Un dossier sur la formule du débat participatif en matière éthique mais qui ne fait que survoler la matière.

La lecture du dossier consacré à “La bioéthique en débat”, paru au tome 53 de la revue Archives de philosophie du droit, se solde malheureusement par une double déception. Il ne faut pas rechercher dans les articles proposés à notre lecture une analyse sur le fond du débat bioéthique, ni vouloir y trouver des éléments de philosophie du droit.   Le titre du dossier et son média n’ont au final que peu de rapport avec le contenu réel de cette recherche collective. Ces contributions sont issues d’un projet de recherche intitulé “Situer l’expertise factuelle et l’éthique dans le débat public institutionnalisé : premières analyses des "Etats généraux de la bioéthique"“   . Ce titre a le mérite de clarifier les choses en posant le sujet réel de cette étude, à savoir une analyse de la forme des débats participatifs en matière éthique, à travers, notamment et principalement, l’étude des Etats généraux de la bioéthique. Toutefois, le traitement spécifique de cette question par les différentes contributions nous laisse également sur notre faim.

Tout au long de cette étude, l’attention est portée sur différents facteurs, à savoir, la place des experts dans les consultations publiques, les règles de discussion qui encadrent les débats, l’indépendance et l’objectivité de telles consultations.

Ces Etats généraux de la bioéthique (EGB) s’articulaient autour d’un site internet participatif et de trois forums citoyens régionaux organisés à Marseille, Lille et Strasbourg, et dont les conclusions furent débattues lors d’un forum national organisé le 23 juin 2009 à Paris. Dans ces forums, le débat se déroulait principalement entre des citoyens-jurés formés au préalable “à la conduite d’un débat sur des thématiques complexes compréhensibles par tous” et des grands témoins (à savoir “des spécialistes et experts scientifiques et éthiques, des philosophes” toujours selon le site internet des EGB).

 

Le débat face aux grands témoins

La place et le statut de ces grands témoins sont un élément central du dossier. Philippe Descamps soulève le problème du choix de ces personnalités, un choix laissé à l’entière discrétion du comité de pilotage des Etats généraux [p.289]. Par contre, Anna Zielinska ne semble pas y voir de problème, approuvant finalement le choix fait “du point de vue de la pertinence des contributions de ceux-ci aux problèmes engagés en biomédecine” [p.315]. Florence Quinche insiste pour sa part sur l’ambigüité de leur statut : nommées “témoins”, ces personnes semblent plus proche d’un rôle d’expert et sont généralement des personnalités médiatiques reconnues. De plus, la terminologie même de leur fonction pose problème quant à la portée de leur discours. La validité du témoignage est en effet plus difficile à remettre en cause que l’expertise [pp.295-296]. Par la position de ces experts et la forme des débats, cette auteure assimile ces forums régionaux à la consultation d’une autorité, voire d’un oracle [p.296]. Caroline Guibet Lafaye et Emmanuel Picavet interrogent également le statut “assez difficile à préciser” [p.369] de ces personnalités dont la place équivaut à personnifier d’une certaine manière les débats habituels sur la matière.

La position d’Anna Zielinska qui se démarque de celle des autres auteurs doit être explicitée. Sa contribution se veut une défense du rôle des experts et de leur place dans la société, voire en tant que composante fondamentale des démocraties. Elle part dans un premier temps du postulat que l’Etat se doit d’être neutre éthiquement, l’intervention d’un Ministre aux EGB pour défendre certaines valeurs ne correspondant pas à cette exigence de neutralité [p.312]. Cette vision, qui confond neutralité du processus participatif et une possible neutralité de l’Etat, est à mettre en relation avec la suite de cette contribution. Cette auteure regrette que ces EGB aient été conçus sur le fond d’une méfiance de l’expertise, voire du constat affirmé de leur incapacité à résoudre les problèmes éthiques [p.313]. Une partie importante de sa contribution tente ainsi de redorer le blason de ces experts. Elle commence par minimiser l’apport de la formule des EGB, les questions des citoyens n’ayant pas “fait avancer de façon significative les discussions menées” [p.314] et les experts n’y ayant rien appris [p.315]. Elle se fait ensuite l’avocate de l’éthique des chercheurs et de leur sensibilité “aux aspects humains au sens large” de leurs recherches [p.316]. Et elle conclut que les EGB “s’inscrivent dans le processus d’altération des équilibres des pouvoirs” [p.319], et qu’ils ne représenteraient pas moins qu’une remise en cause du modèle de démocratie représentative en vigueur en France [p.317]. Au final, l’auteure propose de ne confier la réflexion sur la révision des lois de bioéthique qu’à un comité d’experts travaillant en collaboration avec l’exécutif et le législatif, la participation des citoyens étant reléguée à leur seule consultation par l’intermédiaire d’un site Internet [p.319]. On en viendrait à croire que l’auteure confond démocratie et expertocratie.

 

Les citoyens dans le débat

D’autres contributions interrogent la place des citoyens, mais pour valoriser leur rôle au sein des débats. Florence Quinche procède ainsi à une longue classification des arguments des citoyens en fonction d’une typologie issue des théories de la communication [pp.298 et s.]. Si l’effort est intéressant, il manque sa cible, la seule conclusion de l’auteure étant de remarquer une “richesse argumentative des messages de citoyens” qui “va bien au-delà de ce que l’on peut imaginer du citoyen lambda” [p.309].

Afin de permettre une telle émergence, le comité de pilotage des EGB avait mis en place des formations en bioéthique pour les membres du panel de citoyens participants. Toutefois, dans leur contribution, Laurence Brunet et Catherine Dekeuwer, deux des formatrices, critiquent une organisation précipitée de ces formations [p.327] et le problème des thèmes de formations imposés par le comité de pilotage [p.329]. Au final, elles constatent que les citoyens ont peut-être reçu des informations sur la matière, mais en aucun cas une formation leur permettant de se forger leur propre opinion critique [p.330]. En ce sens, Philippe Decamps analyse les EGB comme une vaste entreprise pédagogique “destinée à réaffirmer les principes et les positions qui ont orienté jusqu’à présent la rédaction des lois successives de bioéthique” [p.288]. Toutefois, l’analyse du rapport final des EGB par cet auteur reste très succincte, voire superficielle. Si quelques questions intéressantes sont posées, leur traitement, quand il existe, nous laisse sur notre faim.

L’espace de discussion

Caroline Guibet Lafaye et Emmanuel Picavet soulignent la restriction de l’espace où la discussion est “autorisée” [p.370]. Sont en effet exclues a priori toute vision utilitariste (conséquentialiste) de la matière éthique et toute approche centrée sur la technique, sur un “dogme techniciste” [p.370]. Ainsi, le gouvernement a souhaité que ces EGB soient encadrés par des valeurs et des principes (consentement, anonymat et gratuité, indisponibilité du corps humain …) [p.371], tout en précisant que "le débat ouvert devrait ainsi permettre d’éprouver la capacité de nos valeurs à être partagées et collectivement reconnues, quelles que soient les particularités de chacun   ." On trouve enfin au sein de cette contribution, aux pages 376-378, les seules véritables lignes de ce dossier propres à un questionnement bioéthique. Les auteurs se concentrent notamment sur un type d’argumentaire particulier, celui de l’appel à la “nature” tant par les citoyens que par les grands témoins. Cet appel postule une normativité de la nature prompte à clore tout compromis en matière bioéthique. De plus, ces auteurs soulignent également que cette “concentration du débat sur les aspects "naturels" permet de faire ressortir, par contraste, ce qui relève d’une exploitation arbitrairement introduite du fait de la présence d’inégalités de condition entre les êtres”. Dans ce cadre, l’identification d’un problème éthique passe par le préalable de l’identification des victimes de modifications apportées par l’homme à un certain ordre naturel. Au final, ces auteurs en concluent que l’utilisation des arguments naturels vient brouiller “la frontière entre l’expertise des sciences naturelles et l’expertise éthique”. Si cette analyse est intéressante, elle n’est pour autant pas novatrice.

Enfin, dans la dernière contribution, Bernard Reber revient et conclut sur les procédures mises en place pour permettre le débat. Après avoir salué la tenue des EGB, il rappelle les différents problèmes que l’on peut classer en deux catégories. Premièrement, un problème quant à la neutralité nécessaire d’un tel processus. Tant la participation de membres du gouvernement, de représentants des ministères et des institutions [pp.335-336], que la place des experts “grands témoins”, semblent remettre en cause un débat dont les conclusions doivent venir d’en bas, sans être pilotées par en haut. Deuxièmement, un problème dans la vision du débat en matière éthique, que ce soit par la confusion entre le factuel et le normatif [pp.347 et 364], l’absence de transparence quant aux choix faits par le comité de pilotage des EGB [p.361] ou encore la valorisation du consensus mou dans les débats, l’auteur parle de “tolérance”, qui serait un frein “à la hauteur des enjeux scientifiques et éthiques” [p.364].

On ressort de cette lecture avec une impression très mitigée quant à l’apport des différentes contributions. On a l’impression d’être face à un travail qui n’est pas fini, un travail encore au stade des questions et de l’analyse. Cet ouvrage est susceptible d’intéresser les personnes averties du sujet des EGB, ainsi que les étudiants et les chercheurs dans les disciplines du droit, de la sociologie ou de la communication