprofessionnelle. La seconde transformation concerne la représentation syndicale. La Loi de Xavier Bertrand du 20 août 2008 est une transposition législative sur la représentativité syndicale respectueuse de la position des partenaires sociaux.

A cela s’ajoute les grands sujets de négociation sociale. Après les trois dernières années consacrés aux sujets aux GPEC (Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), à la formation professionnelle et à l’assurance-chômage, puis à la représentativité dans les PME, la gouvernance, l’évolution des IRP, et la modernisation du paritarisme, 2010 fut l’année sur les retraites, avec les manques en terme de négociation sociale que l’on connait et qui, assurément, laisseront des traces dans le comportement de chacune des parties prenantes.

 

Les grands champs de transformation de la démocratie sociale selon Henri Rouilleault

 

Pour ce qui est des propositions, on peut lire cet ouvrage tel un véritable programme. La première idée conjugue le besoin d’étendre la gouvernance de l’entreprise. Si le terme est à la mode, ses modalités sont trop souvent évasives, ce qui n'est pas le cas dans cet ouvrage. Henri Rouilleault voudrait ainsi étendre en marge du directoire, un conseil de surveillance, dans lequel se situeraient les représentants des salariés. Les sujets sur lesquels peuvent agir les salariés, ce sont à la fois les stratégies de recherche et d’investissement ; alors que les représentants du CHSCT (Comité d'Hygiène, de sécurité des conditions de travail) devraient avoir des discussions sur des sujets plus larges, tels que les questions d’environnement et de développement durable. Pour la part d’excédent d’exploitation, c’est à la sphère publique d’élargir sa base fiscale : en distinguant la part distribuée et celle réinvestie.

 

Pour développer la négociation collective, il faut ainsi unifier toutes les instances. Cela vaut aussi bien pour la représentation du personnel dans les établissements moyens, ou encore de disposer de commissions de négociation plus généralisées, de prendre le comité d’entreprise comme centre de l’information et de sa circulation, réunissant ainsi ensemble les représentations de groupe. On peut prendre comme exemple le fait de regrouper de manière assez drastique les branches professionnelles à la fois nationales et territoriales. Une idée d’avenir pourrait même être l’échelon régional, voire même la notion de bassin d’emploi. En somme, Henri Rouilleault plaide pour toutes les mesures menant à une lisibilité plus forte de la démocratie sociale, et ce sans terra incognita que peuvent être les TPE, ou alors même, la représentativité de certaines organisations patronales.

 

Une deuxième dimension forte de cette négociation et de cette représentativité repose sur le  mode d’achèvement du dialogue. C'est-à-dire, la reconnaissance du principe majoritaire dans les relations du travail. Au delà de la loi du 20 août 2008 –  instaurant une double règle d’un minimum d’audience de 30% des syndicats signataires et de moins de 50% d’audience des syndicats s’y opposant – il va falloir donner la possibilité aux partenaires sociaux de trouver des solutions locales pour les conflits et des zones d’accords, parfois même en-dehors de la prévalence de la branche ou du national. L’accord majoritaire permet cela.

 

La démocratie sociale au fondement d’un capitalisme prévoyant

 

Ensuite, le principe du dialogue social, qui est nécessaire pour conduire le changement et négocier les règles collectives, permet d’anticiper et surtout de pouvoir restructurer les industries sans procéder, dans la logique du capitalisme, à une destruction du travail et des compétences humaines. Tel est tout l’enjeu de la démocratie sociale. Pour cela, il faut évoluer simultanément sur plusieurs plans.

 

Une première focalisation se situe dans la transition de l’emploi détruit vers celui nouvellement proposé. Une capitalisation des bonnes pratiques, une négociation des PSE, et une centralisation de la stratégie régionale de restructuration de l’emploi devraient être permises par le regroupement d’institutions qu’il appelle de ses vœux. L’important reste la préservation des compétences et la qualité de l’emploi, ce qui signifie : accentuer la formation sous-qualifiée, surcoter les charges UNEDIC pour les emplois précaires, négocier sur toutes les formes d’emplois hors scope des sujets traités par les partenaires sociaux : le portage, l’auto entreprenariat, etc…

 

Le deuxième plan de ce mouvement porte sur une révolution en matière de fiscalité : il s’agit du principe de conditionnalité à toutes aides d’acteurs publics ou d’exonération de charges de l’entreprise concernant le travail. Le maintien, la qualité de l’emploi sont des critères essentiels – ils représentent principalement des coûts collectifs en cas de défaut – mais ce principe peut aussi prévaloir concernant la politique salariale de l’entreprise, surtout mise en relation avec la part redistribuée à d’autres acteurs que ses propres salariés.

 

Le troisième étage de propositions concerne la place des partenaires sociaux dans la démocratie. A savoir, le besoin crucial de rendre plus claire encore la hiérarchie des normes, les conditions de la prévalence des accords de branches et ceux nationaux sur les compromis locaux ; ces derniers étant nécessaires mais non suffisant pour promouvoir une réelle démocratie sociale. Les accords d’entreprise doivent pouvoir exister, par complétion, le plus souvent, des dispositions communes et partagées.

 

Et ces enjeux en terme de démocratie sociale ne sont pas minces. L’existence de ligne de démarcation claire entre l’Etat, le patronat et les syndicats, y compris pour les retraités et les exclus de l’emploi est crucial pour les échéances à venir. La protection sociale dans l’économie Française est désormais plus socialisée que dans n’importe quel pays ; les nouveaux besoins qu’ils soient de santé, du vieillissement de la population active ou d’un besoin toujours plus grands de sécurisation des parcours professionnels donnent à cette notion, que l’on pouvait croire déclinante, toute sa pertinence.On saura gré à Henri Rouilleault d’avoir donné une orientation éclairée à tous les candidats progressistes pour les prochaines échéances électorales. Ce sérieux vade mecum, montre aussi ce qu'il faut exiger, pour tous les votants aux primaires du Parti Socialiste: une qualité des débats pour développer cet indispensable renouveau de la démocratie sociale dans notre pays