La première biographie de Margaret Thatcher en français. Un livre à ne pas manquer.

France, novembre 2006 : la campagne présidentielle montait en puissance. Royal-Sarkozy : le ring final était annoncé. Déjà, ces deux-là faisaient la "Une" de tous nos journaux et magazines. Et puis soudain, un nouveau visage apparut, de manière totalement inattendue, en 4 par 3, sur les panneaux publicitaires. Celui de Margaret Thatcher, jeune, le regard pétillant, fendant un large rideau tricolore, et lançant, non sans malice, un regard profond, presque culpabilisateur, aux passants intrigués. Cette semaine là, le très sérieux magazine anglais The Economist titrait tout simplement "What France needs" (Ce dont la France a besoin). Le message était clair.

Curieusement, à l’époque, et alors même que le débat sur l’échec du fameux "modèle social français" faisait rage, et que Ségolène Royal "traitait" (car, en France, et uniquement en France, "Thatcher" une insulte) son adversaire de "Thatcher en veston", il n’existait, chez nous, aucune biographie complète de Margaret Thatcher.

Pas un Français n’avait fait l’effort de consacrer plusieurs mois, plusieurs années, à ce personnage qui sans conteste, est rentré dans l’histoire. Il est vrai que celle qu’on appelle "la dame de fer" est terriblement décriée par les Français et il faut, disons-le, du courage et de l’audace pour se lancer dans une aventure objective, prenant donc le risque de ne pas céder aux caricatures voire même de devoir saluer les succès économiques et sociaux – oui, sociaux – d’une femme qui, à l’évidence, a sorti son pays et ses habitants de la crise économique dans laquelle ils étaient plongés.

Même Tony Blair, qui appartient au camp adverse, a reconnu publiquement, à plusieurs reprises, le mérite des années Thatcher et a rendu hommage à celle qui, en un peu plus de dix ans, a mis les anglais sur la route de la croissance et du recul durable de la pauvreté. Mais, en France, résonnaient encore les couplets assassins de Renaud, la comparant aux SS, la taxant de meurtrière, malhonnête et vulgaire, et concluant, avec une rare élégance : "Moi je me changerai en chien si je peux rester sur la Terre – Et comme réverbère quotidien – Je m'offrirai Madame Thatcher"…


Première biographie de Thatcher en Français

Jean-Louis Thiériot, avec son Margaret Thatcher, est venu combler cette lacune.

Le livre est celui d’un historien. Dense sans être ennuyeux, porté sur l’essentiel sans négliger l’anecdote, écrit avec style, il passionne et se lit d’un trait. Il parvient à transporter son lecteur dans un agréable ballet, passant, avec subtilité, du portrait précis et vivant au contexte, au pays, à l’époque, que l’on est parfois surpris de découvrir ou de redécouvrir tant l’Angleterre allait mal avant Thatcher. Les jurys littéraires ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. L’ouvrage a été primé par l’Académie des Sciences Morales et Politiques et a été le premier lauréat du Grand Prix de la Biographie Politique (l’auteur de ces lignes est membre du jury de ce prix).

Jean-Louis Thiériot présente en réalité une Margaret Thatcher que l’on ne connaît pas. Loin des clichés, qu’il traite, bien entendu, de "Maggy la pingre" qui lance sans cesse à l’Europe "I want my money back", de "Maggy la guerrière" qui reconquiert les Malouines à la force des canons, de "Maggy la briseuse de grève" qui a tenu plus de quatorze mois face aux mineurs, il dresse un portrait tout en nuance, ni hagiographique, ni systématiquement critique.

Et l’on découvre en celle que l’auteur finit par appeler "Margaret" à la fois un destin hors du commun, une vision du monde solidement enracinée, une parfaite maîtrise du temps électoral, un vrai courage politique, et, à la fin, une certaine dose d’aveuglement qui finira, selon Thiériot, par la conduire à sa perte.


Un parcours d’exception

Quel itinéraire en effet ! Née en 1929, fille d’un petit épicier méthodiste de Grantham, dont l’influence – considérable – est savoureusement narrée, sans fortune et sans relation, dans une Angleterre où la naissance et les réseaux d’Oxbridge constituaient presque un indispensable sésame, elle n’aurait jamais dû sortir de sa condition. A la force de sa seule volonté, elle parvint à rentrer à Oxford, à devenir député, très jeune, en 1958, puis, dans la foulée, secrétaire d’état en 1961, ministre en 1970, et, à l’issue d’un putsch unique dans les annales du mouvement, présidente du parti conservateur en 1975. L’ascension de ce "Rastignac en jupon" vaut toutes les fictions du monde. C’est un modèle d’acharnement consciencieux et d’habileté manœuvrière.

Mais là où le personnage est singulier c’est que, s’il excelle aux combats d’appareil, il n’y voit qu’un moyen dont la finalité n’est pas d’assouvir un simple désir de pouvoir. Dans une Angleterre dévastée depuis 1945 par un socialisme plus ou moins avoué, une mollesse politique quasi institutionnalisée, la tyrannie syndicale et le culte du Welfare State, elle fait partie du petit nombre qui, nourri intellectuellement par des think tanks prestigieux comme l’Institute of Economic Affairs d’Antony Fischer, piloté par Arthur Seldon et Ralph Harris, croit aux vertus de la liberté individuelle, de la responsabilité personnelle et des droits de propriété. Ce sont ces valeurs, ce triptyque gagnant, qui animent Margaret Thatcher et la propulsent au sommet d’une Angleterre en ruine.

La foi méthodiste de son enfance lui enseigne qu’au cœur de la vie est la "parabole des talents", l’obligation morale pour chacun d’entre nous de donner le meilleur de lui-même. Elle  lit, bien sûr, Friedrich Von Hayek, médite Karl Popper, écoute Milton Friedman. Thiériot montre ainsi comment le politique peut être façonné par le monde des idées et combien cette double filiation religieuse et intellectuelle construit profondément la vision révolutionnaire de Margaret Thatcher.


Ordre et liberté

Face au marasme dans lequel s’enfonce la Grande-Bretagne dans les années 70 (hyperinflation, déficit budgétaire, grèves à répétition, reculade des gouvernements, mêmes conservateurs – le fameux "U-Turn" de Ted Heath – baisse de productivité, omniprésence des syndicats, pression fiscale insupportable – 83% de taux marginal),  elle est convaincue que son pays a besoin d’une bonne cure d’ordre et de liberté. "Law and Order" d’un côté, rétablissement des finances publiques et des libertés économiques de l’autre. À force de crier dans le désert, elle finit par être entendu. Elle y est aidée par le pessimisme ambiant. Même le Guardian, pourtant peu suspect de sympathies conservatrices, titrait en 1978 "La Grande-Bretagne sera peut-être le premier pays à passer du développement au sous-développement".

En 1979, une grève des mineurs secoue le pays. Les grèves de solidarité se multiplient. L’électricité est régulièrement coupée. Aux urgences, les syndicalistes font le tri pour accepter ou refuser les patients.  Les cadavres s’entassent dans les morgues. C’est le chaos. C’en est trop. Margaret Thatcher saisit sa chance. Elle met en minorité le gouvernement travailliste à la chambre. Les élections générales sont inévitables. Au terme d’une campagne menée tambour battant, avec les moyens de communication les plus modernes, elle l’emporte haut la main. Les Anglais veulent la rupture ! La voici, pour 11 ans, installée au 10, Downing Street, pour le plus long gouvernement du XXème siècle, outre-manche.
 
Sur cet épisode fondateur, l’un des mérites du livre de Jean-Louis Thiériot est de montrer que les réformes thatchériennes ne se sont pas faites en un jour, ni même en cent. Elles n’ont pu être mises en œuvre que grâce à une parfaite maîtrise du temps politique, à une hiérarchisation des priorités et à un véritable sens du rythme : réformes douloureuses / impopularité / pause / bons résultats / réélection et à nouveau le même cycle. Surtout, elles ont toujours été l’obsession de Thatcher, qui, convaincue par la logique implacable des idées qui l’animaient, ne lâchait rien et savait que le pire serait de préférer les réformettes aux réformes de fond.

Le premier mandat sera celui des réformes de structure : baisse des dépenses publiques, restructuration des entreprises nationalisées, réduction radicale de la pression fiscale et libre convertibilité de la Livre. À situation calamiteuse, purge amère. Les difficultés sociales suivent. Le nombre de chômeurs bondit d’un à trois millions. La plupart des vieilles industries manufacturières ferment. Les géants du charbon ou de l’acier sont mis à la diète. L’impopularité de Maggy est au plus fort. Mais cela ne dure qu’un temps, finalement assez court, et les réformes audacieuses finissent rapidement par payer. Le retour de la croissance, les premières embellies sur le front du chômage et surtout le renouveau de la ferveur nationale à l’occasion de la campagne des Malouines, lui assurent une réélection de maréchal.

Le second mandat sera le plus brillant. En réalité, elle a fait le plus dur, non sans courage, et avec, chevillée au corps, la conviction profonde que sa politique de libéralisation permettrait de sortir le pays du marasme et d’améliorer, rapidement, le quotidien de tous, y compris des plus fragiles. Et ça marche ! Les fondamentaux sont restaurés et le budget de l’Etat est ramené à l’équilibre. Il lui reste un dernier obstacle pour mettre en œuvre sa grande politique de l’offre : remettre à leur place les syndicats pour assurer la flexibilité du marché du travail. Margaret Thatcher savait qu’elle n’échapperait pas à cette épreuve de force. Elle veut même en faire une victoire symbolique. Lorsqu’en 1984, le NUM, le syndicat des mineurs, s’efforce de bloquer le pays pour empêcher la fermeture pourtant inéluctable des puits, elle s’est préparée depuis des mois à l’affrontement : stocks de charbon dans les centrales, services de renseignement activés, préparation des forces de l’ordre à la lutte contre les piquets de grève. Un an plus tard, la grève fut longue, très longue, mais le gouvernement n’a rien cédé et les syndicats d’extrême gauche sont déconsidérés. Margaret Thatcher peut ensuite, sereinement, achever ses réformes : privatisation, développement d’un véritable capitalisme populaire, libération des prix et des services, avec pour conséquence le "big bang" de la City qui redevient un fleuron de l’économie mondiale et attire les jeunes talents des pays étrangers.
 
Le troisième mandat sera, selon Jean-Louis Thiériot, moins révolutionnaire : peu de réformes de fond et beaucoup de crispation, sans parler de la fameuse Poll Tax. La biographie de Margaret Thatcher nous montre comment une certaine dose d’orgueil finit même par affaiblir le premier ministre réformateur au point qu’elle tombe, renversée par les siens, au congrès de son parti en 1990, tandis qu’elle représente son pays en France, sous les lambris dorés du château de Versailles.


Une révolution économique… et sociale

Reste le bilan. A ce sujet, l’auteur n’oublie pas les souffrances dans les périodes de transition. Il évoque également ce contraste grandissant entre le nord du pays et l’Écosse, toujours à la traîne, et le sud, toujours plus florissant. Mais il y a aussi – et surtout – la face lumineuse, la fin du déficit budgétaire, le retour impressionnant de la croissance (qui fait de la politique de Thatcher un véritable modèle, copié dans plusieurs pays à travers le monde), le dynamisme retrouvé de Londres, première place financière et artistique d’Europe, la baisse massive du chômage, la création de millions d’entreprises et le recul de la pauvreté partout où elle s’était installée. 

Il y a également, on l’oublie trop souvent, la révolution sociale : le développement de la méritocratie a sonné le glas d’une certaine caste venue de la gentry, éduquée à Eton ou Rugby, passée par Oxbridge, "born to command" comme on dit là-bas. Le Yuppie a remplacé le Grandee. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de l’ère Thatcher. Celle qu’on présente comme l’avocate des privilégiés fut un extraordinaire promoteur de l’ascension sociale par le talent et l’effort. On est loin, bien  loin, des caricatures véhiculées en France…

La biographie écrite par Jean-Louis Thiériot renverse donc, avec précision et à partir d’une documentation nourrie, l’ensemble des idées reçues sur Margaret Thatcher. Il y en a tant qu’il serait impossible d’en dresser une liste exhaustive mais nous ne résistons pas à la tentation de rappeler que les chemins de fers n’ont pas été privatisés par Margaret Thatcher, que le système de santé n’a pas été démembré sous son gouvernement et que plus de 90% des Britanniques ont financièrement tiré un profit direct, dans leur quotidien, de cette décennie de réformes audacieuses.

Au lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, qui a cru nécessaire de préciser "je ne suis pas Margaret Thatcher" (ce qui est, d’aucuns le regrettent, sans doute vrai), il faut lire ce livre car, que l’on soit libéral ou pas, ce qui a fait le succès de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui fait partie de la culture économique et historique minimale de chacun. Or ces informations de base ne sont, hélas, ni dispensées à l’école, ni véhiculées dans les médias traditionnels.

Jean Louis Thiériot, historien et avocat de formation, écrit comme on plaide, avec finesse, dextérité et une certaine dose de panache. Il rédige aussi comme on juge (ou plutôt comme on devrait juger), c’est-à-dire à charge et à décharge, objectivement, sans parti pris, même si on le sent, au final, séduit par son personnage et par l’ensemble de ses réalisations.

Aux plus réticents, qui trouveront, à raison, que le sous-titre n’est pas engageant et que la couverture du livre n’est pas très jolie, l’invitation plus que chaleureuse à lire ce livre en deviendrait presque croustillante. Car au-delà du caractère informatif et du véritable plaisir de lecture, et si, vous aussi, vous vous laissiez séduire par la "vraie" Margaret Thatcher ? Prenez le risque… Avec ce livre, vous ne serez, de toute façon, pas déçu.


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Ce livre a été couronné par le jury du "Grand Prix de la Biographie Politique" le 11 novembre 2007. Voir l'article sur nonfiction.fr