Dans le cadre de sa conférence philosophique hebdomadaire au MK2 Hautefeuille, Charles Pépin abordait le 18 octobre dernier la question de la liberté de penser, et plus précisément celle de son utilité dans un système démocratique moderne.

En se demandant "à quoi sert la liberté de penser ?", le philosophe a interrogé la faculté de notre société à produire du changement politique, une question au cœur de l'actualité qui permet d'apprécier sous une autre lumière les événements de ces dernières semaines...

Dans un premier temps, Charles Pépin remarque que la plupart des grands philosophes qui se sont intéressés à l'action politique n'ont pas relié cette notion à celle de la liberté de penser. Pour Platon et Aristote, par exemple, elles appartiennent à deux sphères tout à fait distinctes, tandis que pour Spinoza et Sartre, l'idée d'une pensée libre est en elle-même inconsistante.

Pourtant, la liberté de penser est communément considérée comme un élément essentiel de notre démocratie contemporaine. Corrélée, voire assimilée à la liberté d'expression, elle se manifeste par des voies toujours plus variées, au rythme de l'évolution des médias et de leurs technologies. Le philosophe mentionne ainsi le développement des micros-trottoirs, des émissions de radio participatives, du rôle des sondages, qu'il voit comme la manifestation de la montée d'une culture de l'opinion, encourageant constamment les individus à donner leur avis (le plus souvent par un simple "pour" ou "contre").

En quoi ce phénomène contribue-t-il à notre démocratie ? S'appuyant sur les écrits d'Emmanuel Kant (qui affirma "raisonnez autant que vous voudrez, et sur tout ce que vous voudrez, mais obéissez"), Charles Pépin explique qu'elle joue en fait un rôle de soupape de sécurité: la possibilité de s'exprimer fonctionne comme un exutoire, elle permet de maintenir l'obéissance et d'éviter la révolution. Plutôt que de générer de l'action politique, elle se fait le bras armé de la servitude et de l’immobilisme.

La liberté de penser ne serait ainsi qu'un moyen de camoufler l'absence de notre liberté d'agir. Pépin observe que l'explosion des médias participatifs cohabite avec une participation politique faiblissante et s'interroge : le règne de l'expression toute puissante est-il en train de dévorer notre expression politique ?

Pour le philosophe, la liberté de penser pourrait et devrait générer de l'action politique. Il faudrait pour cela questionner son interprétation individualiste, puisque la revendication individuelle de l'opinion semble incapable de contribuer à un débat politique productif. Pépin souligne ainsi que l'on ne peut construire quelque chose de fort politiquement ou socialement, qu'ensemble. Il affirme dans le même temps que la seule véritable libre pensée qui soit est celle qui s'élabore collectivement, de cette façon, elle se détache des individualités y ayant contribué pour devenir la production d'un groupe.

Alors que la liberté de penser, au sens commun, consacre l'accumulation d'opinions individuelles, Charles Pépin estime que son rôle démocratique ne saurait être pleinement effectif que par une réappropriation collective de cette idée. Derrière la question du rôle de la liberté de penser apparaît ainsi l'exigence d'une liberté de penser constructive, consacrant l'action politique plutôt qu'un simple "droit de gueuler". S'il semble clairement anti-démocratique d'empêcher les citoyens de s'exprimer, il resterait donc à construire les conditions d'un véritable dialogue politique et social, afin que la liberté de penser puisse réellement servir la démocratie.

 

* Prochaine conférence : "Qu'est-ce qu'une relation humaine ?", lundi 8 novembre, MK2 Hautefeuille (Paris, 6e).

 

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