Les discours sur les catastrophes naturelles oscillent entre un catastrophisme (pas toujours éclairé) et un scepticisme (parfois désinvolte). Voici un ouvrage qui redonne à l'approche géographique toute sa pertinence: décrire et expliquer les phénomènes afin de mieux les anticiper et les gérer. S'il s'agit d'un ouvrage visant d'abord un public étudiant, il offre des clefs de lecture indispensables à tous les citoyens sensibles aux questions environnementales.

 

Les préoccupations environnementales actuelles sont souvent marquées par une double inquiétude largement exprimée dans les média. A l’échelle locale la notion de catastrophe est mobilisée lors des tempêtes, des sécheresse ou des inondations,  des vagues de froid ou de chaleur ; à l’échelle globale le changement climatique et les différents sommets décevants qui lui sont consacrés interroge toute idée de développement ou de progrès technique à moyen terme. Un discours largement répandu chez les écologistes insiste sur la relation redoutable entre ce changement global et l’augmentation des événement locaux, comme si un lien proportionnel  couplait effet de serre et catastrophes.  Assez logiquement, des discours réducteurs se mettent en place pour dire l’inverse, nier l’importance de ce changement climatique global et discréditer les positions alarmistes. Il n’est pas toujours facile d’y voir clair. Dans les ouvrages de vulgarisation les arguments des deux parties sont partisans et mal fondés. Dans la littérature scientifique les conclusions sont incertaines et débattues. 

 

Un livre remarquable vient apporter une vision claire de ces enjeux et de l’état des connaissances à leur sujet. Il a une ambition initialement modeste : informer un large public sur les phénomènes naturels susceptibles de provoquer un dommage, de générer un risque pour des sociétés vulnérables. Dès les premières pages cependant les auteurs annoncent que leur intention est d’apporter à leurs  lecteurs deux compétences bien précises : la capacité  de comprendre les “ articles scientifiques spécialisés ”  à partir de la maîtrise d’un savoir de base  d’une part et la capacité de mener “ une approche critique du thème ”  d’autre part.  

 

L’ouvrage commence par un positionnement épistémologique : les risques, avant d’être vus comme des faits ou des événements médiatiques doivent d’abord être pensés comme objet d’une problématique construite peu à peu dans une démarche scientifique en “ émergence ” . Il faut donc aborder la catastrophe non pas seulement en tant “ qu’expression tangible ”  d’un risque mais comme résultat d’un ensemble d’interactions complexes. La première partie de l’ouvrage (de la page 16 à la  page 70)  est une démonstration pédagogiquement brillante de cette complexité. Elle commence, intelligemment, par partir d’une définition dite consensuelle du risque. C’est le résultat d’une combinaison entre un aléas, un enjeu et une vulnérabilité. L’aléas est un événement naturel, par exemple du vent fort, l’enjeu est un bien (ou une personne), par exemple une habitation et son occupant et la vulnérabilité est la capacité de l’enjeu à supporter l’aléas : par exemple la résistance du toit au vent et son effondrement sur l’habitant. Le risque est donc une co construction naturelle, sociale et technique et il est de ce fait objet de représentations, de mémoire, de discours et de prises de positions politiques. Il est “ l’expression même de la complexité ” . Il demande donc une grille d’analyse élaborée (rendue très claire sur la figure 1 page 24)  qui implique d’abord une approche analytique des différents composants du risque puis une vision synthétique quant aux possibilités de gestion des crises. 

 

La suite de l’ouvrage est logiquement organisée pour mettre en place ces étapes successives.  Les parties 2 et 3 décrivent et expliquent les aléas d’origine géodynamique et hydro climatiques. Elles donnent donc au lecteur les connaissances de base qui rendent ultérieurement possible la lecture des articles scientifiques.  Les parties 4 et 5 traitent de la vulnérabilité des enjeux et de la gestion des risques proposant alors au lecteur d’acquérir une vision critique des discours simplistes. Les quatre parties ont un fil directeur commun qui est la notion de spatialisation. Un aléa survient toujours en un lieu, il a toujours une extension, une diffusion, voire une mobilité. Tout enjeu est localisé dans un territoire qui a des dimensions sociales et une épaisseur historique. Toute politique de gestion définit un périmètre ou un zonage.  L’entrée géographique est donc la clé de la compréhension de la complexité pour toute problématique de “ risque ” .

 

 

La partie consacrée aux aléas d’origine géodynamique commence par établir une méthode de classification  qui croise la genèse de l’aléa et sa dimension spatio temporelle. Elle permet de définir des aléas cumulatifs, comme un volcan  dont l’éruption provoque aussi un tsunami et sur le moyen terme, à cause des poussière rejetées dans l’atmosphère, implique un refroidissement climatique (cas du Tambora qui explose en 1815 en Indonésie et provoque un hiver très froid surtout en Angleterre l’année suivante).  De façon plus analytique  les volcans, tsunamis et séismes sont présentés  en détail. Suivent les mouvements de terrains d’échelle souvent plus locales.  

Les aléas d’origine hydro climatique font l’objet de la partie suivante, qui comporte des cartes remarquables. On pourrait même en faire un test, un brin provocateur, que devraient passer tous ceux qui ont un avis sur le changement climatique :  savez vous expliquer la répartition des cyclones de la figure 16 ? Quelques pages plus loin, la figure 19 fait voir que la surmortalité due à la canicule de 2003 a été la plus forte dans les départements français qui n’étaient pas les plus chauds (ni beaucoup plus chauds que d’habitude). Encore plus loin, (tableau 11 p.150) on lit qu’il y a eu, pour les avalanches en 2005-2006 en France, 50 accidents mortels et 57 victimes décédées. Il ne s’agit pas d’une erreur mais d’une façon de compter les avalanches mortelles d’une part, les morts d’autre part. 

 

Ces deux parties sont donc réellement des apports de connaissances, pas toutes basiques, mais toutes absolument indispensables pour quiconque envisage de réfléchir au sujet du changement climatique, des vulnérabilités et des politiques de gestion des risques. 

 

 

Les deux parties suivantes ont une dimension plus théorique, plus sociale et plus politique. La partie 3 qui traite des vulnérabilités insiste beaucoup sur les inégalités spatiales et les " contrastes géographiques ” . A l’échelle mondiale il vaut mieux habiter au Nord qu’au Sud. A l’échelle plus locale, de très intéressants passages sur les villes donnent un bilan assez contrasté. Les auteurs ont, au sujet des risques en ville,  une phrase qui mérite d’être méditée : “ le fait que ces réglementations se fondent généralement sur un zonage de l’aléa ne permet pas de mettre au centre des problématiques de gestion  le lien fonctionnel entre les territoires, de préférence à proximité spatiale ”  . La partie 4, centrée sur la gestion des risques est dense, expliquée avec de nombreux exemples et des documents très variés. Certains sont disponibles en ligne à partir du site de l’éditeur, ce qui est une innovation pédagogique et éditoriale majeure.  En se connectant sur 

 

http://www.puf.com/puf_wiki/images/6/68/Tableau_8_Al%C3%A9as_naturels.pdf

 

le lecteur se trouve informé, (par un tableau) de la multitude de documents cartographiques souhaitables et/ou disponibles pour commencer à tenter d’établir un zonage.  Il apparaît immédiatement que la prise de décision est forcément quelque chose de délicat : découper un morceau d’espace dans le quel des mesures spécifiques doivent être prises, alors qu’ailleurs elles ne le sont pas (ou pas de la même façon) est un acte politique . Faut il privilégier un modèle linéaire institutionnel ou un modèle adaptatif participatif ? Le premier, mis en place en France dans un contexte relativement centralisé suppose une prévision puis une séquence d’actions à la quelle on se tient tandis que le second accepte l’idée d’une brutale mise en cause de ce qui était prévu si une situation nouvelle  survient. C’est une pratique plus anglo saxonne et –éventuellement- plus libérale.

 

L’ouvrage se conclut par un état des lieux et ne propose pas une solution. Implicitement il est dit que toute solution simple est inadaptée à une problématique complexe. Explicitement le lien 

 

http://www.puf.com/puf_wiki/images/3/3d/Tableau_25_Al%C3%A9as_naturels.pdf

 

donne l’ampleur de la problématique, les dimensions de la complexité et l’extension des enjeux. La seule attitude intellectuelle alors possible est celle de la perplexité : plus on connaît la question des risques dits naturels, moins il est possible de se ranger dans un camp politique simplement identifié. L’écart entre les climato-sceptiques et les catastropho-écologues n’a aucun sens. Tous se trompent de débat.  Les aléas naturels sont profondément liés au social, à l’anthropisation des mécanismes naturels mais  ils ne sont ni redoutables ni inexistants ; ils sont simplement fortement variables d’un territoire à l’autre. Ils ne peuvent être compris, mesurés, mémorisés et gérés que dans une perspective spatiale. Selon les auteurs l’approche doit être “ globale ”  et doit déboucher “ sur des questions d’aménagement prenant en compte les acteurs et les représentations ” . 

 

L’ouvrage est donc, bien que petit en format, relativement monumental en thématique. Il vise à faire comprendre qu’une catastrophe naturelle est d’abord une  représentation, ensuite un phénomène physique et surtout des victimes. Pour éviter des prises de positions maladroites il faut commencer par accepter l’idée que la bonne entrée dans la problématique est la complexité de la spatialisation, ou , plus directement, ce qu’on appelle parfois la géographie. Il faut ensuite se résoudre à ne pas trouver de vision globale uniforme ou totalisante : il n’y a qu’une collection de cas (de risques), pas tous très différents les uns des autres mais pas tous absolument identiques. Pour les auteurs “ en ce sens l’étude des risques permet de s’interroger sur les modes d’appropriation d’un espace ” . Leur ouvrage est donc, en fait, une introduction à toute politique environnementale. Il est donc souhaitable qu’il soit très vite reconnu comme excellent et qu’il trouve très vite un très vaste public.