Un ouvrage intéressant, offrant un riche panorama des écritures dramatiques à travers l'Europe, n'échappant pas aux qualités et aux défauts de sa structure.

Les éditions Théâtrales, en partenariat avec le Scérén, publient cette anthologie des auteurs de théâtre européens, faisant suite aux trois volumes de De Godot à Zucco, consacrés aux auteurs de langue française entre 1950 et 2000. L'auteur, Michel Corvin, en choisissant un corpus de textes écrits à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, et en donnant voix aux dramaturgies de tous les pays européens, puis en choisissant de les organiser selon trois points de vue, eux-mêmes décomposés en plusieurs thématiques, a voulu imprimer à cet ouvrage une démarche critique. Il ne se contente pas d’un inventaire des plus belles pages de la dramaturgie européenne, mais propose plusieurs pistes de réflexions pour rendre compte à la fois de sa diversité et des constantes qui la traversent.

Dans cette optique, l'anthologie proprement dite est introduite par un chapitre composé de contributions d'universitaires, de journalistes, de quelques metteurs en scène ou membres d'institutions culturelles, qui présentent en une centaine de pages l'évolution des dramaturgies dans les différentes régions d'Europe de 1945 à nos jours.
Les textes sont inégaux, certains se laissant trop aller à vouloir citer tous les auteurs de la région qui leur incombe sans avoir la place de développer la spécificité de chacun ; on s'y perd, on s'en désintéresse. D'autres s'étendent davantage, réussissant à faire naître une curiosité particulière pour des auteurs que l'on retrouvera parfois dans l'anthologie - et parfois non, d'où une certaine frustration.


Une organisation géographique discutable

Ce qui est sujet à caution surtout, c'est la pertinence du classement par zones géographiques, à l'intérieur duquel les auteurs ont le plus souvent réalisé une chronologie. Comme l'indique Michel Corvin, on remarque des constantes, à l'intérieur desquelles des spécificités se dégagent : chaque pays a eu sa manière de réagir à la censure et à la répression qui caractérisaient les régimes totalitaires dont l'Europe a été si riche ; certaines problématiques, comme la violence ou la peur des autres, traversent les frontières mais ne trouvent pas les mêmes réponses ; toute l'Europe n'a pas intégré Brecht de la même façon.

Organiser ainsi ce chapitre d'introduction selon les grands facteurs d'influence, qu'ils soient politiques ou esthétiques, aurait peut-être permis d'offrir une vision plus organique de l'Europe et de ses dramaturgies, moins divisée, de mieux rendre compte des flux dans lesquels elles se sont construites et des spécificités de chaque région, là où l'impression est donnée d'un empilement d'histoires, d'une juxtaposition de pays. Si les nations, voire les nationalismes, existent encore en Europe, rendre compte aussi de ce mouvement vers l'unité dans lequel s'est inscrit le continent dans la deuxième moitié du XXème siècle n'aurait pas été vain. L'objectif critique aurait été atteint avec plus d'efficacité.


Une promenade agréable parmi les textes

Après cela, l'anthologie se développe avec son cortège de morceaux choisis, introduits comme il se doit par une brève présentation de l'auteur et de l'œuvre et une mise en contexte. Tout comme les trois volumes de De Godot à Zucco, elle est organisée selon trois grands axes, trois points de vue : l'individu, le social et le politique, eux-mêmes divisés en plusieurs thèmes.

Le choix des textes, ne peut guère être critiqué ; l'auteur s'en prémunit intelligemment dans son Avertissement. Il est conscient de tous les écueils liés à la structure d'une anthologie, et que celle-ci ne peut éviter - panorama nécessairement subjectif, difficultés liées au caractère souvent éclaté des dramaturgies contemporaines et à l'obligation de pourtant choisir de courts extraits. Les principaux auteurs sont par ailleurs représentés, on en découvre de moins connus et tout aussi surprenants. C’est tout ce qu'on peut attendre d'un recueil de textes.

Malgré l'ambition critique de l'ouvrage, qui incite l'auteur à introduire chaque thème par une page mettant en scène la succession des textes dans une problématique, l'impression qui se dégage de l'ensemble est plutôt celle d'une promenade, agréable et intéressante, pour qui s'intéresse à l'écriture de théâtre.


Aucun auteur français...

Notons cependant une bizarrerie, une absence : aucun auteur français n'est représenté, et nul ne s'en explique. La France n'est présente qu'à travers ce que les auteurs européens ont écrit sur son histoire. Cela se comprend très bien du point de vue de la politique éditoriale, puisque une anthologie des auteurs de langue française existe déjà, mais c'est bien plus étrange du point de vue de l'ouvrage seul, et pointe encore sa principale et seule faiblesse : en nous présentant une Europe à trous et quadrillée, l'auteur passe un peu à côté du but critique qu'il s'était fixé, qui aurait supposé un travail de synthèse et de correspondances plus lisible.