Tandis que l’Hadopi a commencé à envoyer, voilà près d’un mois, ses premiers mails d’avertissement aux internautes, le MOTif, observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France, vient de rendre publique une enquête dressant le profil des pirates de livres numériques. L’étude, intitulée Portrait des cyber-pirates du livres,  permet de dresser un "profil type" du pirate d’ebooks, de cerner ses usages et d'évaluer sa consommation, ainsi que de comprendre ses motivations. L’enquête permet enfin d’estimer l’offre illégale déjà présente sur Internet. Mais à quoi ressemble donc le "portrait-robot" d'un pirate du livre ? 

Première surprise, l’étude nous emmène loin du cliché du pirate adolescent, accro aux sites de peer2peer : les hackers d’ebooks sont en moyenne âgés de 29 ans. De catégories socioprofessionnelles diverses (les étudiants sont tout de même surreprésentés, puisqu’ils constituent 30% de l’échantillon), la plupart des pirates peuvent aussi être considérés, de manière générale, comme de gros lecteurs – 25 livres lus en moyenne par an. Egalement surprenant : à quelques exceptions près, tous sont consommateurs de livres "papier" ; leur budget annuel moyen consacré à l’achat de livres "papier" se situe entre 250 et 350 euros. Leur consommation enfin, peut être apparentée à de l’échantillonnage – l’économiste Françoise Benhamou parle de "sampling ". Aussi les pirates du livre, contrairement à ceux qui téléchargent de la musique ou des vidéos, ont-ils tendance à ne consommer qu’une seule fois les fichiers numériques illégaux, et sont particulièrement sensibles à l’ "offre bouquet" d'ebooks, plutôt qu’au téléchargement à l’unité. 

L’enquête révèle aussi les motivations, très diverses, des pirates du livre : les internautes se contentant de télécharger illégalement les livres sur Internet cherchent avant tout à se procurer des ouvrages difficiles à trouver en version papier et numérique, ainsi qu’à lire gratuitement les œuvres téléchargées. Les pirates "uploadeurs", qui mettent à disposition les ebooks sur Internet en les téléchargeant ou en partageant les fichiers déjà existants sont eux motivés par un sentiment quasi altruiste : l’un des pirates présente son activité comme "le plaisir de partager. Redonner aux autres ce que j’ai moi-même reçu. Participer à un vaste mouvement de remise en cause globale des droits d’auteur et de prise de contrôle des "petites gens""  

Si l’étude du MOTif permet de dresser un portrait type du "pirate littéraire", sa fiabilité peut néanmoins être discutée, notamment par la méthodologie employée pour recevoir les témoignages. Loin d’être exhaustive, l’étude ne s’appuie en effet que sur le témoignage –anonyme – de trente pirates d’ebooks, dont la moitié seulement a accepté de répondre au questionnaire d’enquête dans sa totalité. Contactée directement par emails ou par le biais d’annonces sur des forums et sites spécialisés, la majorité des pirates s’est montrée méfiante, voire réticente à l’idée de répondre à une telle étude. 

Bien que biaisée par son échantillonnage trop ténu, l’enquête menée permet cependant de révéler l’incohérence de la situation éditoriale actuelle : à l’heure de l’explosion sur le marché des tablettes telles que l’iPad, le marché du livre numérique ne représente encore que 2,6% du marché du livre en France. Les catalogues numériques des éditeurs, trop pauvres en contenu et dont les prix restent trop élevés (un livre numérique coûte en moyenne 12,50 euros contre 15 dans sa version papier) alimentent les plateformes d’offre numérique légale de manière encore trop sporadique. Il est donc nécessaire, pour éviter d’étouffer le livre numérique dans l’œuf, de diversifier l’offre littéraire numérique sur les 31 plateformes françaises de téléchargement légal et d’abaisser les prix, encore trop prohibitifs

 
* L'enquête "Portrait des cyber-pirates du livre" réalisée par Mathias Daval et Rémi Douine sur le site du MOTif.