Récit journalistique qui rend compte de la genèse et de la vie des groupes armés au Mexique des années 40 au début des années 80.

Le Mexique en Armes. Guérilla et contre-insurrection 1943-1981 de la journaliste mexicaine Laura Castellanos   , publié en 2007 au Mexique par la maison d’édition Era sous le titre original México Armado. 1943-1981, est paru en 2009 en français chez Lux Editeur   . Récit journalistique, fruit d’un travail collectif   , Le Mexique en Armes rend compte de la genèse et de la vie des groupes armés au Mexique des années 40 au début des années 80. Il retrace de façon minutieuse l’émergence puis le déclin dans l’espace public de ces groupes armés, tour à tour frappés par la répression et travaillés par leurs divisions internes.

Les cinq parties qui constituent Le Mexique en Armes s’organisent selon un ordre chronologique et correspondent à différentes expériences régionales mexicaines. La première partie s’attache à la destinée de Rubén Jaramillo   dans l’Etat du Morelos ; la seconde relate les aspects de la radicalisation de groupes étudiants au Chihuahua, héritiers des initiateurs de l’attaque de la caserne Madera en 1965   ; la troisième traite de la destinée de deux instituteurs du Guerrero: Lucio Cabañas Rojas à la tête du Parti des Pauvres (PDLP   ) ainsi que Genaro Vásquez Barrientos et l’Association Civique du Guerrero   ; la quatrième rend compte du déplacement qu’effectuent les groupes armés durant les années 70 des zones rurales vers les grandes villes du pays ; enfin, la dernière partie aborde la violence de la " guerre sale   " au Mexique durant cette même décennie.

La préface de Carlos Montemayor   insiste sur la continuité historique entre les luttes armées de ces années et l’époque actuelle, ainsi que sur la nécessité de faire ressurgir l’histoire de ces groupes et de leur répression en privilégiant la perspective de ces "combattants". Enfin, ce livre s’achève sur un épilogue d’Alejandro Jiménez Martín del Campo   : celui-ci met en évidence les échecs des voies légales pour juger les responsables de la répression policière qui a sévi au Mexique à l’encontre des membres de ces groupes.


L’auteure a mené pour cet ouvrage un travail titanesque de recueil de données diversifiées comprenant tant des archives de presse (locale et nationale, et de toutes tendances) que des documents personnels fournis par les protagonistes survivants. Cette enquête a été menée au moment de la mise à disposition du public par l’Archivo General de la Nación   d’un ensemble de données relatives à la "guerre sale"   , que Laura Castellanos a cependant décidé de ne pas exploiter afin de privilégier les témoignages des acteurs et témoins de cette époque   . Elle a aussi pris le parti d’insérer au coeur du récit des actions spectaculaires   de ces groupes des séquences de la vie quotidienne et intime des guérilleros, ces insertions narratives se basant sur les témoignages des survivants et des proches de ces derniers.

La logique de l’architecture générale de l’ouvrage n’est pas toujours aisée à appréhender, elle repose sur un ensemble de dates et de figures-clés analysés comme autant de symboles mobilisateurs pour ces mouvements armés. Parmi ces symboles, on relève principalement la révolution cubaine de 1959, l’assassinat de Jaramillo par les militaires en 1962, l’assaut manqué de la caserne militaire de Ciudad Madera mené au Chihuahua par l’instituteur Arturo Gámiz en 1965, la mort de Che Guevara, le massacre d’Atoyac en 1967 dans le Guerrero et les répressions des mouvements étudiants de 1968   et 1971   et enfin la loi d’amnistie en 1978. L’ensemble du texte est ainsi ponctué de chronologies extrêmement précises des événements retracés, produit de la multiplication et de la mise en écho des points de vue rétrospectifs.


Outre le récit de la genèse et des actions spectaculaires de ces groupes armés, ce livre apporte des éléments qui permettent au lecteur de saisir des aspects essentiels de la vie de ces groupes: leur rapport au politique d’une part et la complexité de leur enracinement social d’autre part.

Concernant le premier aspect, l’auteure nous donne des éléments sur le passage de la lutte légale à la lutte armée de ces groupes. Le lecteur comprend comment leur stratégie oscille entre une mobilisation ouverte par le biais des urnes et une activité clandestine une fois épuisés les recours légaux pour un changement politique dans un contexte national répressif et de relative fermeture démocratique. C’est le cas par exemple de Rubén Jaramillo qui fonde un parti en 1946, le PAOM   , soutient un candidat à la présidentielle en 1952 et rencontre régulièrement des responsables politiques au niveau local et national (dont le président Lázaro Cárdenas), avant de prendre les armes. Laura Castellanos traite également la gradation et l’évolution sur une quarantaine d’années des réactions des gouvernements local et fédéral face à la radicalisation de ces mouvements paysans puis urbains, entre négociation et répression sévère, du début des stratégies militaires antiguérillas   à la mise en place puis la systématisation d’actions illégales des corps policiers et militaires, telles la torture   et les pratiques de disparitions forcées. L’auteure aborde brièvement le contexte politique international et son influence sur la mobilisation d’une partie de ces groupes au Mexique, notamment la révolution cubaine en 1959 et la création de la OLAS   en 1967 à Cuba. L’ouvrage apporte en outre nombre de détails sur les divisions de la gauche mexicaine concernant la question de la lutte armée, notamment l’opposition entre une gauche radicale et le courant orthodoxe du PCM   qui prend ses distances vis-à-vis de cette tendance armée.

S’agissant de la base sociale de ces groupes, elle est complexe et évolue au fil de la période traitée. Dans un premier temps, ils s’enracinent au sein des milieux paysans et ruraux, puis ils émergent dans les milieux urbains à partir de 1965, suite à la radicalisation des mouvements étudiants dans les grandes villes du pays. Il demeure difficile cependant de saisir comment se sont établis les liens et les articulations entre mouvements armés ruraux (luttant pour l’accès à la terre et contre les caciquats locaux) d’une part, et mouvements ouvriers (mobilisés pour l’autonomie et la démocratisation syndicale) ou mouvements étudiants urbains (s’organisant durant cette même période pour une réforme universitaire) d’autre part. Notons que l’un des apports originaux de cet ouvrage réside dans la mise en évidence du rôle des femmes et des formes spécifiques de leur action, entre participation active au sein de ces groupes armés et mobilisations pour dénoncer les disparitions de leurs proches.


L’une des grandes qualités du Mexique en Armes est de nous permettre d’accéder à ce qu’a pu être le quotidien de ces hommes et femmes engagés dans la lutte armée et la clandestinité, l’effet de cet engagement et de la répression sur leur vie familiale et intime au-delà des événements médiatisés   . En ce sens, cet ouvrage met à jour un pan d’une histoire non écrite, d’une histoire "qui n’est pas parue dans les journaux"   , donnant à entendre la voix de ses témoins et protagonistes, sans jamais entrer dans des considérations morales sur le bien-fondé ou la légitimité des actions armées. Plus encore, ce livre nous apporte des éléments pour comprendre certaines caractéristiques de la gauche mexicaine d’aujourd’hui, de ses divisions, et les origines d’un phénomène guérillero qui existe encore au Mexique, sous d’autres formes et avec d’autres caractéristiques avec l’EPR   et l’EZLN   . Alejandro Jiménez Martín del Campo écrit dans le prologue de l’ouvrage que " cette histoire est loin d’être finie   " ; en témoigne par exemple l’actualité de la répression des mouvements sociaux ces dernières années au Mexique, à Atenco dans l’Etat de Mexico comme à Oaxaca.

Malgré ces apports, il demeure difficile de se retrouver parmi la somme d’informations, de détails concernant une multitude de groupes armés, dont certains mort-nés, et de leur personnel, sur une période aussi longue et dans des régions aussi diverses du Mexique. De ce fait, le récit semble parfois anecdotique. Par ailleurs, le couple répression/radicalisation n’est pas toujours aussi systématique que semble nous le présenter Laura Castellanos, et le processus de radicalisation demeure pour le lecteur une boîte noire de l’action politique. Il manque également des éléments de contexte politique et socio-économique au niveau national, au-delà de la personnalité et des méthodes des figures présidentielles : par exemple les cheminements parallèles des mouvements syndicaux cheminots, enseignants, téléphonistes face aux syndicats " charros   ". Au niveau international, l’analyse du rôle des pays du bloc communiste aurait pu être approfondie. Enfin, il aurait été fort bénéfique d’accéder aux "cuisines" de cette enquête, que l’auteure nous donne, autrement dit, des éléments sur sa méthode pour aborder ces sujets avec les survivants. Il est légitime de se demander par exemple quels sont précisément les aspects et les enjeux de la remémoration de ces faits par leurs témoins et protagonistes trente ans plus tard.