Après García Márquez et Álvaro Mutis, où en est la littérature colombienne ? Le programme du festival Les Belles Étrangères de cet automne nous offre la possibilité de répondre à cette question. Du 8 au 20 novembre 2010, douze écrivains colombiens sont conviés à participer à une série de rencontres qui se dérouleront dans plusieurs bibliothèques, librairies, universités, lycées et associations en France et en Belgique. Les Belles Étrangères, événement organisé par le Centre national du livre (CNL) depuis 1987 et réalisé cette année en partenariat avec le Magazine Littéraire et ActuaLitté.com, cherchent à diffuser les nouvelles tendances de littératures peu connues dans le monde francophone. Et cette année, c’est au tour de la Colombie d’être l’invitée d’honneur.

La sélection des auteurs, établie en collaboration avec Annie Morvan   , est représentative et pertinente, malgré l’absence d’écrivains tels que Laura Restrepo, Piedad Bonnett ou Mario Mendoza. Il s’agit d’écrivains reconnus en Colombie et à l’étranger, qui font partie de générations bien distinctes et dont les textes appartiennent aux genres les plus divers ; le roman, la poésie, l’essai et même l’histoire sont sollicités et mis en dialogue par ces auteurs.

Ce parcours incorpore ainsi la vision de l’historien Gonzálo Sánchez, la fiction sociale d’Evelio Rosero, les romans de Tomás González et l’œuvre poétique de Juan Manuel Roca ; il réunit également les romans historiques de l’essayiste et poète William Ospina. Cet itinéraire littéraire nous fait en outre découvrir le récit autobiographique d’Héctor Abad Faciolince ainsi que ses fictions et les romans de plus jeunes auteurs tels que Jorge Franco, Santiago Gamboa, Antonio Úngar et Juan Gabriel Vásquez, en passant — bien évidemment — par les romans de Fernando Vallejo ou par le roman, déjà classique, d’Antonio Caballero.

Bien que quelques-uns des écrivains cités aient déjà été traduits depuis 1998 en France — c’est le cas notamment de certains textes de Fernando Vallejo, Gonzalo Sánchez et Santiago Gamboa — environ une dizaine de livres de ces douze auteurs ont été récemment traduits en français et seront disponibles en librairie au cours de l’année 2010-2011. Cette initiative marque le caractère innovant d’un festival qui s’est donné pour principal objectif de favoriser la découverte et la diffusion des littératures étrangères. À travers les diverses rencontres avec les auteurs invités, le CNL cherche à encourager à la fois le dialogue autour des œuvres qui sont déjà connues en France et la vulgarisation des traductions récentes d’auteurs encore peu connus.

Le fait d’être traduits en français n’est pas le seul dénominateur commun de ces écrivains : il est important de noter qu’ils prennent tous une distance vis-à-vis des visions exotiques de leur pays et de l’Amérique latine dans son ensemble. En ce sens, ils s’inscrivent davantage dans le registre de la littérature universelle que dans la définition d’une littérature strictement locale ou régionale. Ainsi, le choix de ces auteurs a une valeur particulière : celle de présenter la littérature colombienne actuelle au-delà des stéréotypes. Cette édition des Belles Étrangères montre une volonté de diffuser une richesse littéraire renouvelée et originale qui dépasse les idées reçues sur la littérature colombienne.

Cette richesse ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine littéraire et aussi dans la manière de percevoir la réalité colombienne. En ce sens, la rencontre avec ces auteurs permet non seulement de rendre compte, d’une manière assez complète, de l’actualité des lettres colombiennes, mais encore de dresser un panorama varié du moment historique que vit le pays. La façon dont ces écrivains incorporent le thème de la violence ou de la situation actuelle de la Colombie fait état d’interprétations intéressantes et hétérogènes d’une réalité complexe et difficile à saisir.

La variété des perspectives a été présentée dans un documentaire intitulé ¿Qué tal Colombia? Les Belles Étrangères 2010, réalisé spécialement pour le festival par Laurent Nunez et Aurélie Bernos de Gastold. La projection du film précédera la rencontre entre William Ospina et Evelio Rosero à Montpellier le 9 novembre — à la Médiathèque Emile Zola-Antigone —, et celle entre Jorge Franco et Juan Gabriel Vásquez à Paris le 15 novembre — à la Mairie du 2e arrondissement.

Le documentaire présente des entretiens avec les douze écrivains à travers lesquels ils expriment leurs points de vue sur divers sujets sociaux et littéraires : d’une part ils évoquent l’émigration, les voyages, la violence, la guerre et le conflit colombien, l’histoire politique du pays, la situation des huit dernières années ; d’autre part, ils exposent leurs idées sur le roman, la poésie, les conditions de l’écriture, le rôle et l’image des écrivains latino-américains et colombiens aujourd’hui. Ainsi, même si on peut regretter la tendance à aborder ces différentes questions sous l’angle particulier du traumatisme provoqué par le conflit armé, les cinquante-deux minutes du film montrent d’une manière synthétique le profil et l’opinion de chacun des auteurs sur de nombreux sujets. Quoi qu’il en soit, le documentaire, dont la production a été confiée à BlisterProd, est une bonne introduction à l’œuvre de ces auteurs et aux thèmes qui articulent leur littérature.

Parmi les fictions les plus connues du festival on peut mentionner Un mal sans remède d’Antonio Caballero, Usúa et Le Pays de la cannelle de William Ospina, L’Oubli que nous serons d’Héctor Abad Faciolince, La fille aux ciseaux de Jorge Franco, Perdre est une question de méthode et Le syndrome d’Ulysse de Santiago Gamboa, Les Armées d’Evelio Rosero, La Vierge des tueurs de Fernando Vallejo, Au commencement était la mer de Tomás González, et Les dénonciateurs et Histoire secrète de Costaguana de Juan Gabriel Vásquez. Mais cette énumération n’est pas exhaustive. On pourra aussi découvrir la poésie de Juan Manuel Roca ou les travaux d’histoire de Gonzalo Sánchez, sans parler de nombreux autres romans moins connus.

Pour la littérature colombienne contemporaine, ce festival est une occasion de diffusion et de promotion importantes au sein du monde francophone. Les différentes rencontres avec les auteurs invités auront lieu dans quarante-deux villes en France et en Belgique. Ce large programme d’activités, disponible sur le site web www.belles-etrangeres.culture.fr/, rétablit et renouvelle les liens et l’intérêt pour cette culture littéraire au-delà du "réalisme magique" et du "boom" éditorial latino-américain.

Ce festival représente une excellente opportunité pour approcher, à travers des perspectives intéressantes et diverses, les tendances littéraires colombiennes actuelles, ainsi que l’état politique et social du pays d’aujourd’hui. C’est, en somme, une bonne occasion de redécouvrir l’histoire et la littérature de ce pays qui, malgré sa situation — ou parfois grâce à elle — produit encore des œuvres littéraires notables