Une mise au point bienvenue sur les sources de la protection de l’enfance et leur exploitation historique.

Le thème de la protection de l’enfance désigne une réalité complexe. Sous ce concept, en effet, plusieurs métiers, plusieurs institutions, plusieurs applications œuvrent, ce qui entraîne une multiplicité de situations juridiques des documents produits certaine. C’est pour tenter d’apporter un éclairage sur cette situation complexe que le service des Archives départementales du Maine-et-Loire, la direction des Archives de France et le Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée (CNAHES) ont décidé de tenir en 2007 des journées d’études sur le thème des archives de l’enfance protégée.

Qu’est-ce que la protection de l’enfance ?

La protection de l’enfance correspond à plusieurs réalités au cours de l’histoire. Il s’agit à la fois de mesures visant à prendre en charge ou protéger les orphelins et enfants abandonnés, et de mesures visant au placement de mineurs délinquants ou issus de familles jugées défaillantes. Ces mesures relèvent de l’éducation spécialisée.


Dans la France de l’Ancien régime, où il n’existe pas de prise en charge par l’État de la misère sociale, la protection de l’enfance se résume aux œuvres d’Église chargées de l’accueil des orphelins ou des enfants abandonnés, à travers les institutions spécialisées que sont les hospices ou les hôtels-Dieu. Les initiatives privées sont par la suite relayées par la puissance publique : la royauté tente quelques actions en faveur des enfants abandonnés, mais c’est véritablement à la Révolution qu’apparaît une prise en charge systématique de ces enfants, avec l’élaboration du statut de "pupille de la Nation". Encore ne s’agit-il que de mesures visant la protection de l’enfance abandonnée ou orpheline. Ces mesures contiennent un pan éducatif, car il est jugé important de fournir à ces enfants une éducation, un enseignement leur permettant après leur émancipation de gagner leur vie ; mais il n’y a pas encore de vrai projet d’éducation spécialisée à l’intention d’enfants délinquants ou délaissés. Il reste néanmoins que c’est à partir de ce moment que la communauté nationale prend conscience de la nécessité de prendre en charge et d’assister les plus faibles de ces membres, les enfants abandonnés ou orphelins. C’est le moment de la naissance de l’Assistance publique, bientôt secondée par la Direction départementale de la population, qui devient en 1965 la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (DDASS).


Le volet judiciaire de la protection de l’enfance trouve son origine dans le Code pénal de 1810. En effet, aux termes de ses articles 66 et 67, lors du jugement d’un mineur ayant commis une faute, on distingue la faute commise avec discernement de celle com mise sans discernement. Paradoxalement, la faute commise avec discernement condamne l’enfant à une peine de prison d’une durée déterminée, alors que la faute commise sans discernement l’acquitte, mais le maintient sous surveillance dans une maison de correction pour y être élevé et détenu jusqu’à l’âge de vingt ans, en raison de l’absence supposée d’un cadre d’éducation favorable au sein de sa famille. C’est dans ce contexte que sont créées les "colonies agricoles et pénitentiaires", maisons de correction pour mineurs ayant l’ambition de remettre la jeunesse dans le droit chemin au moyen d’un salutaire retour à la terre, dans la droite lignée des mouvements philanthropiques hérités du XVIIIe siècle. Ces maisons, créées dans les années 1830, sont par la suite décriées : ce qu’on appelle alors les "bagnes pour enfants", sont fermés progressivement dans la première moitié du XXe siècle. Après 1945, l’attention publique se porte davantage sur la prévention et l’éducation des jeunes délinquants que sur l’aspect répressif : des institutions spécialisées, chargées d’assistance éducative, accueillent alors les mineurs sur requête du juge pour enfants.
L’ensemble de ces institutions, relevant de l’assistance sociale ou de la protection judiciaire de la jeunesse, représente donc un univers extrêmement divers en matière de structures et de régimes juridiques.

 

Contexte de la journée d’études

L’étude des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée et de l’aide à l’enfance est encadrée depuis quelques années en France par des structures fondées spécialement à cet effet. C’est le cas du Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée (CNAHES), qui est une association créée en 1994 dans le but de repérer les gisements d’archives concernant l’éducation spécialisée et d’en faciliter le dépôt au sein des dépôts d’archives publics. Dans le cadre d’un partenariat mené entre le CNAHES et l’université d’Angers est fondé le CAPEA, Centre des archives de la protection de l’enfance, en 1998, qui mène des études historiques à partir des fonds collectés.


On peut donc dater de la décennie 1990, sinon l’émergence de l’intérêt pour l’histoire de l’éducation spécialisée, du moins la fondation de structures pérennes où l’on puisse l’étudier. Ce mouvement se poursuit avec la signature d’une convention le 22 juillet 2002 entre le ministère de la Culture et de la Communication, le ministère de la Justice, et le ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité. Cette convention vise la collecte et la conservation des archives relevant de l’éducation spécialisée et de la protection de l’enfance de manière générale. Aux termes de cette convention, l’association est désignée comme centre de conservation de dons et de dépôts d’intérêt national ; elle se charge du tri, du classement, du récolement, de l’établissement d’un instrument de recherche. Une fois ce travail réalisé, le comité de suivi décide, par le biais de la commission d’entrée des fonds, du transfert des documents au service des Archives nationales du monde du travail à Roubaix, qui en assure la conservation et la communication.


C’est donc dans ce contexte d’émergence de structures favorisant les études systématiques portant sur le monde de la protection judiciaire de l’enfance que se sont tenues en 2007 les journées d’études organisées conjointement par les Archives départementales du Maine-et-Loire, la direction des Archives de France et le Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée.

 

État des lieux des archives de la protection de l’enfance



La problématique de la protection judiciaire de l’enfance et de l’éducation spécialisée se caractérise par la grande diversité des archives y afférent. En effet, il s’agit tant d’archives publiques, d’institutions spécialisées, judiciaires ou sociales, que d’archives privées, fonds des personnels éducatifs ou spécialisés, fonds d’associations caritatives, très présentes dans le domaine de la protection de l’enfance, ou encore fonds d’institutions privées, telles que les orphelinats ou les centres de "colonies agricoles et pénitentiaires" qui se développent dans la France de la Troisième république. Cette diversité entraîne une situation complexe. En France en effet, il n’y a d’obligation de versement d’archives que lorsqu’il s’agit d’une institution publique, ou exerçant une mission de service public confiée par l’État ; dans ces conditions, rien n’oblige les associations, de droit privé, ou les institutions privées à verser leurs archives au sein des services publics d’archives. Ceux-ci peuvent en revanche les inciter à effectuer des dons ou des dépôts de leurs archives, bien souvent extrêmement riches, afin de documenter l’histoire de l’éducation spécialisée de l’enfance. C’est entre autres ce travail de persuasion et de pédagogie qu’effectue le CNAHES à l’intention des acteurs privés de la protection de l’enfance.

 


Les journées d’études donnent la parole à des chercheurs d’horizons différents : archivistes, juristes ou universitaires, historiens ou sociologues. À travers leurs interventions, se dessine le panorama des ressources archivistiques sur ce sujet aujourd’hui. En termes d’archives publiques, deux types de sources se détachent particulièrement : les fonds de l’administration, c’est-à-dire particulièrement ceux de l’Assistance publique, conservés dans les séries X des Archives départementales, et les fonds des établissements d’accueil et hôpitaux, notamment les congrégations charitables, conservés dans les séries hospitalières. Le contenu et la variété des sources évoluent en fonction des pratiques et des préoccupations : ainsi, on passe d’une logique privilégiant l’enregistrement des abandons et le baptême des enfants dans la première moitié du XIXe siècle, qui se traduit par les impressionnantes suites de registres d’immatriculation des hospices et de mise en nourrice, à une logique davantage axée sur l’éducation et l’hygiène des petits abandonnés, illustrée par les dossiers du corps de l’inspection de l’Assistance publique, fondée en 1850.


Le volet répressif de l’éducation spécialisée de l’enfance se traduit par la création en 1945 de la direction de l’Éducation surveillée, reprise en 1990 par la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse. Les archives de ces institutions sont riches d’informations : les différents services comme l’inspection de la direction, la protection judiciaire et l’éducation, ou la gestion de la formation, offrent des séries documentaires relativement importantes. Ces dossiers, peu connus et peu exploités jusqu’à présent, sont à la base des études menées par le Centre national de formation et d’études de l’éducation spécialisée (créé en 1951).


Les Archives départementales du Maine-et-Loire présentent un panorama des archives concernant le suivi des mineurs que l’on peut trouver dans ce type de service. Trois types de provenances peuvent être discernés : les fonds administratifs de l’action sociale (majoritairement issus de la direction de l’Action sanitaire et sociale) ; les fonds judiciaires (principalement le tribunal pour enfants et la cour d’appel, même si les autres juridictions peuvent également connaître d’affaires concernant les mineurs), qui produisent des dossiers d’assistance éducative, des dossiers de jeunes majeurs ou des dossiers de tutelle ; les fonds associatifs enfin, au premier rang desquels on trouve ceux de l’Association de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence ou de l’Association d’entraide des pupilles et anciens pupilles de l’État. Ces associations, chargées par l’État de missions de service public, produisent dans le cadre de celles-ci des archives publiques, donc soumise, comme les archives publiques produites par des administrations, au versement obligatoire au sein des services publics d’archives.


Les journées d’études apportent également un éclairage international sur la question de la protection de l’enfance, avec l’étude du Service d’observation des écoles de Genève entre 1930 et 1958. Cette étude permet de confronter deux approches, une approche française et une approche suisse, de l’éducation spécialisée ; on comprend à cette lecture que la préoccupation du "dépistage scientifique" de la délinquance des mineurs, et sa prise en charge éducative, agite les sociétés au même moment.

La communicabilité de ces documents et leur utilisation

Un des objectifs des journées d’études organisées sur le thème des archives de la protection de l’enfance était de dresser l’état des lieux des ressources archivistiques sur ce thème existant aujourd’hui ; un autre objectif était de confronter les points de vue afin de déterminer le régime de communicabilité de ces archives et de définir les délais que la loi impose à leur communication. En effet, selon les termes du Code du patrimoine, la communication des archives publiques est soumise à certains délais que la loi définit principalement en fonction du fond des documents (personnes concernées, sujets abordés…) et non de leur typologie ; de ce fait, cela entraîne pour les services d’archives une réflexion indispensable, qui permette de recouper la typologie du document avec la catégorisation établie par la loi, qui ne correspond à aucune pratique archivistique.

Outre le panorama des archives de la protection de l’enfance, les journées d’études ont également été l’occasion de présenter les travaux historiques menés sur ce thème. On constate ainsi que les études sont nombreuses : Antoine Rivière mène actuellement un doctorat sur les dossiers personnels des pupilles de l’Assistance publique parisienne (1880-1920 à l’université Paris-IV, tandis que Sébastien Bourquin et Martine Ruchat travaillent sur les dossiers du Service d’observation des écoles de Genève (1930-1958).

Les actes des journées d’études menées sur le thème de la protection de l’enfance dressent ainsi un riche panorama des sources en la matière, et permettent une mise au point sur le traitement de ces archives, de régimes et de typologies très diverses. Confrontant les points de vue entre historiens, archivistes, sociologues et juristes, l’ouvrage se divise en trois grandes parties : une première partie sur la thématique de la collecte des sources de la protection de l’enfance ; une seconde partie présente des études de cas menées sur ces archives ; tandis que la dernière partie apporte un éclairage bienvenu sur le cadre législatif et les enjeux de la communication des dossiers individuels de mineurs. L’ensemble représente une somme passionnante tant pour l’historien que pour l’archiviste, et permet de se munir de clefs pour connaître le riche patrimoine de la protection de l’enfance.