Le 07 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a validé la loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Seule réserve d’interprétation émise par les Sages : la dissimulation du visage devra être autorisée dans les lieux de culte ouverts au public afin de ne pas porter une "atteinte excessive" à l'article 10 de la Déclaration de 1789, qui prévoit que "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi".

Cette décision vient évaluer une loi très médiatique et largement débattue dans l’espace public, à la fois par les citoyens français, mais aussi par plusieurs groupes de réflexion, qui se sont penchés sur les solutions juridiques qui pouvaient être apportées au problème de la burqa.

En juin 2009, M. André Guérin préside une mission d’information sur la question, et rend un rapport en faveur d’une loi d’interdiction du voile intégral. En mars 2010, le Conseil d’Etat, également sollicité, remet son propre rapport qui s’interroge sur les fondements juridiques qui pourraient être à l’origine d’une telle interdiction. Enfin, l’Assemblée Nationale a également été sollicitée. Le 11 mai 2010, elle propose une résolution sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte.

Les nombreuses et diverses voix qui se sont exprimées sur la question de la burqa ont largement condamné cette pratique, considérée comme contraire aux droits de la femme, et allant à l’encontre de la tradition laïque à laquelle la France est très attachée. Cependant, la décision du Conseil Constitutionnel a pu surprendre, surtout lorsqu’elle est confrontée au travail extensif fourni par le Conseil d’Etat sur le sujet. D’une grande précision, le rapport exprime avec une acuité juridique évidente combien l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public serait fragile juridiquement, notamment au regard de la liberté personnelle consacré par l’article 4 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil d’Etat propose comme solution principale une interdiction fondée sur une conception renouvelée de l’ordre public, comme "socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société". Il développe rigoureusement l’idée selon laquelle l’impossible "reconnaissance" des femmes qui portent la burqa par leurs concitoyens dans l’espace public s’oppose aux exigences fondamentales de notre société Républicaine. Et met en lumière, par là même, l’essence du problème : la pratique sociale du port de la burqa choque, et ce choc a même pu dépasser les clivages partisans. Cependant, les lois de la République sont telles qu’il est véritablement difficile de trouver une réponse juridique adaptée à ce problème. C’est ce que le Conseil d’Etat explicite en soulignant que cette conception renouvelée de l’ordre public n’est pas consacrée, et ne rencontre pas de véritable écho dans l’ordre juridique français. Aussi séduisante qu’elle soit intellectuellement, le rapport souligne qu’elle résistera difficilement à l’examen du Conseil Constitutionnel.

Voilà pourquoi la décision du 7 octobre étonne. Elle passe outre les questions juridiques soulevées par le Conseil d’Etat, et fonde sa décision sur les articles 4 (référence aux "bornes" à la liberté "déterminées que par la loi"), 5 ("La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société"), 10 (liberté religieuse dans la limite suivante : "ne trouble pas l'ordre public établi par la loi") de la Déclaration, ainsi que sur l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 (égalité homme-femme). Elle valide la loi en dépit des nombreux obstacles juridiques mis en lumières par le Conseil d’Etat, et insiste sur le caractère "proportionnel de la loi" au regard de la nature de l’interdiction et des objectifs à atteindre. Il semble que la décision du Conseil Constitutionnel traduise avant tout une volonté politique et une prise de position sur un sujet juridique, plutôt qu’une véritable analyse de la conformité de la loi en vertu du droit positif français