La protection des sources des journalistes supposée être "la pierre angulaire de la liberté de la presse" est mise à mal depuis quelques mois par des affaires médiatiques. De Wikileaks à Bettencourt, deux extrêmes se font face dans la pratique journalistique. D’un côté, Wikileaks et son anonymat hyper-sécurisé pourvoie des informations "sans sources", ni traitement journalistique préalable et les divulgue sur internet non sans générer des polémiques au sein du monde journalistique. De l’autre, dans l’affaire Bettencourt, trois cas d’ordinateurs volés à des journalistes impliqués dans l’enquête et les recours en justice du journal Le Monde pour violation du secret des sources soulève le monde des médias. Les sources, piliers sacrés de tout journaliste deviennent problématiques et redéfinissent la pratique journalistique. Leur importance actuelle et leur protection illustrent l'écart croissant entre les journalistes et l’Etat. Dans l’affaire Wikileaks, l’armée américaine est en cause face aux révélations de documents classés "secret" sur la guerre en Irak et en Afghanistan. Dans l’affaire Bettencourt les soupçons envers le gouvernement sont de plus en plus virulents. L’instance judiciaire est aussi ébranlée. Le procureur Philippe Courroye s’est récemment procuré la liste des appels téléphoniques du journaliste Gérard Davet et d’un autre reporter, Jacques Follorou, sans autorisation de ces journalistes.

Quand les journalistes parlent de la protection des sources, les termes de " violation de la loi" se superposent ainsi à ceux d’ "atteinte à la démocratie", à la "liberté d’informer" ou encore à "l’Etat tout puissant". La protection des sources des journalistes pose problème par sa teneur politique, juridique et professionnelle. Il suffit de regarder les commentaires des internautes en bas des articles traitant de la question. Les critiques à l’encontre du gouvernement se mêlent à des déclarations passionnées sur la liberté de la presse, quand d’autres, plus neutres, s’intéressent à l’aspect strictement judicaire. L’imbroglio de problématiques liées à la protection des sources ne doit pas cacher l’essentiel : pourquoi cette protection particulière pose-t-elle de plus en plus de problèmes aujourd’hui ? A-t-on le droit de l’ériger en dogme au mépris du reste ? Pourquoi, a contrario, le pouvoir n’hésite-t-il pas à la bafouer ?

 

S’il n’y a pas lieu de faire d’amalgames entre les deux affaires, chacune témoigne d’une nouvelle donne dans l’exercice de la profession journalistique. Pour Wikileaks, l’information brute est toute puissante. Wikileaks,  sorte de machine impersonnelle qui revendique le rôle d’ "agence de renseignement du peuple" interroge finalement  la responsabilité du journaliste : toute information est-elle bonne à divulguer surtout quand on ne connaît pas son origine ? Comment faire face à des informations qui ne sortent pas d’agences de presse ?  Deux grands quotidiens américains avaient dû relayer les fuites pour répondre à l’impératif "scoop" ou "actualité" de l’affaire sans pour autant cautionner la façon dont les informations avaient été dévoilées. Dans l’affaire Bettencourt, l’enquête judiciaire a commencé suite à des « révélations » faites par des « enregistrements clandestins ». La question de la source posait problème par son aspect illégal ; et ce, malgré les révélations importantes que ces enregistrements avait produites. Rappelons que Mme Bettencourt et Mr Banier avaient déposé une plainte au parquet de Nanterre pour atteinte à la vie privée. Aujourd’hui, les méthodes utilisées pour contrer le travail des journalistes impliqués dans l’affaire ne vaut pas plus : cambriolage et espionnage des relevés téléphoniques privés. Que ce soit dans le cadre administratif, judiciaire ou journalistique, les pratiques déloyales sont devenues de mise. La Raison d’Etat et la liberté d’informer s’opposent, le fossé se creuse entre le gouvernement, les institutions démocratiques et le monde des médias.

Un article du journal Le Monde, du 23 octobre dernier, sur "l’atteinte intolérable à la liberté d’informer" concluait au bafouement des principes journalistiques par les récentes affaires. Il citait notamment le rôle de "contre-pouvoir" des médias. Mais les médias peuvent-ils encore aujourd’hui se revendiquer comme contre-pouvoir sans entrer dans des pratiques déloyales ? Face aux pleins-pouvoirs des structures étatiques ou militaires, la structure médiatique, pour se protéger ou pour trouver une information, revoie à la baisse ses exigences. La poursuite de la vérité n’est plus seulement dangereuse mais aussi illégale. Le piratage, la violation de la vie privée sont aussi des délits. Si la nécessité de protéger ses sources reste indéniable, la manière dont on les obtient est plus contestable. A un Julien Assange   tout puissant et sans retenue répond la CIA par ses avertissements.

La protection des sources qu’elle soit extrême et presque une entrave à la qualité de l’information dans le cas de Wikileaks ou bafouée dans le cas de l’affaire Bettencourt révèle bien les difficultés aujourd’hui pour un journaliste d’exercer son métier sans "se mouiller"