En annonçant, le 12 septembre dernier, sa décision d’implanter sur le site des Archives nationales son projet présidentiel de “grand musée spécifiquement consacré à l’histoire de France”   , Nicolas Sarkozy ne s’attendait sûrement pas à soulever un tel tollé de la part des historiens. Nombreux sont ceux qui s’étaient déjà exprimés dans les colonnes des quotidiens, soulignant l’obsolescence d’un tel projet et le risque d’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques. Ainsi, dans une tribune parue dans l’édition du Monde du 22 octobre, neuf historiens, dont Roger Chartier et Daniel Roche du Collège de France, ou encore Jacques Le Goff de l’EHESS, demandaient la suspension du projet de la Maison de l’histoire de France. Le qualifiant de “dangereux”, reflet d’une “vision étriquée” de l’histoire ainsi que du “discours rétrograde” et identitaire du gouvernement, les signataires de ce manifeste s’insurgeaient également de la décision d’établir la Maison de l’histoire de France en plein cœur du Marais, sur le site historique des Archives nationales, alors que “tant d'espaces du travail rappelleraient plus aisément que l'histoire est aussi faite de “vies minuscules”, des hommes et des femmes ordinaires dont le quotidien et l'héritage légué à notre époque fut bien autre chose que la seule construction de l'Etat-nation et les souffrances imposées par l'histoire-bataille”   .

L’académicien Pierre Nora, directeur de la revue Le Débat, était l’un des rares historiens à ne pas s’être encore publiquement exprimé sur le sujet. C’est désormais chose faite, avec la publication de sa lettre ouverte dans l’édition du 11 novembre du Monde au ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Répondant à son plaidoyer du 3 novembre   pour la création de la Maison de l’histoire de France, qualifiée de “chance pour la recherche”, Pierre Nora rallie le chœur des reproches jusque là exprimés envers le projet. Il lui adjoint aussi de nouvelles critiques, en soulignant dans un premier temps son caractère coûteux, mais également son inutilité dans le paysage patrimonial français. Celui-ci en effet s’avère pour Pierre Nora suffisamment pluriel, voire exhaustif, pour que le Président de la République s’abstienne de la création d’une telle institution : “Dans ce pays aux héritages et aux traditions si divers et contradictoires, et où l’opinion depuis la Révolution reste divisée entre au moins deux versions de l’histoire de France, la sagesse est précisément d’en rester à une pluralité de musées, lesquels témoignent, chacun à sa façon, de leur vision et de leur époque”. 

Pierre Nora s’associe également au point le plus brûlant de la controverse, déjà soulevé auparavant par les autres adversaires du projet : la Maison de l’histoire de France est l’un des outils du gouvernement Sarkozy dans sa volonté de promotion de l’identité nationale. Pierre Nora considère que “ce projet aura beaucoup de mal à se remettre de son origine impure et politicienne”. Enfin, l’académicien fait valoir que  la future Maison de l’histoire de France, dépourvue de véritable ambition historiographique, n’est pour l’heure qu’une coquille vide : “Alors, autant le dire clairement : cette Maison, on ne sait pas plus quoi y mettre que pourquoi on la fait” estime Pierre Nora. 

De son côté, Henri Guaino   a fait savoir mercredi sur France Inter qu’il trouvait “ce débat un peu scandaleux, surtout ouvert par des gens qui en réalité ont vu leurs études payées par la Nation, leurs salaires payés par la Nation, qui sont fonctionnaires de l’Etat, et qui trouvent que la Nation c’est pas bien et qu’il faut pas en parler”. 

Faisant fi de la polémique, le ministère de la Culture et de la Communication a annoncé l’ouverture de la Maison de l’histoire de France dès juin 2011 dans les jardins des Archives nationales