Les origines de la culture et des sciences médicales s'enchevêtrent dans celle de l’homo sapiens. Étant en action, l'homme crée les règles de sa propre auto-évaluation.

Êtes-vous à la recherche d'un solide exposé sur l'humanisme médical, c'est-à-dire celui qui se définit comme une approche concrète du souci de la dignité humaine ? Louis Roy nous offre une réflexion très riche sur la médecine et surtout sur sa trajectoire et son rapport au monde. En raison de l'approche humaniste déclarée dès le départ, on ne peut qu'être agréablement surpris de savoir que l'ouvrage pourrait toucher un public plus important que ceux qui sont directement impliqués dans la pratique médicale. Tout lecteur pourra profiter de la rigueur de l'exposé scientifique qui prend pour repère un axe temporel partant des origines de l'univers et l'apparition de la vie sur la terre jusqu'à nos jours. Il s'y dévoile par ailleurs une analyse des paradigmes médicaux à partir des données humaines et environnementales.

 

Dans l'idée que nous nous faisons de la médecine, il arrive peu souvent que la dimension philosophique soit prise en compte. Quelle est, peut-on en effet se demander, la base morale ou éthique des sciences médicales ? L'histoire des sciences médicales prouve que le paradigme médical change avec le temps. Qui ne se souvient pas des alchimistes du Moyen-Âge dont Johannes de Rupescissa (Jean de Roquetaillade) est l'un des plus illustres représentants ? Ce dernier développa l'idée de quintessence dont la sublimation de l'or fut l'une des plus surprenantes révélations. L'or était, pensait-il, le sésame de la médecine universelle   . On doit pareillement à l'alchimie médiévale, mélange de physique, de métaphysique et d'astronomie, la quête de la pierre philosophale, à laquelle était prêtée le pouvoir de transmutation des métaux vils en métaux précieux. Des alchimistes attribuaient des vertus médicales, à cette époque, à la purification par l'or. Cette méthode aussi douteuse que nébuleuse fut dans l'histoire, par moments, fatale. On peut souligner le décès de Diane de Poitiers en exemple. Il est établi qu'elle mourut des suites d'un empoisonnement progressif lié à la consommation d'un élixir de longue vie à base d'or. Ce qui choquerait aujourd'hui n'était donc pas inadmissible à l'époque. Il est clair que les sciences médicales ont évolué, passant du stade de “proto-médecine”, teintée des rites et mythes, à celui de sciences autonomes définies par des règles précises d'évaluation. Le recours unique au génie de la nature prend en compte désormais un savoir et une démarche intellectuelle fondamentale. Il ne faut toutefois pas oublier que dans certaines sociétés de peuples premiers, le paradigme médical demeure métaphysiquement connoté et essentiellement naturaliste.

 

Les savoirs naturalistes ont des critères qui leurs sont propres. Éloignée des méthodes des sciences médicales occidentales, la médecine traditionnelle dépend quasiment des ressources disponibles dans la nature et n'utilise pas, pour attester de son efficacité, les règles de l'expérimentation scientifique. Toutefois, la médecine moderne qui lui est différente par la démarche n'est ni hors de la nature ni contre elle. Comme pour la science en général, l'homme détourne les lois de la nature contre elle-même. Il lui faut pour cela passer par l'expérience, soit par la pratique répétée, soit expérimentalement, ce qui impliquerait l'observation des phénomènes tirés de l'expérience dont on dégagerait des lois. L'historique de cette démarche en matière médicale nous ferait remonter aux premières grandes civilisations. On en a des récits avec les égyptiens qui surent développer une science de la momification qui consistait à ôter du corps ses impuretés et à l'enduire de matières préparées selon l'art des embaumeurs, de manière à en assurer l'imputrescibilité pendant la durée la plus longue possible. Cette technique a fait ses preuves. Les grecs quant à eux ont fait progresser le paradigme médical en léguant à l'humanité une conception philosophique de la santé encore d'actualité. Hippocrate en effet, le médecin grec le plus connu, la décrivit comme “le tempérament des humeurs”, ce qui avait pour conséquence de justifier la recherche de la juste mesure entre les composants fondamentaux de l'homme. L'histoire de la médecine étant une continuité, l'endocrinologie peut-être considérée comme une forme moderne de “réglage des humeurs”, d’autant plus qu'elle sert à corriger certains désordres hormonaux dans le corps.

 

Le médecin a en face de lui un sujet et pas seulement un corps. Ce corps est l'incarnation de la personne qui possède une triple dimension : physique, sociale et psychologique. L'Organisation Mondiale de la Santé a défini en 1946 la santé comme un état complet de bien être physique, social et mental. Cette définition qui traduit un idéal et non un objectif semble pourtant toucher partiellement le médecin. Il n'est pas de son ressort de s'occuper directement de l'état social de l'individu et encore moins de se substituer au patient. Il peut en revanche faire office de conseiller auprès des personnes affectées par des maladies graves et orienter la décision. Cette disponibilité, parallèlement au choix des soins à prodiguer, constitue l'un des aspects de la prise en compte de la dignité pendant le traitement. Cette tâche s'avère difficile pour les pathologies lourdes ou complexes lorsque le patient réclame la mort. Le respect de la dignité du patient est sacré, comme il en va d'ailleurs de sa vie, voire de toute vie. C'est l'autre modalité de la dignité, qu'on retrouve dans les questions liées à la vie en général. L'auteur reconnaît à l'embryon, au fœtus ou au nouveau-né un crédit de respect antérieur à la constitution juridique ou corporelle finale de la personne physique. Il faut pourtant croire que ces débats dépassent le médecin.

Dans la déclaration sur le génome humain et les droits de l'homme de 1997, et dans celle sur la bioéthique et les droits de l'homme de 2005, la dignité a reçu une consécration internationale. Ces textes de droit internationaux ne permettent pas de trancher le débat qui a cours entre les tenants de la conception qui fait de la dignité l'attribut de toute vie humaine et celles des défenseurs de la thèse qui y voient le socle de l'autonomie de la volonté. La dignité dans ces deux cas introduit des conséquences différentes qui vont de la solidarité à la quête individuelle du bonheur. Les fondements de ces deux philosophies peuvent aussi être transposés aux enjeux sociaux des sciences biotechnologiques qui interviennent dans des possibilités de soins radicalement nouvelles. Les limites de la technologie médicale seraient ainsi sérieusement variables, conformément aux morales qui déterminent les choix scientifiques. C'est le cas par exemple du clonage reproductif ou de l'utilisation des cellules souches embryonnaires à des fins thérapeutiques. En cas de conflit d'interprétation philosophique, selon Louis Roy, la réflexion éthique interviendrait comme une démarche pragmatique qui, sans recourir à l'autorité de la morale, permettrait de trouver un consensus sur la définition ou la portée du bien. Le respect de la personne demeure toutefois un critère plancher en dessous duquel il est impossible de transiger, de manière à ce que l'homme soit considéré toujours comme une fin, et jamais comme un moyen. S'il semble que pour Louis Roy, qui fait honneur à la philosophie de Kant, le commerce des éléments du corps humain porte atteinte à la “dimension ipse” de l'identité (p. 151). Pour les utilitaristes en revanche, le corps humain peut et doit servir, c'est-à-dire aussi longtemps qu'il existe des raisons légitimes de penser qu'il reste utile à une autre vie.

 

Cette conception de la vie est un cran au-dessus du respect que les humains vouent en général aux végétaux et aux animaux. L'auteur parle pour ce faire d'attentats commis contre la nature. Il faut cependant accepter que la nature est fragilisée, que le risque et la précaution doivent désormais être pris en compte et que l'intégrité de la nature doit être recherchée avec soin, parce qu'il faut avant tout la juger digne de bénéficier d'un traitement favorable aussi juste que nécessaire. Il importe d'indiquer d'ailleurs sur ce sujet l'irrésistible aporie qui entache toutes les écophilosophies  modernes. La question de la fin et des moyens ne se résout pas seulement au plan de la logique philosophique, elle n'a qu'une emprise relative, voire modérée sur le réel. L'action de l'homme sur la nature est une réalité philosophiquement validée par les thèses utilitaristes. Certains courants écologistes contestent cette philosophie qui devient difficilement supportable pour la planète entière. L'éthique médicale qui a l'homme pour objet et le respect de la dignité pour règle est aussi mise en question dans toutes les atteintes portées à l'intégrité originelle du vivant, qui ne se limite pas seulement à l'homme, et que certains attendent de voir étendue, au-delà des simples émotions, juridiquement parlant, à l'ensemble des vivants.

 

Précis, minutieux et fouillé, cet ouvrage conviendra aux étudiants qui ont envie de faire un voyage dans le temps pour découvrir les origines du phénomène d'hominisation, les ruptures successives apportées par la culture, les sciences et la pratique médicale moderne. On ne se perd pas dans un exposé scientifique de profondeur. L'ouvrage que nous recommandons est intéressant du point de vue de l'importance de la sensibilité humaniste démontrée en chaque idée exposée. La médecine ne peut pas ne pas inspirer ou interpeller toute conscience qui se croit enracinée dans le passé et tournée vers l'avenir. Le laboratoire du savant est celui dans lequel la médecine, historiquement parlant s'est développée, c'est-à-dire aussi et avant tout la société et l'environnement, représentations qui expliquent l'ensemble les corrélations entre le travail du chercheur, du médecin et les pratiques sociales. Sans environnement, il n'y aurait pas de vie, et la vie même qui est l'objet de la médecine conditionne l'existence de toute société. L'éthique médicale qui intègre à la fois des règles juridiques et para-juridiques est livrée sans excentricité, dépouillée de l'enveloppe corporatiste pour embrasser les systèmes de savoirs transdisciplinaires. La preuve en est que l'auteur a su faire, en évacuant la notion d'autorité, une convaincante transition entre l'éthique et la morale.  Les médecins et les chercheurs en bioéthique ne doivent donc pas passer à côté de ce condensé d'analyses et d'histoire philosophique. A l'instar de ces derniers, les juristes profiteront de l'excellente contribution sur la dignité humaine, et les environnementalistes sauront découvrir une réflexion raisonnable à mi-chemin de l'écologie sociale et de l'éthique du bien-être