Dans la lignée des études sur le rôle des arts dans la politique royale, un ouvrage qui offre de nombreux exemples détaillés concernant le royaume de France.

L’ambition de Gérard Sabatier est formulée dès le titre de son ouvrage : à travers l’exemple du royaume de France, il s’agit d’étudier les différentes stratégies de représentation et de diffusion de l’image du souverain sous le prisme du mécénat et du développement des arts du XVIe au XVIIIe siècle. Le prince en question se révèle donc être le roi de France, de la Renaissance aux Lumières. Le thème de l’ouvrage paraît donc être en parfaite adéquation, ou presque puisque l’auteur ne s’intéresse ici qu’à la France, avec la nouvelle question au programme du CAPES d’histoire-géographie. Le lecteur ne devra néanmoins pas se méprendre car il ne s’agit en aucune façon d’un manuel dédié à cette question. Il pourra toutefois piocher ici ou là quelques exemples bien sentis et pousser son analyse un peu plus loin sur des questions précises. En effet, Gérard Sabatier nous offre ici un florilège d’études thématiques, divisés en quatre grandes parties : stratégies de représentation ;  résidences royales et énonciation ; corps iconique et politique du portrait ; et cérémonial et culte monarchique. L’ensemble est riche mais peut-être un peu trop touffu pour un lecteur à la recherche d’une grande synthèse globale sur le thème. Spécialiste de Versailles et de la politique de représentation de Louis XIV, Gérard Sabatier pose un regard éclairé sur la politique de magnificence expérimentée par les princes européens dès la Renaissance. Il évoque au fil des chapitres de nombreux exemples italiens, espagnols, allemands et même russes ou polonais donnant une toute autre ampleur à l’étude de la stratégie de l’image royale française. Posant à la fois la question de l’idéologie liée à l’image du prince, de l’utilité de l’instauration d’une représentation princière publique, des moyens mis en place pour sa diffusion et de l’efficacité d’un tel objectif, l’auteur explore les différentes facettes que peuvent prendre ces stratégies figuratives. Ainsi, les quatre parties de l’ouvrage vont crescendo dans l’abstraction. En partant de la mise en place pragmatique d’une politique de l’image dans sa création matérielle, l’auteur aboutit à l’étude de la représentation symbolique et iconique du roi.

Comment créer l’image ? Comment la diffuser ? Comment la contrôler ? Autant de questions qui s’imposent lorsque l’on d’évoque les stratégies de représentation. Dans cette quête de l’image, le roi réserve aux arts, mis à son service, une portée éminemment politique. La politique du prince face aux arts doit donc être replacée dans une thématique plus globale : comment l’État moderne se construit-il et arrive-t-il à s’imposer, de la Renaissance jusqu’au flamboiement de l’absolutisme au XVIIIe siècle ? En effet, le royaume dans son entier devient le lieu de diffusion de l’idéologie royale et les artistes et artisans sont mobilisés afin de la diffuser. Des monnaies aux tapisseries en passant par les manuscrits, les peintures murales ou de chevalet, les sculptures de gisants, ou encore les médailles, les gravures sur feuilles volantes ou les décors palatiaux, toutes les formes artistiques sont mobilisées afin que chaque strate de la société ait accès à l’image de la figure princière. Dans la lignée des travaux d’Anne-Marie Lecoq, Didier Le Fur et Nicole Hochner, le problème de la construction idéelle des princes est ici revisité dans une perspective longue, sur plusieurs siècles. Le royaume de France n’est pas non plus étudié en vase clos, mais replacé dans une Europe princière dont les productions culturelles et artistiques transcendent les frontières et influent sur la politique du voisin, du concurrent, de l’adversaire. Cette production a de multiples facettes ; elle peut être centralisée ou prendre son origine dans les élites locales qui désirent mettre en avant leur fidélité et leur lien particulier avec le souverain, notamment dans le cadre d’entrées royales. Le roi a à sa disposition toute une série d’acteurs du monde artistique prêts à le représenter et à transmettre les valeurs monarchiques défendues par le pouvoir.



Peintres, sculpteurs de cour, grandes académies artistiques et manufactures, telle la manufacture des Gobelins spécialisée dans l’art de la tapisserie et devenu manufacture royale en 1667 ou de l’Académie de peinture et de sculpture qui monopolise les commandes royales à partir de 1648, s’y attèlent. Colbert, surintendant des bâtiments et protecteur de l’Académie de peinture et de sculpture joue un rôle essentiel dans la structuration effective de l’image royale et de sa diffusion. Le corpus des images utilisées se codifie de plus en plus avec un but bien défini : mettre en valeur les vertus du bon prince, exalter son bon gouvernement et souligner sa légitimité à travers ses origines et son élection divine. Gérard Sabatier dégage trois schèmes de l’imaginaire monarchique : la distanciation (le prince-héro n’est pas de ce monde), l’universalisation (le prince appartient à la sphère de l’absolu pouvoir dont il n’est que la représentation terrestre), l’incarnation (le prince appartient à la sphère du sacré dont il est le représentant sur Terre). Il s’agit donc de mettre ces trois éléments en relief à travers la création artistique. Néanmoins, l’auteur insiste sur le fait que l’imagerie royale ne sert pas qu’à être diffusée à des fins politiques. L’exemple des studioli est éloquent, ceux-ci possèdent une finalité magique et constituent des talismans captant les forces astrales, ils représentent une proclamation (et non plus une communication) de la puissance princière et sont la traduction d’une cité-idéale construite pour les courtisans et les représentants étrangers.

Afin d’étudier les forces mobilisées dans le but de mettre en œuvre la politique royale, Gérard Sabatier s’intéresse à l’exemple de Louis XIV avant la construction de Versailles, analysant la genèse d’une politique d’image sans pareil en Europe. Il évoque autant ceux qu’il appelle les « faiseurs de gloire », ministres, artistes au service du roi,  institutions artistiques et manufactures, que les différentes facettes de cette image explorées à travers les portraits et les médailles du souverain. Roi en majesté et roi de guerre sont les deux images prédominantes au début du règne avant que se forge l’image du Roi-soleil dont la devise Nec pluribus impar est inventée en 1662. Le roi explore différents paradigmes de l’excellence comme celui de la représentation en empereur romain avant de se constituer une image originale et personnelle grâce aux grandes campagnes réunissant toutes les voies de l’encomiastique : création de très nombreuses médailles à l’effigie du roi, trilogie versaillaise (décoration des Grands Appartements, de l’escalier des Ambassadeurs, galerie des Glaces), campagne de statues. Le tout est commenté par celui qui a redécouvert l’ekphrasis antique et s’est érigé en véritable historiographe de l’art louis-quatorzien, André Félibien. Prenant l’exemple de la guerre des médailles pendant la guerre de succession d’Espagne (1701-1714) et de l’entrée princière de Louis XIV à Grenoble en 1701, Gérard Sabatier démontre la puissance de la symbolique royale.

Le thème de la résidence royale est central lorsqu’il s’agit d’évoquer les stratégies figuratives princières. L’auteur explique ici la transformation de lieux du pouvoir en lieux de pouvoir. Concentré sur le royaume de France, il passe en revue le système de résidence capétien avant de rendre compte des continuités et ruptures engendrées par les différents changements dynastiques, Valois puis Bourbons. De l’itinérance à la fixation royale et à la prééminence de Paris, les différentes prises de possession physiques et symboliques des lieux de pouvoir sont savamment retracées. Toutefois, le cœur de l’étude porte sur la création à partir du XVIe siècle de véritable palais d’État en Europe. Du palais de la Seigneurie à Florence au Buen Retiro de Philippe IV à Madrid, ce sont de véritables résidences officielles qui témoignent des capacités intellectuelles, du goût pour les choses de l’esprit et des arts et du devoir de magnificence du roi qui fleurissent dans toute l’Europe. Le palais d’État est un moyen d’appropriation de l’espace, ainsi à Florence les jardins de Boboli, attachés au palais Pitti, fonctionnent-ils comme un modèle réduit de la Toscane que les enfants de la famille ducale peuvent « parcourir effectuant une prise de possession symbolique ». Au début du XVIIe siècle, deux modèles de palais d’État se sont imposés : Versailles, qui isole la fonction gouvernementale et le pouvoir royal dans une sphère propre qui lui est dédiée ; et le château royal de Berlin qui fait corps avec la capitale et la nation. Le cas français présente une particularité intéressante, le développement de galeries à la françaises, Fontainebleau sous François Ier ou la galerie des Glaces à Versailles, véritables dispositifs au service de l’idéologie royale, qui par leur place stratégique dans la gestion de la circulation au sein du palais deviennent de plus en plus les lieux de diffusion de la « propagande royale » envers les courtisans, mais surtout les ambassadeurs étrangers.


 
Si les résidences royales agissent comme lieux symboliques du pouvoir, c’est le corps du roi lui-même qui en est l’essence. Ainsi, se développe une politique du « corps iconique » du roi dont le portrait royal est l’écrin. La réapparition des statues équestres, inspirées de l’Antiquité et notamment de la statue de Marc Aurèle, remplit une fonction mémorielle qui se transforme vite en fonction politique. Au départ liée aux monuments funéraires, la statue équestre se déplace près des lieux de pouvoir, il en va ainsi à Florence où Ferdinand Ier de Médicis fait ériger la statue équestre de son père, Cosme, piazza Signoria à côté du palais de la Seigneurie. Dès lors, la statue équestre ne commémore plus les morts mais célèbre les vivants et exalte leur pouvoir. La statue d’Henri IV est placée au cœur de Paris, longtemps rétive à reconnaître l’autorité d’un souverain converti, celle de Louis XIII dans le quartier du Marais où résidait la noblesse rebelle. La statue équestre impose la présence physique et guerrière du roi là où sa légitimité pourrait être remise en cause. C’est à partir de Louis XIV qu’une véritable « politique de la statue » se met en place, inondant le royaume de représentations royales succédanés au prince durant les entrées royales et renouvelant le lien symbolique entre ce dernier et la cité. Cette politique ne trouve une ampleur similaire nulle part ailleurs en Europe. Gérard Sabatier explore ainsi l’utilisation du corps royal comme expression du pouvoir à travers les différents portraits du roi et montre la symbolique qui se développe autour du geste. Le portrait du roi est ainsi utilisé à la fois dans les palais royaux, dans les résidences de particuliers, et dans les grandes institutions, tel le Collège de France, comme présence symbolique du souverain. Ils ne possèdent pas une fonction de « redoublement » mais une fonction de « substitution » palliant l’absence du roi. Le roi est présent dans tout le royaume et tout particulièrement dans les parlements ou cours provinciales. Les ministres voulaient avoir chez eux la représentation du roi tandis que les particuliers moins aisés pouvaient le rencontrer au détour d’une rue, d’un palais ou du Cercle royal, cabinet de figures en cire grandeur nature ouvert par Antoine Benoist rue des Saints-Pères à Paris.
 
Enfin, la stratégie figurative royale s’exprimait dans toute sa splendeur lors des cérémonies et cultes monarchiques. En ce qui concerne le roi « Très-Chrétien », les cérémonies étaient souvent à caractère religieux et résidaient la plupart du temps en des cérémonies d’action de grâce en l’honneur du souverain. Les inaugurations de statues royales étaient également l’occasion de faire montre de la magnificence du prince et de célébrer ses vertus.
Gérard Sabatier retrace donc la genèse et le développement de la stratégie figurative du roi de France de la Renaissance aux Lumières comme une puissante arme politique. En replaçant l’action du roi Très-Chrétien dans un contexte européen plus large, il met ainsi en exergue les traits communs des politiques artistiques européennes, leurs oppositions, mais aussi les particularités du cas français. Il faut néanmoins souligner la grande importance que prennent Louis XIV et Versailles dans le propos, parfois au détriment d’une vision plus large de la politique française de la Renaissance aux Lumières. L’ouvrage de Gérard Sabatier offre un panel d’exemples essentiels dans l’étude de l’image royale, véritable compilation de ses recherches antérieures.