Reproduction en fac-similé de la première édition française de la correspondance intégrale de Beethoven, publiée en 1968 à Turin par les éditions Ilte, Les lettres de Beethoven. L’intégrale de la correspondance 1787-1827 est un corpus épistolaire passionnant, non seulement pour les historiens et les musicologues, mais également pour tous les mélomanes fascinés par celui qui a ouvert la voie aux romantiques et à la musique des XIXe et XXe siècles. 

Il aura toujours paru plus facile à Beethoven d'écrire des notes de musique que de tracer des lettres sur le papier. "Je suis terriblement paresseux dans ma correspondance"   écrit-il en 1800 à l'éditeur Franz Anton Hoffmeister, paresse qui explique à la fois les courriers laissés longtemps sans réponse, ce pour quoi le compositeur n'a de cesse de s'excuser, et sa calligraphie peu soignée, ce dont témoignent les reproductions de quelques lettres autographes insérées dans le volume et cette déclaration à Zmeskall von Domanovecz : "mon écriture est peut-être souvent aussi mal comprise que moi-même"   . Beethoven écrit comme il parle, suivant le fil de ses idées, sans hésiter à ajouter des remarques et des commentaires en marge ou en bas de page, parfois même sur le couvert de l'enveloppe. Les tirets qui entrecoupent les phrases et les nombreux passages soulignés donnent vie à ce personnage qui se désignait comme un "fils d'Apollon"   et qui s'insurge dès lors contre les absurdes nécessités de la vie courante, le mépris avec lequel il est traité par les Grands ou encore les interminables lenteurs des éditeurs.

Les Lettres de Beethoven sont naturellement riches en informations sur le quotidien du compositeur qui, ayant quitté Bonn en 1792, ne devait plus revoir sa ville natale. A Vienne, au milieu de ce "peuple de Phéaciens"   , comme le musicien aime à nommer les habitants de la ville, il s'adresse à ses plus proches amis afin d'obtenir aide et conseil dans la recherche de ses logements (que de déménagements dans la vie Beethoven!), dans ses différends avec des domestiques peu enclins à supporter ses rudesses, mais dans les questions pratiques, telles que l'achat de plumes d'oie, dont il est toujours à court, ou de tissu pour se faire tailler des vêtements. C'est une correspondance au style familier et chaleureux avec Nikolaus Zmeskall von Domanovecz, le premier ami viennois, qui lui restera fidèle jusqu'à la fin de sa vie, avec Stéphane von Breuning, l'ami de jeunesse qui le rejoint à Vienne en 1801, avec Madame Nanette Streicher, l'épouse du célèbre fabriquant de piano, qui l'aidera longtemps dans l'organisation de son ménage. Citons encore les barons Ignaz von Gleichenstein et Johann Pasqualati qui, de par leur position sociale, purent assister Beethoven dans ses démarches judiciaires notamment. Avec Anton Felix Schindler, qui se met au service du musicien à partir de 1819, le ton est souvent bien moins amical, voire parfois d'une rare franchise: "J'avoue que votre présence, en bien des cas, m'énerve beaucoup"   lui écrit-il en 1824, finissant par éloigner de lui celui qui sera à nouveau à ses côtés à partir de décembre 1826, durant sa dernière maladie, et deviendra son premier biographe. Entre temps, Karl Holz, violoniste amateur, était devenu son ami intime, et, avec Karl van Beethoven, se chargeait de faciliter autant que possible la vie du compositeur.

Aux soucis du quotidien s'ajoutent les problèmes financiers. Beethoven affirme très tôt son "goût d'une vie indépendante"   , son refus de se mettre au service des Grands ("je n'ai jamais été courtisan, je ne le suis pas encore maintenant et ne pourrais non plus jamais l'être"   ). Le musicien ayant reçu en 1808 l'offre de la charge de Maître de Chapelle auprès du Roi de Westphalie, les princes Lobkowitz et Kinsky, ainsi que l'Archiduc Rodolphe, lui promettent une rente annuelle de 4000 Gulden à la condition qu'il décide de rester de façon permanente à Vienne. Le contrat est signé le 1er mars 1809, et Beethoven espère alors pouvoir se consacrer à son art en toute liberté et ce faisant venir en aide, par tous les moyens dont il dispose, à "l'humanité souffrante"   . C'était sans compter la guerre et les phénomènes d'inflation qui réduisent, année après année, la valeur de cette rente, sans compter encore les procès qui l'opposeront aux héritiers du prince Kinsky pour le maintien des versements. Reprennent alors les laborieuses négociations avec les différents éditeurs, exercice dans lequel Beethoven se montre fort maladroit, se désignant lui-même, non sans quelque fierté, comme un "profane en matière commerciale"   .

Les nombreuses lettres aux éditeurs qui manifestèrent leur intérêt pour les compositions de Beethoven sont par ailleurs des documents précieux, sources d'innombrables informations pour l'interprétation des oeuvres. Que de listes de corrections, de précisions ajoutées après l'envoi du manuscrit! Les erreurs dans les partitions gravées pouvaient irriter le compositeur au plus haut degré, particulièrement lorsque les éditeurs ne lui avaient pas envoyé d'épreuves, comme il ne cesse de le demander. En témoigne cette phrase tirée d'une lettre à Breitkopf & Härtel à Leipzig: "Des fautes- des fautes- vous êtes vous même une faute unique."   . Parmi les maisons d'édition avec lesquels Beethoven fut en contact étroit, il faut encore citer la Maison Steiner à Vienne qui fit graver la plupart de ses oeuvres à partir de 1814. Une correspondance pleine d'humour s'instaura alors entre les différents membres du "quartier général" (à savoir, l'imprimerie de la Pasternostergasse) et le "Generalissimo" (le compositeur lui-même), l'occasion de forger quantité de jeux de mots, un exercice auquel Beethoven se livrait volontiers, et d'illustrer ses lettres de petits canons sur le nom de ses correspondants. En dehors de Vienne, le musicien chercha à se lier à des Maisons prestigieuses, comme celle de C.F. Peters à Leipzig ou celle de Bernhard Schotts Söhne à Mayence, tout en s'efforçant de faire publier sa musique dans les grandes villes d'Europe (Schlesinger à Paris, Clementi à Londres).

Il serait trop long de mentionner en détail la correspondance relative à la tutelle de son neveu Karl, qui, à partir de 1815, prit une place grandissante dans la vie du compositeur. De même pour toutes les lettres relatives à son état de santé extrêmement fragile, qui souvent obligeait Beethoven à garder le lit et à s'éloigner de Vienne pour bénéficier de l'air de la campagne ou entreprendre des cures thermales.

Quelques courriers plus rares, destinés à des femmes, des amis proches, ou des artistes, retiendrons encore notre attention. Il s'agit de lettres rédigées avec soin et d'une grande sincérité, bouleversantes lorsque le compositeur évoque les inquiétudes liées à sa surdité   , ou, à la fin de sa vie, son incapacité à composer   . Plus mystérieuses sont les treize lettres adressées à la comtesse Joséphine Deym entre 1804 et 1808, la célèbre lettre à l'immortelle-bien-aimée   , la correspondance avec la comtesse Anna Maria Erdödy ou avec Bettina Brentano. S'il n'est pas toujours possible de savoir quel rôle ces femmes jouèrent dans la vie de Beethoven, cette correspondance révèle un autre aspect de la personnalité du compositeur, sans cesse à la recherche d'une vérité dans les relations humaines. Une vérité qu'il trouve parfois dans les oeuvres de ses contemporains, "frères en Apollon". Ainsi, dans une lettre transmise par Bettina Brentano, il fait part de son admiration à Goethe   , et lui fait envoyer la partition d'Egmont. Il rencontrera le poète en 1812 à Teplitz. A E.T.A. Hoffmann, qui avait publié des articles élogieux sur ses compostions, il exprime sa gratitude en composant le canon "Hoffmann, sei ja kein Hofman" (WoO 180). De nombreux projets de Lieder, d'opéra ou d'oratorio sont discutés avec des poètes tels que Georg Friedrich Treitschke, Heinrich Joseph von Collin, Joseph Karl Bernard ou encore Franz Grillparzer. Quant aux compositeurs, si Beethoven déclare qu' "en fait de génies il n y en eut que deux parmi eux: l'Allemand Händel et Sébastien Bach"   , il se fait aussi l'ardent défensseur des oeuvres de Mozart et de son maître Haydn, et reçoit avec enthousiasme la musique de Luigi Cherubin   et de Louis Spohr   pour ne citer que ces noms fameux parmi ses contemporains.

Sans aucun doute, les lecteurs des Lettres de Beethoven auront bien du plaisir, et devront sourire plus d'une fois des étranges façons du compositeur. Les informations qu'elles fournissent sur sa vie et son art sont également d'une inestimable valeur. S'il y avait néanmoins quelques réserves à exprimer sur la réédition proposée par Actes Sud, ce seraient les suivantes: ce volume reproduit en fac-simile la première édition française de la c correspondance du musicien, publiée en 1968 à Turin d'après la première véritable édition complète des lettres établie par Emily Anderson et publiée en Angleterre en 1960. La traduction d'après l'allemand que proposa alors Jean Chuzeville est de grande qualité, même si elle ne parvient pas toujours à rendre le ton très vivant de la plume beethovenienne. Mais ce sont les notes pourtant très précises de l'édition anglaise, qui, rendues dans un français parfois très laborieux (en particulier l'usage répété et tout à fait impropre de l'adverbe "évidemment" pour traduire l'anglais obviously), pourraient finir par fatiguer le lecteur. D'autre part, il existe enfin depuis 1996 une édition complète en allemand de la correspondance de Beethoven établie par Sieghard Brandenburg (Briefwechsel Gesamtausgabe, G. Henle Verlag, München). Une édition qui se trouve complétée de quelques lettres inconnues en 1960 et qui propose non seulement les lettres du compositeur, mais aussi, lorsqu'elles permettent d'éclaircir certains points, les réponses de ses correspondants. L'exemple donné par cette publication aurait peut-être pu enrichir une nouvelle édition française.