L'histoire de l'opéra de Vienne par André Tubeuf, à travers ses plus grands artistes. Un mythe de l'histoire de la musique.

Excellente idée que celle des éditions Actes Sud de consacrer un petit ouvrage à une grande maison d’opéra comme la Staatsoper de Vienne. Il y a, dans l’histoire des théâtres lyriques, une foule d’enseignements à tirer, sur les compositeurs et leurs créations in loco, sur les modes d’administration et leurs grandes figures, sur le passage des plus grands artistes, parfois très attachés à une de ces scènes. Pourtant, dans ce domaine, la bibliographie en français est particulièrement pauvre. On cherche en vain une histoire du Met   ou une monographie scaligère récentes   . L’opéra de Paris est mieux servi   , à peine. Pour l’opéra de Vienne, le Seuil avait proposé en 1987 un ouvrage abondamment illustré, façon livre de Noël… mais rien de bien exhaustif.

Le choix des éditions arlésiennes est doublement pertinent puisque la rédaction de l’ouvrage est confié à André Tubeuf, "notre" André Tubeuf national, monument de l’écriture sur le lyrique qui multiplie depuis des décennies les chroniques (L’offrande musicale, publié dans la collection "Bouquins" est une mine), les essais biographiques (son dernier Beethoven, dans la collection Classica a reçu le prix de l’essai de l’Académie française) et même les romans. Sa plume savante fait habituellement merveille à nous guider non dans un quelconque exposé scientifique, historique, ennuyeux pour tout dire, mais plus profondément dans la manière avec laquelle l’auteur a reçu, perçu, aimé, ressenti, cette science, cette histoire dont il est un invraisemblable détenteur.

"Habituellement" car, dans ce petit livre là, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Le format, d’abord. La présentation est délicatement soignée (malgré des coquilles et quelques erreurs dans le nom des artistes…), le papier est de qualité et les quelques iconographies sont tirées de la collection de l’auteur. Le prix s’en ressent du reste. Pour autant, on n’est pas dans un livre d’art. On n’est pas non plus dans la monographie. L’appareil documentaire est quasi inexistant (pas d’index, pas de chronologie), et ce sont les choix subjectifs du seul auteur qui guident l’ouvrage, par exemple en donnant quelques éléments plus détaillés sur Richard Mayr ou Leo Slezak. Si le plan est chronologique, retraçant l’histoire du genre lyrique, dans les différentes salles de la capitale de l’Empire, jusqu’au Staatsoper moderne, il n’est pas facile de s’y repérer, par exemple en allant chercher une information précise sur une période donnée.

Reste la langue, la longue mélopée alla Tubeuf, qui laisse le lecteur impressionné, alourdi de quantités de références, de distributions entrelardées de références à d’autres lieux et d’autres périodes… parfois enfilées jusqu’à l’indigestion. Non, ce Tubeuf là, façon Sachertorte avec beaucoup de chantilly, ne se lit pas bien et on en est presque désolé.

Ce que l’on ne peut pas enlever à l’auteur, c’est l’amour de Vienne, en particulier de son âge d’or des lendemains de la deuxième guerre mondiale. Sena Jurinac, Irmgard Seefried, Schwartzkopf bien sûr, sans parler de Karajan auquel des pages très substantielles sont consacrées, peuplent l’ouvrage comme ils doivent accompagner Tubeuf dans ses rêveries musicales. Mais la période la plus récente est en revanche expédiée en quelques brèves pages frustrantes, éclairées par la préface de Dominique Meyer, le nouveau directeur de la maison, qui donne quelques clefs, vue de l’intérieur.

Au final, on peut se demander si l’amour qu’André Tubeuf porte à Vienne ne l’a pas un peu aveuglé, en le portant à faire un livre de souvenirs par trop personnels, au détriment de l’analyse et du regard distanciés. L’affirmation selon laquelle Vienne a été longtemps le premier opéra du monde et qu’il "reste dans l’imaginaire du public mondial, avec la seule Scala de Milan, la maison d’opéra dont on rêve", pourrait être contestée… si elle était davantage démontrée. Il reste à espérer que les éditions Actes Sud vont poursuivre dans cette veine. La mine est riche et profonde