La blogosphère américaine continue de se passionner pour les élections des midterms du mois prochain et chaque site s’adonne au jeu des pronostics. Comme une large victoire républicaine est probable (à la Chambre et peut-être même au Sénat), les blogueurs se concentrent sur l’après-élection et se demandent : quels seront les effets du retour d’une majorité républicaine à Washington ?

 

Le renforcement de la droite conservatrice

Il semble que depuis la victoire historique de Ronald Reagan aux présidentielles de 1980, chaque victoire successive du parti républicain a marqué un durcissement conservateur de la droite américaine (en 1994 ou 2000 par exemple).

Lors du cycle électoral actuel, l’un des visages les plus médiatiques de la droite dure est celui du sénateur de la Caroline du Sud, Jim DeMint. Il a attiré l’attention de nombreux blogueurs le week-end dernier en expliquant que les homosexuels et les femmes célibataires sexuellement actives ne devraient pas avoir le droit d’enseigner dans les écoles. Sur le site de Crooks and Liars, Nicolle Belle n’hésite pas à se lancer dans un amalgame polémique: “Remember the tea bagger fear that Sharia law was coming to the US? Remind me again, how are the religious right of this country different? Okay, maybe Jim DeMint isn't recommending stoning...but really, how much longer do you think that will take? [Vous vous rappelez la peur des fans du Tea Party Movement de voir la Charia arriver aux Etats-Unis ? Il faut qu’on m’explique la différence entre la droite religieuse de ce pays et la Charia. C’est vrai que Jim DeMint n’en appelle pas au lynchage… mais donnez-lui encore un peu de temps”]. Le rapprochement entre les conservateurs évangéliques américains et les fondamentalistes musulmans est un thème qui se répand. Le Représentant démocrate de Floride, Alan Grayson, en a même fait le thème central de l’un de ses spots de campagne.

 

Les Républicains sont-ils sincères ?

Si de telles attaques trahissent une réelle peur à gauche de l’extrémisme grandissant du parti républicain, surtout depuis la montée en puissance du Tea Party Movement, tous les blogueurs ne sont pas convaincus que le GOP d’aujourd’hui est réellement différent de celui de George W. Bush.

Sur le site du New York Times, le principal éditorialiste conservateur du journal, Ross Douthat, récapitule les débats internes du parti depuis 5 ans pour en arriver à une conclusion très sceptique quant à la crédibilité de l’aggiornamento idéologique des leaders actuels du parti : “First, the argument in “Grand New Party,” which I co-wrote with Salam, was … the following: “If Republicans don’t address working and middle-class anxieties over health care, wage stagnation, the cost of childrearing, etc., they’ll give the Democrats an opportunity to entrench an even larger welfare state, and foreclose future opportunities for conservative reform.” We first advanced this argument, at essay-length form, in 2005, when the G.O.P. controlled the House, Senate and the White House. Over the next three years … well, you know what happened [Dans l’essai que j’ai co-écrit avec Salam, “Grand New Party”, l’argument principal était le suivant: “Si les Républicains ne prennent pas en compte les inquiétudes de la classe moyenne et de la classe ouvrière à propos de l’assurance santé, de la stagnation des salaries, du coût de l’éducation etc…, alors ils donneront aux Démocrates une parfaite opportunité d’élargir encore plus l’Etat Providence et de rendre beaucoup plus difficile une réforme conservatrice par la suite. Nous avons écrit cela en 2005, quand le GOP contrôlait la Chambre, le Sénat et la Maison Blanche. Inutile de rappeler ce qui s’est passé dans les 3 années qui ont suivi].  It’s nice for the institutional G.O.P. that now, after the most significant series of liberal legislative victories since the Great Society, and with federal spending up over 25 percent of G.D.P., a strict “less government!” message is suddenly resonating again. But from a policy perspective, I think the future that we were trying to warn Republicans against has already partially come to pass. [C’est bien de voir que parmi les leaders du GOP, après la plus longue série de succès législatifs pour la gauche depuis les années 60, et maintenant que les dépenses publiques dépassent les 25% du PIB, on entend de nouveau un message prônant une réduction de la taille du gouvernement. Mais sur un plan politique concret, j’ai bien peur que le futur dont nous craignions l’arrivée en 2005 quand on prévenait les Républicains qu’il fallait qu’ils réagissent est déjà partiellement devenu réalité.]

My olive-branch response would emphasize the extent to which the landscape of 2010 is very different than the landscape of 2005-6, when Salam and I were writing the essay and then the book: The deficit is much larger, the entitlement crunch is much closer, government and business are more intertwined than ever before, etc. And in this landscape, I think that it’s entirely appropriate for the G.O.P. to chart a more small government/libertarian course than it did in the Bush era [Je voudrais offrir une branche d’olivier à mes critiques tout en leur rappelant que le contexte de 2010 est très différent de celui de 2005-2006, quand Salam et moi avons écrit notre texte. Le déficit est bien plus grand, la faillite des programmes sociaux est bien plus proche, l’Etat et le monde des entreprises sont bien plus intriqués qu’avant etc… Et dans ce paysage, je pense que le GOP a tout à fait raison de proposer un programme plus axé sur la baisse de la taille du gouvernement – voire un programme libertaire - que celui qu’il défendait sous Bush.]

Well, maybe. A small-government agenda fits the times we’re living in, but it has to be a real small-government agenda, not just a lot of rhetoric about constitutionalism with no policy behind it [Enfin, peut-être. Un programme de baisse de la taille du gouvernement correspond bien à la période que nous vivons, mais il faut qu’il soit sincère, pas juste fait de rhétorique sur la Constitution complètement dénuée de propositions concrètes]. And my biggest worry is that the G.O.P. is basically taking one of the insights from “Grand New Party” — that even the Republican base has grown to love big government — and running with it in a cynical, rather than a constructive direction, by offering rhetorical promises to cut government joined to specific pledges to protect the most expensive sections of the welfare state [Ma principale inquiétude, c’est que le GOP parte du principe que nous avions dénoncé dans notre essai – principe selon lequel même la base républicaine s’est mis à aimer un gouvernement large – pour l’exploiter de manière cynique en promettant de diminuer la taille du gouvernement tout en promettant en même temps de protéger les pans les plus chers de l’Etat Providence.]”

A quelque chose malheur est bon

Pendant que la blogosphère de droite dévoile ses doutes au grand jour, les blogueurs de gauche se préparent mentalement à la défaite. Certains réagissent avec colère, on l’a vu, d’autres essaient de calmer le jeu.

C’est l’approche suivie par Jonathan Cohn sur le site de The New Republic. Dans un post volontairement provocateur, il tente de convaincre ses lecteurs que tout ne sera pas perdu pour la gauche américaine après la victoire républicaine. Il développe cette thèse autour de 3 arguments: “1. It would flush Republicans out into the open, by forcing them to compose and defend detailed legislation.[Raison n°1: Les Républicains seront forcés de montrer leur vrai visage en proposant des textes détaillés]

One reason that the Democrats are in trouble right now is that it’s largely a referendum on the state of the country and their ideas. A lot of people are voting Republican simply because they are unhappy with the economy. [Si les Démocrates ont tant de mal aujourd’hui, c’est parce que l’élection est surtout un référendum sur l’état du pays. Beaucoup de gens votent républicain simplement parce qu’ils sont mécontents de l’état de l’économie.] Obviously, some voters really do find the Republican agenda appealing. But that's easy when the agenda consists largely of  slogans like “lower deficits” and “smaller government.” The Pledge they published a few weeks ago was supposed to provide specifics, but it was laughably vague. And it's not mystery why… The Republicans have nothing to say. And that's because the actual answers would amount to a drastic reduction in government services, the kind voters would likely reject. [Bien sûr, certains électeurs soutiennent vraiment le programme républicain. Mais c’est facile, quand ce programme consiste surtout à répéter des slogans comme ‘il faut réduire le déficit’ et ‘il faut diminuer la taille du gouvernement’. Le Pacte que les Républicains ont publié il y a quelques semaines était censé fournir des propositions spécifiques, mais il était ridiculement vague. Et c’est pas difficile de comprendre pourquoi. Les Républicains n’ont rien à dire car leurs véritables réponses reviendraient à imposer des coupes drastiques dans les services publics, des coupes que les électeurs rejetteront probablement].

2. It would raise the profile of the party’s legislative leadership, particularly would-be Speaker John Boehner and would-be Senate Majority Leader Mitch McConnell [Raison n°2: une victoire républicaine placerait au premier plan les leaders républicains au Congrès, particulière le futur Speaker John Boehner et le futur chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell].

I don’t have specific polling information on either man’s popularity. But I feel pretty comfortable suggesting that neither man is a great party spokesman.[Je n’ai pas d’infos spécifiques sur leur côte de popularité. Mais je peux dire sans hésiter que ni Boehner ni McConnell ne sont de grands porte-paroles pour le parti.]

3. It would unite the Democratic Caucus around a more coherent set of views and policies.[Raison n°3: une défaite unirait le groupe parlementaire démocrate autour d’un ensemble plus cohérent de vues et de propositions]

Over and over again in the last two years, division within the Democratic caucus has held the party back. The stimulus ended up smaller, which meant it created fewer jobs. The health care bill won't deliver most of its big benefits until 2014. The middle class tax cut, although wildly popular, never came up for a vote. In every single case, President Obama and the congressional leadership wanted to do more but they compromised with conservative Democrats who wanted to do less.[Encore et encore ces deux dernières années, les divisions au sein du groupe parlementaire ont nui au parti démocrate. Le plan de relance a finalement été réduit, ce qui a créé moins d’emplois. La réforme de la santé ne s’appliquera qu’à partir de 2014. Les baisses d’impôts pour la classe moyenne – bien que très populaires – n’ont jamais été débattues. Dans chaque cas, Obama et les leaders du parti au Congrès voulaient aller plus loin, mais ils ont dû négocier des compromis avec les Démocrates conservateurs qui ne voulaient pas aller aussi loin].” Difficile ne pas voir poindre ici, derrière cet optimisme un peu forcené, une pointe de désespoir..