Après le succès retentissant de l’exposition consacrée à Pierre Soulages l’hiver dernier au Centre Pompidou (plus de 500.000 visites, 4e exposition la plus fréquentée depuis l’ouverture en 1977), il était presque naturel que la collection de toiles ainsi réunies prenne le chemin de l’Allemagne, pour s’installer temporairement au Martin-Gropius-Bau de Berlin. Naturel en effet, car l’Allemagne fut l’un des tout premiers pays à célébrer l’originalité artistique de ce Rodézien d’origine. Ainsi dès 1948, alors que Soulages n’avait que 29 ans, l’exposition itinérante, Grosse Ausstellung französischer abstrakter Malerei (Grande exposition de peinture abstraite française), accueillait ses premières toiles aux côtés des plus grands peintres abstraits de l’après-guerre tels que Hartung, Kupka, Schneider, Piaubert et d’autres encore. Plus tard, en 1960, la ville d’Hanovre lui consacrait sa première rétrospective. C‘est donc en hommage à cette patrie d’adoption - qui n’est pas la seule, les peintures de Soulages sont exposées dans plus de 100 musées à travers le monde - que Soulages expose depuis le 2 octobre 2010 et ce, jusqu’au 17 janvier 2011, quelque 70 toiles retraçant son épopée picturale. 

Des premières peintures sur papier avec brou de noix aux plus récents polyptiques outre-noirs en passant par de rares goudrons sur plaques de verres brisées, l’exposition du Martin-Gropius-Bau laisse au spectateur tant le soin d’apprécier la continuité du travail de l’artiste, que celui d’accuser les conséquences de sa fameuse rupture de 1979 - date à partir de laquelle le noir ne sera plus seulement une dominante, mais l’exclusive de ses œuvres. Si Soulages n’utilise dès lors plus qu’une seule couleur, il refuse cependant l’appellation de monochrome. Son outre-noir transmute la lumière de telle sorte qu’à chaque déplacement de "celui qui regarde" la peinture se transforme radicalement, créant ainsi un espace dynamique devant la peinture et à l’intérieur duquel le spectateur est projeté. Présentes dans l’instant même du regard, les peintures de Soulages instituent aussi une temporalité propre entre ces "choses qu’elles sont" (ces choses que Soulages prend soin de ne désigner que par leur tailles et dates de création) et ceux qui s’y projettent, dans une posture proche de celle de la méditation.

Expérience spatiale et temporelle à la fois, l’exposition berlinoise gagne à être visitée, notamment pour les personnes qui n’auraient pas eu l’occasion de la voir à Beaubourg, mais aussi pour les aficionados du noir-lumière qui souhaitent découvrir la dernière toile de l’artiste - que nous reproduisons ci-dessus.

Berliner Festspiele: Martin-Gropius-Bau, Pierre Soulages (02/10/10-17/01/11)