Actualité d'un colloque  

Est-il besoin de rappeler que les colloques constituent parfois des moments exceptionnels de pensée, dès lors que les intervenants ne craignent pas d’altérer les lieux communs les plus tenaces ? Des propos approfondis par l’exercice de chacun dans son domaine peuvent y être offerts au public afin qu’il s’approprie des thèses par de brèves raisons démonstratives. La tâche des Actes du colloque est alors d’attester pour un public encore plus large de propos discutés et destinés après coup à produire de nouveaux effets. 

A cet égard, plus qu’un ouvrage rassemblant des travaux universitaires, ce livre peut passer pour un manifeste. Il relève un défi à l’époque même où le ministère de la culture change de doctrine en passant de l’ère de la démocratisation à celle de "la culture pour chacun" (Frédéric Mitterrand). Relever ce défi, cela pouvait consister à concentrer pour la nième fois les plaintes à l’encontre des usages du temps. Or, ce recueil de textes, résultat donc d’un colloque tenu à Angoulême, fait bien plus. Il ne cesse de déconstruire puis retisser autrement les rapports de l’art, de l’éducation et de la politique. En vérité, toute l’affaire tourne d’abord autour d’une question : pourquoi l’éducation à l’art fait-elle toujours problème pour le pouvoir politique ?

 

La connaissance de chaque auteur n’est pas d’un grand secours dans cette brève, sauf pour souligner que chacun apporte sa contribution à un édifice qui devrait exciter chaque lecteur et/ou citoyen. Si nous n’obtenons pas par le concours du plus grand nombre la reconsidération de la place de l’art et de la culture dans notre société, nous laissons libre cours non seulement à un exercice du pouvoir qui ne se défie pas pour rien de l’éducation artistique, mais encore aux industries culturelles qui ont compris depuis longtemps que le formatage du temps libre (et pas nécessairement des oeuvres) était le ressort fondateur de la confusion des lecteurs, auditeurs et spectateurs sous le nom économique de consommateurs.

Trois parties organisent ces Actes : De la création artistique au spectateur émancipé ; Des formes de la démocratie à la résistance dans la langue ; Histoire et fictions : la coexistence des mémoires. Art, éducation et politique se confrontent dans ces textes sous tous les modes possibles. On observe même rapidement, au cours de la lecture de chaque intervention (remaniée pour le public-lecteur) qu’une même conviction traverse les analyses. Seule une éducation et une culture exigeantes peuvent arracher les hommes à leur destination soi-disant naturelle, qui est de laisser à d’autres le soin de gouverner à leur place.

 

Dans le parcours ainsi proposé, deux choses prennent le devant. D’une part, l’art et la culture ne sont pas politiques parce qu’ils parlent de politique, mais le sont parce qu’ils mettent en question le temps utile et l’espace contraint, et qu’à cet égard, ils apprennent à chacun que l’on peut refuser de se laisser sommer d’agir en vue de quelque intérêt. D’autre part, l’art et la culture ne participent d’aucune identité. Au cœur même de l’exercice culturel se déploie la déprise par laquelle les citoyennes et les citoyens se rendent compte qu’il est possible de composer leurs puissances d’agir et d’envisager d’autres mondes possibles.