Depuis l’achèvement de sa recapitalisation, le 2 novembre dernier, le quotidien Le Monde est en proie à de vives tensions internes. Celles-ci se sont traduites par l’éviction d’Eric Fottorino à la tête du directoire du groupe Le Monde, lors du conseil de surveillance qui s’est tenu mercredi 15 décembre. Ce conseil de surveillance rassemblait les nouveaux actionnaires majoritaires du Monde, réunis au sein de la société "Le Monde Libre" – le mécène Pierre Bergé, le président-fondateur de Free Xavier Niel et le banquier d’affaires Matthieu Pigasse, également propriétaire des Inrockuptibles -   la Société éditrice du Monde (SEM), la Société des Rédacteurs du Monde (SRM), et la Présidence du directoire. 

 

Eric Fottorino était, depuis la mi-novembre, en conflit ouvert avec le trio "BNP", qu’il accusait de "harcèlement moral managérial". Se disant "déçu" et "trahi" par les décisions budgétaires prises par les nouveaux investisseurs, il avait pourtant refusé de démissionner de ses fonctions de président du directoire, qu’il assumait depuis janvier 2008. Ce sont donc les nouveaux actionnaires qui se sont chargés de le démettre de ses fonctions. Il a été aussitôt remplacé par Louis Dreyfus, actuel directeur du magazine Les Inrockuptibles et conseiller de Matthieu Pigasse. Cet ancien directeur-général de Libération et du Nouvel Observateur se place désormais comme le nouvel homme fort de l’exécutif du groupe. Eric Fottorino, pour sa part, reste provisoirement directeur du quotidien Le Monde

Le conseil de surveillance a également été marqué par la démission de son président Louis Schweitzer et par l’élection à l’unanimité de Pierre Bergé à son remplacement. 

 

Dans un communiqué, le conseil de gérance de la Société des Rédacteurs du Monde a déclaré "prendre acte des décisions entérinées par le conseil de surveillance et de la révocation d’Eric Fottorino" mais se dit également "vigilant quant à la promesse faite ce jour par Pierre Bergé, en son nom et celui de ses associés Xavier Niel et Matthieu Pigasse, et par Louis Dreyfus de respecter les engagements pris et d’agir dans le dialogue et la concertation". Le "nerf de la guerre" semble effectivement résider dans les questions budgétaires : le contrôle accru des dépenses opéré depuis l’arrivée des nouveaux actionnaires a été particulièrement mal vécu par Eric Fottorino, mais aussi par l’ensemble des salariés du groupe.

 

Pourtant, l’arrivée en novembre dernier des nouveaux actionnaires majoritaires à sa tête promettait au groupe Le Monde le commencement d’une ère plus sereine. Le groupe était en effet lourdement endetté et menacé de redressement judiciaire. Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, en insufflant au capital du groupe 110 millions d’euros, contrôlent désormais 60% du groupe. Les sociétés de salariés du Monde avaient alors largement plébiscité le trio d’investisseurs, celui-ci leur apportant des garanties d’indépendance éditoriale. 

 

Les premiers différends sont cependant vite apparus. Dans son éditorial du 4 novembre, Eric Fottorino avait épinglé sévèrement son prédécesseur à la direction du journal, Jean-Marie Colombani, le tenant pour responsable des dérives économiques du quotidien, ainsi que de son biais politique : "Les carences de la gestion passée ne sauraient à elles seules expliquer les défaillances de l'entreprise Le Monde. […] Journalistes, tenus à la rigueur et à la distance, nous ne sommes pas à l'abri de nos propres préjugés, de nos préférences politiques ou idéologiques. Sans remonter trop loin, Le Monde des années 1980 fut sévèrement sanctionné par ses lecteurs pour son soutien inconditionnel au gouvernement et aux idées de l'Union de la gauche. Le fort penchant du Monde en faveur d'Edouard Balladur en 1995 lui fut très préjudiciable. Comme ses écrits exagérément favorables à Nicolas Sarkozy au mitan des années 2000, avant de prendre position pour Ségolène Royal". De nombreux journalistes du quotidien avaient alors manifesté leur désaccord avec leur directeur, se disant heurtés par la position de Fottorino sur la gestion passée du Monde. Dans l’édition du 5 novembre avait paru un texte signé par soixante-seize plumes du journal et qui réfutait les arguments de l’éditorial : "Nous pensons qu’il y a une certaine noblesse à assumer ce qui est notre passé à tous et auquel tu as largement participé puisque tu faisais déjà partie de la hiérarchie du journal"