Une analyse historique et politique du rôle de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune européenne, incarné par Javier Solana entre 1999 et 2009.

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Au moment où la politique étrangère européenne prend un nouvel essor avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, il est particulièrement intéressant de prendre connaissance de l’ouvrage d’Estelle Poidevin, qui retrace brillamment et avec clarté les étapes qui ont mené à la création du poste de Haut Représentant et les modalités concrètes d’exercice du mandat de Javier Solana, qui aura duré dix ans.

Fruit d’un travail universitaire très documenté, cette étude explore le rôle du Haut représentant à travers deux approches : intergouvernementale et sociologique. La première envisage un Haut Représentant lié par les décisions des Etats ; la seconde tend à le décrire comme le moteur principal de la PESC/PESD   . C’est une troisième optique qui sera privilégiée. Celle-ci considère l’action du Haut Représentant à travers le prisme du « leadership par procuration », susceptible d’être remis en cause par les Etats membres en cas de divergences politiques trop importantes ou si un dossier devient trop sensible.

 

L’institutionnalisation de la fonction de Haut Représentant pour la PESC

Une première partie du livre retrace la genèse chaotique du poste de Haut représentant pour la PESC, depuis la tribune publiée dans le Monde par les Ministres Michel Barnier et Werner Hoyer en 1995 qui l’appellent de leurs voeux, jusqu’ aux premières opérations de gestion de crise.

Introduite par le traité d’Amsterdam en 1997, après d’âpres négociations, la fonction de Haut représentant pour la PESC, qui détient aussi la casquette de Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne, est ancrée au sein d’une institution intergouvernementale par essence. Le Haut représentant / Secrétaire général dépend structurellement des Etats membres de l’Union européenne. Doté de ressources administratives et financières modestes, le Haut représentant va devoir s’imposer dans un système institutionnel complexe où interviennent déjà d’autres acteurs en matière de relations extérieures (la Commission, les Ministères des affaires étrangères). En effet, le traité, qui crée la fonction, ne lui octroie qu’un pouvoir d’initiative limité avec un champ de manœuvre très étroit.

La nomination en juin 1999 d’une personnalité reconnue sur la scène internationale, pourvue d’une solide expérience diplomatique et qui occupe alors le poste de Secrétaire général de l’OTAN, semble exprimer une plus grande détermination de la part des Etats membres en matière de PESC. Les Quinze d’alors lui confient rapidement le mandat de mettre en œuvre une défense commune, limitée à des opérations de gestion de crise.

Entré en fonction comme « Monsieur PESC », Javier Solana est rapidement devenu « Monsieur PESD » et même, sous le contrôle direct des Etats membres, l’initiateur de la PESD. C’est ainsi que le Haut représentant étend les compétences du Secrétariat général du Conseil en développant la structure politico-militaire. La PESD est déclarée opérationnelle au Sommet de Laecken en décembre 2001. La première opération de gestion de crise sera déployée en 2003 en Bosnie.

 

Le Haut représentant à l’épreuve du terrain : l’affirmation du rôle de l’Union européenne face aux crises

Nommé Haut représentant pour la PESC, Javier Solana peut déjà mobiliser des ressources politiques importantes. C’est un diplomate chevronné, connu sur la scène internationale et qui bénéficie d’un certain crédit. Son entrée en scène diplomatique s’effectue en décembre 1999, lorsque les 15 le mandatent pour annoncer à la Turquie son statut de pays candidat. Cependant, Javier Solana va très vite se heurter aux limites d’une diplomatie européenne reposant sur le plus petit dénominateur commun de l’ensemble des Etats membres. Il s’agit bien souvent de s’entendre sur un discours flou, dont le principal avantage est de ne pas susciter la controverse. Cependant, Javier Solana va élaborer un socle doctrinal, une grille de lecture des menaces du monde, qui servira de justification pour les opérations de gestion de crise. C’est ainsi que la stratégie européenne de sécurité, document clé, sera adoptée par le Conseil européen en décembre 2003.

Javier Solana va donc accompagner le développement de la PESD, souhaité par les Etats membres et saisir cette nouvelle impulsion pour élargir assez considérablement les prérogatives du Secrétariat général- c'est-à-dire les siennes. Le rôle du Secrétariat général devient plus politique et acquiert une dimension de proposition. Le secrétariat se dote progressivement d’une architecture politico-militaire (comité politique et de sécurité, comité militaire, Etat-major de l’Union européenne) qui lui permettra de jouer un rôle nouveau en matière de gestion de crises civiles et militaires. Vingt-trois opérations seront lancées entre 1999 et 2009 sur des théâtres d’opération divers : Balkans, Asie, Afrique, qui s’appuieront sur la doctrine développée dans la Stratégie européenne de sécurité, initiée par le Haut représentant en 2003.

En conclusion, le Haut représentant aura renforcé la visibilité de l’UE. Mais visibilité ne signifie pas influence. Les résultats sont assez maigres en termes d’impact sur le champ de la diplomatie traditionnelle. Les dossiers du Proche Orient ou du nucléaire iranien détaillés dans le livre l’illustrent bien. C’est plutôt sur le terrain des opérations de gestion des crises que l’UE aura gagné en expertise et en reconnaissance.

Le poste a été conçu au départ pour introduire un médiateur, un facilitateur entre Etats membres. Pour qu’il puisse aller plus loin dans l’intégration d’une politique étrangère européenne, il aurait sans doute fallu qu’il soit doté d’un droit d’initiative formel, qui lui aurait permis de mieux asseoir son rôle.

Catherine Ashton, dont le poste cumule celui de Haut représentant et de Commissaire chargée des Relations extérieures, selon le Traité de Lisbonne, devrait avoir, avec un service d’action extérieure, des moyens supplémentaires à son service. Il n’empêche que le traité ne lui a finalement pas octroyé le titre de Ministre, illustrant ainsi le chemin qu’il reste à parcourir sur la voie d’une politique étrangère européenne