Un ouvrage intéressant, fondé sur des sources d’habitude peu utilisées, qui éclaire ses lecteurs sur l’une des périodes clefs du conflit israélo-palestinien.

Le livre de Denise Ammoun repose sur un parti-pris intéressant : celui de démontrer que depuis quarante ans, Arabes, Israéliens, Américains et Occidentaux luttent, entre les guerres, pour une paix durable au Moyen-Orient. Cette quête de la paix semble même être une véritable "obsession " pour les dirigeants arabes, palestiniens et israéliens.


De plus, l’auteur renouvelle l’approche qui est souvent celle des historiens ou des journalistes lorsque ces derniers traitent du conflit israélo-palestinien dans son rapport aux sources. En effet, Denise Ammoun, journaliste et grand reporter de profession, a fondé son travail sur l’étude de documents variés : journaux arabes, qu’ils soient libanais, égyptiens, syriens ou jordaniens ont été dépouillés, tout comme la presse israélienne. Les mémoires des dirigeants politiques depuis 40 ans sont régulièrement cités et sont la base du travail de recherche de Denise Ammoun. L’auteur a également multiplié les interviews d’hommes politiques et a soigneusement étudié les textes des différents accords de paix, comme Camp David ou encore Oslo. C’est là la principale originalité du livre qui au demeurant pêche souvent par son aspect trop descriptif. Des détails intéressants sur les coulisses de la diplomatie internationale pourront intéresser les lecteurs. On pourra néanmoins regretter qu’il soit en réalité, dans sa présentation, accessible surtout à un public connaissant déjà bien l’histoire du conflit israélo-palestinien.

Anouar El Sadate, "apôtre de la paix" : vers une solution au Moyen-Orient ?

Quiconque s’est promené dans les rues du Caire sait que la figure d’Anouar el Sadate est décriée en Egypte : sur les murs de cette ville tentaculaire, on peut apercevoir des photos ou des portraits de Nasser et bien évidemment de l’actuel président Hosni Moubarak. Pourquoi cet oubli ? Peut-être parce que comme le montre Denise Ammoun, pour une partie du peuple égyptien et du monde arabe, Sadate a trahi l’héritage de Nasser en tentant un rapprochement avec Israël.

En effet, à l’automne 1977, Sadate a annoncé à son entourage, alors fort réticent, sa volonté de se rendre à Jérusalem, afin d’aller prier à la mosquée Al-Aqsa. Ce fut chose faite avant l’hiver 1978, et le voyage de Sadate en Terre Sainte constitua un événement diplomatique majeur, marquant un rapprochement certain entre l’Egypte et Israël. En novembre 1977, Sadate, face aux députés israéliens réunis à la Knesset et au gouvernement de Menahem Begin, prononça un discours historique. Un passage essentiel de cette allocution proclamait notamment le droit d’Israël à vivre sur le territoire reconnu par l’ONU en novembre 1947, à condition que les territoires occupés (Sinaï, Golan et Cisjordanie) à l’issue de la guerre éclair des Six Jours de 1967 soient évacués, après négociations. Comme le montre Denise Ammoun, d’autres rencontres suivirent celle de Jérusalem. Begin fut ainsi le premier dirigeant politique israélien à se rendre au Caire durant l’hiver 1978. La politique de Sadate ne fut pas sans lui attirer l’hostilité de ses voisins arabes : c’est ainsi que Khadafi multiplia à partir de 1978 les appels à l’assassinat du président égyptien, tandis que la famille El Assad et l’ensemble de la presse syrienne manifestaient ouvertement leur hostilité au successeur de Nasser. Malgré des blocages dus à des événements au Liban, et notamment à l’activisme de certains groupes palestiniens au sud Liban, Sadate, Begin et les dirigeants du Proche-Orient se retrouvèrent en mars 78 à Camp David, sous la houlette du président américain Jimmy Carter dont le rôle fort dans le processus de paix israélo-palestinien doit être souligné.

Denise Ammoun décrit alors de façon passionnante les coulisses de cette rencontre, où alors que les discussions se trouvent dans une impasse sur la question du retrait des colons juifs établis dans le Sinaï, des liens d’estime réciproques se nouent par exemple entre Sadate et Ezer Weizman, ministre de la défense du gouvernement de Begin. Après des jours de tension extrême, des menaces de départ du raïs et de violentes colères de Begin, les accords de Camp David sont signés. Ils déchaînent alors la colère du monde arabe, suscite le départ d’Ibrahim Kamel, ministre des affaires étrangères égyptien, qui juge, comme une partie de l’opinion égyptienne et arabe, que Sadate a fait beaucoup trop de concessions à l’égard d’Israël.

L’accord, dans ses grandes lignes, prévoit que les parties concernées vont s’entendre sur l’élection du conseil administratif de l’autorité autonome de Gaza et de la Cisjordanie. Une fois le retrait progressif des forces israéliennes passé, de nouvelles négociations seront conduites afin de déterminer le statut exact de la Cisjordanie et de Gaza. Le problème du tracé des frontières sera alors abordé. Par ailleurs, à Camp David, l’Etat hébreu reconnaît la souveraineté égyptienne sur toute la péninsule du Sinaï. De son côté, l’Egypte reconnaît la liberté de navigation des navires israéliens dans le golfe de Suez, le canal de Suez, le détroit de Tiran et le golfe d’Aqaba. Le statut de Jérusalem, occupé depuis 1967 par les forces de l’état hébreu constitue la pierre d’achoppement des négociations. Mais il s’agit néanmoins là d’un pas décisif.

Le Liban déchiré, la première Intifada et l’impasse Arafat-Israël : quelle paix dans les guerres et la violence au Proche-Orient (1976-1991) ?

Les espoirs nés de Camp David s’éteignirent dans les années 1980. Les figures de la "paix" disparurent de la scène internationale : en novembre 1980 Jimmy Carter perdit les élections à la présidence des Etats-Unis face à Ronald Reagan. Surtout, le 6 octobre 1981, au cours d’une parade militaire célébrant les victoires d’octobre 1973, Anouar el Sadate fut assassiné par un membre de l’organisation du Jihad islamique égyptien.

Surtout, de mars 1976 à janvier 1982, le Liban est déchiré par l’affrontement syro-israélien qui bloque toute avancée du processus de paix. Le problème essentiel pour les Israéliens et qui cristallise toutes les tensions concerne le sud Liban où l’armée de Tsahal souhaite déloger les Palestiniens qui y ont bâti une infrastructure militaire puissante, une sorte "d’Etat dans l’Etat." Cette dernière lance depuis ce bastion des attaques régulières contre l’état hébreu.


Le 5 juin 1982 les tensions entre le Liban, la Syrie et Israël atteignent un point de non-retour lorsque l’armée de Tsahal bombarde durant seize heures d’affilée des villages du Liban-Sud. Beyrouth est ensuite encerclée par les forces conduites par Ariel Sharon. Avec l’assassinat du président libanais Bachir Gemayel et l’évacuation du Liban de l’OLP, conduit par Yasser Arafat, le Liban est secoué par les crises et les massacres de Sabra et Chatila, menacé d’éclatement en raison de l’instabilité politique et des tensions religieuses entre chrétiens et musulmans.

En 1987, la violence revêt une nouvelle forme, qui saisit l’opinion internationale et déroute les Israéliens. L’armée de Tsahal ne parvient pas à maîtriser cette vague de violence qui éclate alors dans les Territoires palestiniens. A la suite d’un incident dans lequel des Palestiniens trouvent la mort, percutés par un véhicule israélien, la première Intifada éclate. Il s’agit d’une nouvelle forme de contestation et de revendication.

1988 et 1989 sont ensuite deux années qui contrastent avec les décennies de tensions que nous venons de décrire. Le 15 novembre 1988, Yasser Arafat, dans un discours extrêmement célèbre, rédigé par le très emblématique poète palestinien Mahmoud Darwich, proclame "au nom de Dieu et au nom du peuple arabe palestinien, l’établissement de l’Etat de Palestine sur la terre palestinienne avec pour capitale la Jérusalem sainte."   . Cet événement fait date et au sein de la communauté internationale, les voix se font entendre pour que le dialogue s’engage entre Israël et Palestine, pour qu’une réelle reconnaissance mutuelle voit le jour.

Ensuite, en décembre 1988, dans un discours fleuve, Yasser Arafat développe les données de l’initiative de paix palestinienne. Cette allocution est la suite logique de l’événement du 15 novembre. Le leader palestinien souhaite que la Palestine, en tant qu’Etat ait une vraie existence diplomatique sur la scène internationale. La concertation avec Israël est une voie possible de cette évolution vers la "légalisation" de l’OLP comme organisation politique et de la Palestine comme "Etat" aux frontières problématiques. Arafat appelle donc en décembre 1988 à la réunion d’un comité préparatoire sous l’égide de l’ONU pour une conférence internationale de paix au Moyen-Orient.

Les négociations israélo-palestiniennes reprennent donc en 1988-1989 dans un contexte pour la première fois différent depuis les années 1970. Après des mois de contacts, la conférence de Madrid s’ouvre en octobre 1991 en présence de ses parrains Georges Bush et Mikhaïl Gorbatchev. Le monde entier retient son souffle. Un accord va-t-il voir le jour, mettant fin aux violences qui secouent le Proche-Orient ? Madrid est en réalité un échec, en raison des tensions entre Israéliens et Syriens. 

D’Oslo à Camp David II : du temps des poignées de main aux assassinats, quel processus de paix à l’heure actuelle entre Israëliens et Palestiniens ?

Le processus de paix prend un virage décisif avec l’arrivée du travailliste Yitzhak Rabin au poste de Premier ministre. Mahmoud Abbas et Yasser Arafat regardent avec satisfaction l’évolution de la ligne politique d’Israël sous le gouvernement de Rabin. On ajoutera que la fin de la guerre du Golfe en 1991 participe de ce retour à un calme relatif au Proche-Orient. Dans ce contexte, et grâce entre autres à l’action du ministre norvégien des Affaires étrangères Terje Larsen, spécialiste des questions du Proche-Orient, et de Johan Host, ministre norvégien de la Défense, le processus de rapprochement israélo-palestinien s’accélère en 1992-1993. De plus, le président syrien Hafez El Assad qui jusqu'ici se caractérisait par son intransigeance à l’égard d’Israël et son soutien fort au Hezbollah libanais et au Hamas, s’engage, sous la pression américaine, dans un processus graduel de reconnaissance de l’Etat hébreu.

Les accords d’Oslo sont le résultat de ces évolutions. Un premier accord historique est signé le 19 août à Oslo. Une seconde signature, plus officielle, devant un parterre de personnalités, a lieu à la Maison Blanche. L’OLP admet l’existence d’Israël et l’Etat hébreu "reconnaît  l’Organisation de libération de la Palestine comme le représentant du peuple palestinien"   . Surtout les deux parties s’engagent à conduire des négociations pour la paix au Proche-Orient. Rabin et Arafat échangent une poignée de main historique sous les yeux de Bill Clinton, image qui fera le tour du monde... Cette avancée de taille est suivie en 1995 des accords de Jéricho-Gaza. Cet accord précise d'abord les compétences et les modalités d’élections d'un Conseil législatif palestinien, dont les quatre-vingt membres sont effectivement élus en janvier 1996. Par ailleurs, la dynamique amorcée avec le transfert de la bande de Gaza et de Jéricho à l’Autorité palestinienne est complétée d’un retrait militaire israélien des villes et villages palestiniens Avec ces retraits, la Cisjordanie est morcelée en zones de plusieurs types. En décembre 1994, Yasser Arafat, Yitzhak Rabin et Shimon Peres reçoivent le prix Nobel de la paix. Malgré la fusillade d’Hébron, perpétrée par Baroukh Goldstein et au cours de laquelle des dizaines de musulmans ont trouvé la mort tandis qu’ils priaient un vendredi sur l’esplanade d’une mosquée, un climat nouveau règne en quelque sorte au Proche-Orient. Mais l’assassinat de Rabin par un jeune extrémiste religieux Yigal Amir place des Rois d’Israël à Tel-Aviv en novembre 1995 marque un coup d’arrêt dans le processus de paix.

Mais les choses changent ensuite. Avec l’arrivé de Benyamin Netanyahou au pouvoir, les relations israélo-palestiniennes sont de plus en plus difficiles. En effet, ce dernier ne souhaite pas poursuivre la politique de Peres et de Rabin. Au contraire, il encourage la colonisation à Gaza et en Cisjordanie et renforce la souveraineté d’Israël sur Jérusalem, en autorisant la construction d’une nouvelle implantation à Jérusalem-Est.

Depuis 2001, avec la politique de Sharon et les attentats du 11 septembre, les choses ont pris un tout autre tournant. Assigné à résidence à Ramallah, Arafat, malade, voit Tsahal réoccuper toutes les villes de Cisjordanie. Le mur de séparation s’élève désormais à Jérusalem Est. En 2004, Arafat décède à l’hôpital militaire de Clamart dans des circonstances troubles que son successeur Mahmoud Abbas saura exploiter. En 2006, un événement décisif se déroule dans les Territoires palestiniens lorsque le Hamas, mouvement de résistance qualifié de terroriste par les Etats-Unis et l’Union Européenne, remporte une victoire contre le Fatah du président Abbas. L’opération  "Plomb durci" de 2008-2009 perpétrée par Tsahal sur Gaza témoigne de l’impasse actuelle dans laquelle se trouve le dialogue israélo-palestinien

 

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