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Et si l’absence de vraie réforme institutionnelle après le mouvement populaire de 2005 était en réalité une chance pour le Liban ? Un éditorialiste beyrouthin le suggère, dans un livre qui fait débat.

 

Michael Young aurait pu intituler son livre très personnel sur le Liban Mémoires de déception, la déception qui ronge ce journaliste libano-américain depuis l’échec du mouvement politique qui avait secoué Beyrouth, au printemps 2005. À ceci près que ce n’est pas l’avortement de la révolution alors rêvée qui désole Michael Young. En mars de cette année-là, au lendemain de l’assassinat du Premier ministre Rafiq Hariri, attribué à Damas, des dizaines de milliers de Libanais descendent dans la rue pour exiger le départ des troupes syriennes stationnées dans le pays depuis 1976. Ils l’obtiennent, et une partie de la jeunesse libanaise rêve alors de bouleverser le système politique tout entier. Les Occidentaux s’enthousiasment pour cette "révolution du Cèdre". Michael Young, lui, n’y croit pas, ni ne l’espère. Car il est convaincu des vertus du communautarisme à la libanaise, qui partage les principaux postes administratifs et politiques entre les différentes religions du pays. "Malgré ses défauts, l’État confessionnel assure l’équilibre des forces entre les communautés, excluant la dictature et l’autoritarisme d’un seul", explique Patrick Cockburn dans la London Review of Books. Aussi dysfonctionnel soit-il, ce système est en effet le seul qui ait pu permettre à un Liban indépendant de "survivre au problème posé par la présence massive de réfugiés palestiniens dans les années 1970, à la guerre civile, aux nombreuses invasions israéliennes et à l’occupation syrienne", renchérit Kai Bird dans le Washington Post. Young ne se berce évidemment pas d’illusions sur l’authenticité de la démocratie ainsi produite : "Le Liban, écrit-il joliment, permet à ses citoyens d’être ce qu’ils sont, pas ce qu’ils veulent devenir." Mais il sait gré au communautarisme d’engendrer ce libéralisme paradoxal qu’il aime tant, où l’État est si faible que les citoyens nichent leur liberté au coeur de ses déficiences. Pour Young, l’État est l’ennemi numéro 1 de la liberté au Moyen-Orient. Tout en reconnaissant qu’"il est difficile de contester ce diagnostic", Sean Lee s’en amuse dans le National : "Alors qu’il adopte la perspective typiquement américaine du libertarien- plus soucieux de voir l’État laisser le citoyen tranquille que de le voir assurer un minimum de services et de sécurité-, Young emprunte un chemin très levantin pour y parvenir : celui du confessionnalisme." Mais si l’auteur n’a jamais cru en la révolution, il s’était enthousiasmé pour l’autre composante du mouvement de 2005, cette "Intifada de l’indépendance" que furent les manifestations anti-syriennes. C’est là sa déception. Car "le carrousel des rêves s’arrêta bientôt", écrit-il. Les vieilles rivalités confessionnelles n’ont pas tardé à resurgir, permettant à Damas de rétablir son influence. Loin d’imputer la responsabilité de cet échec au bon vieux communautarisme, il en accuse principalement le Hezbollah, le mouvement armé chiite dans lequel il voit un factotum de l’Iran et de la Syrie. Le ton inquisitorial qu’il adopte sur le sujet discrédite son travail, par ailleurs "passionnant", aux yeux de Sean Lee : "Young manque totalement d’impartialité dès qu’il s’agit du Hezbollah, dont il décrit le succès comme "plus menaçant pour le Liban que la guerre civile de 1975-1990". Au final, son livre propose une vision très chrétienne de l’histoire récente du Liban."

 

* Michael Young, The Ghosts of Martyrs Square, Simon & Schuster, 2010.