Riche de références, "Et l'Homme créa la vie" nous renvoie à notre éthique et notre responsabilité à gérer l’évolution de la biologie de synthèse dans ses aspects fascinants de risques ou d’espoir pour l’humanité.

Débutant par une fiction futuriste à propos de la biologie de synthèse et de ses retombées, Joël de Rosnay, en collaboration avec Fabrice Papillon, excite notre curiosité sur cette nouvelle discipline et ses conséquences. La biologie de synthèse, inconnue du grand public, se développe à très grande vitesse tant les distances entre les chercheurs se sont modifiées grâce aux modes modernes de communication. Des progrès scientifiques simples et évidents, en théorie, qui nécessitent pratiquement une attention toute particulière sur les problèmes éthiques et les risques industriels, économiques et écologiques. Aussi, le monde intellectuel s’approprie progressivement le débat et en premier lieu les scientifiques de cette nouvelle discipline. Les philosophes, sociologues et politiques ne sont pas à la traîne tant les enjeux de cette biologie sont importants. Sa progression est de plus en plus rapide jusqu’à l’achèvement, en 2003, du séquençage du génome humain. Cela n’aurait pu être possible sans l’utilisation de moyens informatiques et des capacités phénoménales des calculateurs ainsi programmés. Progressivement, l’auteur nous conduit de la biologie de synthèse vers une nouvelle vie créée de toutes pièces par l’humanité qu’il identifie sous le terme de macrovie ou “organisme collectif” lui attribuant la capacité d’être “destructeur possible de l’identité humaine et des rapports sociaux…ou susceptible de vivre en harmonie avec l’humanité”. (Page 19) Il devient alors nécessaire de prendre conscience, de comprendre et de gérer la croissance de ce macro-organisme qu’inconsciemment nous mettons en place.

Synthétiser la vie

La révolution de la biologie de synthèse ne se déroule pas seulement au niveau technique ou technologique mais bien au-delà. Elle s’attaque également aux tabous puisqu’il est possible aujourd’hui de créer des vies nouvelles. La nature perd progressivement de son champ et bientôt la théorie de l’évolution de Darwin sera rangée dans les cartons. Qu’en sera-t-il de Dieu et de la pensée théologique bouleversée par cette mutation technologique ? Aujourd’hui, il est possible et même de pratique courante de modifier les séquences d’ADN à des fins médicales, chimiques ou agricoles. En décryptant le génome humain, la biologie de synthèse fait un bond dans l’intimité de l’homme. De nouvelles plages inexplorées s’offrent ainsi à la curiosité des biologistes, qu’ils soient connus ou non, avec des moyens fléchés ou des ressources propres. Ces nouveaux chercheurs, s’approprient les données disponibles sur la toile, tels que les biobricks   en open source. Ils avancent dans leurs expérimentations tout en échangeant et communiquant dans un esprit de compétiteur. Selon l’auteur, ces biohackers, chercheurs non institutionnels, suivent des principes philosophiques tels qu’épanouissement, facilité, liberté, compétences qu’ils mettent en œuvre afin d’aboutir à des résultats parfois remarquables. A ce propos, le concours iGEM permet à toutes ces équipes de biologistes de synthèse de confronter leurs résultats et éventuellement se faire repérer par les industriels à l’affût.

En revenant sur la technique, ces ingénieurs, programmant la vie, utilisent les principes de la programmation informatique pour ordonner les bases chimiques de l’ADN en une structure vivante aux compétences accrues. Cette validation de méthode se concrétise dans la conceptualisation de machines automatiques à fabriquer des gènes. Plus en avant dans la recherche, les stratégies du Top Down et du Botton Up permettent de fouiller au plus profond du vivant. La première a pour objet de retirer progressivement les gènes de la structure manipulée avec l’enjeu fondamental de lui conserver un minimum de vie. La seconde s’oppose à la “déconstruction” de l’organisme et propose de débuter par une structure inerte et lui donner progressivement la vie, ce qui a été réussi en 2008 par le danois Rasmussen.

Biologie de synthèse

La biologie de synthèse est donc bien née. Les tâtonnements et les découvertes qui nous ont amenés à ce point aujourd’hui remontent à la nuit des temps. Ce sont les alchimistes qui ouvrent la voie en recherchant à tout prix à prolonger la vie quels qu’en soient les moyens et malgré les freins majeurs des croyances religieuses. D’autres freins rencontrés par ces chercheurs renvoient à la méthodologie même de l’expérimentation. Ainsi, l’opposition entre les anciens et nouveaux chercheurs se fera violente parfois, avec comme pierre d’achoppement le fait que la vie naisse ou non de l’inanimé. C’est la fameuse génération spontanée qui opposa Pouchet à Pasteur. C’est au moment même où l’académie scientifique se prononça en faveur de Pasteur que paraissait le fameux travail de Darwin sur l’évolution. Son point d’orgue est l’hypothèse que la vie est née de la combinaison de composés chimiques réunis dans un environnement favorable permettant l’apparition de protéines nécessaires à toute vie biologique. En reprenant l’histoire, il semblerait, pour les scientifiques, que le virus soit l’être vivant le plus rudimentaire à l’origine de la vie. Il manque toutefois quelques étapes pour comprendre le processus de A à Z. L’étude des virus offre, malgré tout, l’opportunité de comprendre comment cet organisme inerte est capable d’envahir un organisme pour se créer un environnement favorable à sa prolifération dont il serait incapable par ses propres capacités. Comme l’a démontré Mendel dans ses travaux, les gènes se croisent et se transmettent au cours des reproductions successives, portant en elles les différentes caractéristiques qui forment l’individu. Comprendre le contrôle moléculaire de la cellule grâce à la cybernétique moléculaire a permis d’identifier les phénomènes complexes de début et de fin de la production - reproduction au sein même de la cellule. A ce propos, l’auteur fait une étonnante et pertinente comparaison de cette régulation en l’opposant à celle initiée par l’homme sur la machine à vapeur qui n’est autre que le régulateur à boules. Celui-ci, contrôle, en dehors de toute intervention humaine, le flux de la machine de façon à lui maintenir un fonctionnement constant. Il semble que les organismes soient également dotés de cette capacité à s’autogérer.

Plus proche de nous, en 1969, l’américain Beckwith isole physiquement le gène de la bactérie Escherichia Coli. Starter du génie génétique qui se développera dans les années suivantes, il perçoit immédiatement les risques de sa découverte et de ses conséquences. Le débat éthique s’installe en même temps que la découverte. Sans arrêter les travaux, les scientifiques sont tous conscients des risques de cette nouvelle biologie mais poursuivent leur avancée en produisant les OGM   qui sont produits aujourd’hui selon un mode industriel. De même, le clonage animal, voire humain n’est plus une utopie, et les travaux sur les cellules souches embryonnaires ont pris un autre tournant. En effet, il est possible aujourd’hui, d’après Joël de ROSNAY, de travailler sur des cellules non différenciées, de n’importe quel endroit du corps, et de les transformer en cellules spécifiques. Cela est possible, grâce aux travaux des équipes américaines et japonaises, sur les cellules iPS   . Ceci ouvre une large voie vers la reproduction d’êtres complexes.

Les apprentis sorciers

Les chercheurs et biohackers de la biologie de synthèse ont pour objectif de produire directement du concret, rapidement utilisable sur le terrain. Le champ du travail est très large, passant de l’alimentation des populations aux soins pour l’humanité. Un espace d’applications dans lequel les biologistes de synthèse trouvent peu de limites. Les industriels aux aguets prospectent et anticipent la mise en œuvre sur le marché de ces nanotechnologies et autres biomatériaux aux apports considérables. Dans cette perspective, les laboratoires préparent déjà des biomodules d’utilisation spécifiques, sorte de pièces détachées que les industriels n’auront qu’à assembler à leur guise et créer ainsi la molécule aux pouvoirs attendus. La loi de l’offre et de la demande est tellement tendue que tous les domaines attendent avec impatience le résultat de cette gigantesque avancée technologique que ce soit dans le domaine de l’environnement et de l’écologie ou bien à propos de l’énergie ou de la santé. Pour preuve, l’exemple de Craig VENTER, habile bio visionnaire, qui projette la production d’algues capables de fabriquer de l’éthanol (biocarburant) à partir de la captation du CO2 de façon cinq fois supérieure à celle de la canne à sucre et huit fois plus que le maïs. On sort de la concurrence entre l’alimentaire et de l’industriel… De quoi permettre aux “pétroliers” de se reconvertir d’ici quelques années. De plus, l’algue microscopique dont il est question ici est capable de transformer l’eau salée en eau douce à raison de 1 litre pour 3 litres d’eau saline, offrant encore de multiples possibilités pour les régions arides. En opposition aux biochercheurs mercantiles, il en est d’autres qui préfèrent partager le fruit de leurs travaux à des fins humanitaires, en créant de nouvelles pistes pour la pharmacologie ou pour la régénération des organes. C’est sur ce chemin que s’est engagé Jay KEASLING en proposant de modifier une levure de façon à ce qu’elle soit capable de générer une molécule efficace contre toutes les souches de paludisme. Une démarche, bien entendu, largement soutenue par l’OMS.  

Une autre piste non négligeable est celle de la régénération des tissus humains, voire de membre entier ou d’organe, comme c’est le cas naturellement pour le foie, capable de se régénérer malgré une ablation de ses deux tiers. La recherche sur les cellules souches adultes a fait un grand bond en avant et porte les espoirs des chercheurs et des équipes médicales. A cela s’ajoute, dans le domaine du génie tissulaire, de manifestes avancées qui permettront demain de remplacer tel ou tel organe grâce aux travaux du chercheur américain Roger LANGER à propos des biocapteurs et de certains polymères entrant dans la reconstruction de tissus vivants. Plus besoin d’attendre un don d’organe, les laboratoires de biosynthèse seront bientôt capables de produire le tissu humain à remplacer (ce qui est déjà le cas pour la peau pour la greffe des grands brûlés) notamment pour des organes complexes en cours d’expérimentation chez l’animal aujourd’hui. A la lecture de l’exposé de Joël de ROSNAY, on ne peut que se laisser gagner par son enthousiasme pour ces techniques prometteuses même si le chemin jusqu’à l’application pratique quotidienne est encore long. Dans cette dynamique, en 2008, des chercheurs de Boston ont relaté leur expérience consistant à faire battre un cœur bio artificiel reconstruit à partir d’un cœur de rat mort. Ceci laisse entrevoir une nouvelle chirurgie de remplacement progressif des organes défectueux.

Quid du vieillissement dans ces conditions ? Alors que les équipes médicales et chirurgicales se coordonnent dans des actions déjà efficaces contre le vieillissement telles la prévention, l’utilisation des antioxydants naturels des régimes ou antioxydants de synthèse dans des cures chimiques, on retrouve en parallèle que la biologie de synthèse avance dans la compréhension des mécanismes du vieillissement. Le démantèlement de ces mécanismes s’opère progressivement et principalement celui du comportement de la télomérase, enzyme responsable de l’activation ou de l’inactivation des télomères, extrémités non codantes des chromosomes. En parallèle aux phénomènes d’inflammation ou d’oxydation, responsables des altérations telles les maladies dégénératives ou le vieillissement, la biologie de synthèse piste les gènes capables de ces régulations. Les chercheurs s’intéressent à la modulation, par des facteurs extérieurs, de l’expression des gènes. Ceci, dénommé épigenèse, permet d’activer ou d’inhiber certains gènes afin d’en modifier leur rôle notables sur des maladies ou sur des caractéristiques physiologiques. L’exploitation de ce versant de la biologie de synthèse ouvre la porte à ce que Joël de Rosnay nomme la maintenance du corps et que des entreprises intitulent le “programme de maintenance de la vie” (Life Maintenance Program, LMP). L’auteur y décèle une balise de risque à dérives car l’établissement de normes serait “bio totalitaire” avec une exclusion des “déviants” à ces normes. Ce que l’auteur réfute clairement dans sa description.  

D’un autre côté, l’épigenèse pratique orienterait notre mode de vie grâce à des capteurs capables de nous informer sur notre état de santé en temps réel. L’association de la biologie et de l’informatique aidant, il sera possible d’envisager des programmes de prévention et contrats de prévoyance ayant pour but d’obtenir des traitements à faible coût. Une nouvelle dimension pour les examens complémentaires prescrits qui se retrouveraient en libre accès dans les pharmacies ou autres grandes surfaces. Au final, une approche très globale et autonome du suivi de la personne par elle-même. Au regard de ces progrès, un courant transhumaniste est né. Il croit réellement en l’immortalité de l’homme, tendance qui s’accélérera d’ici les 20 prochaines années. Fortement décriés, ces “savants fous”, porteurs de la transhumanité, paraissent excessifs quant à l’individu et prônent la perfection et l’homme supérieur. Ce qui nous renvoie vers de mauvais souvenirs. Cette recherche de l’homme parfait ou de l’homme augmenté ne s’arrêtera pas tant les chercheurs sont innovants. A contrario, d’autres scientifiques considèrent que l’immortalité met en péril l’avenir de l’humanité notamment dans sa capacité de régénération. Arrivé à ce stade de démonstrations et de réflexions, l’auteur nous propose une série de scénarios fiction du futur mettant en scène toutes les avancées décrites et les détenteurs de ces savoirs et ambitions. Au total, sept situations de bioterrorisme et d’éco catastrophes qui imaginent les résultats excessifs et déviants de l’activité de la biologie de synthèse sur des animaux, des hommes ou directement sur l’environnement. A la suite de ces fictions, l’auteur pose clairement la question : “faut il avoir peur de la biologie de synthèse ?” Cette question restera en suspend à ce niveau de lecture, avant de trouver une réponse de Joël de ROSNAY dans les derniers chapitres, mais ouvre sur la démarche de la bioéthique nécessaire au contrôle des développements de cette nouvelle science.

Vers une e-biologie de synthèse

Dans ce chapitre, il est question de la relation entre biologie de synthèse et nanotechnologie. Cette dernière, capable de générer, à partir d’atomes et de molécules savamment organisés, des prototypes simulant les fonctions des êtres vivants avec pour liant l’énergie. L’infiniment petit appartenant conjointement au vivant et à l’inerte, la science nanotechnologique en permettra l’intime relation. Comme le rappelait Eric DREXLER, père de la nanotechnologie, l’ADN, molécule nanoscopique, est capable de générer des structures vivantes gigantesques alors pourquoi ne pas assembler atomes et molécules afin qu’ils produisent des macrostructures souhaitées ? C’est en quoi il est possible de lier biologie de synthèse et nanotechnologie. Tout cela nécessite des outils adaptés pour travailler l’infiniment petit mais également des compétences adaptées, de nouvelles disciplines dites nanosciences comme la nanoélectronique, la nanobiophysique, la nanochimie et bien d’autres encore. Aujourd’hui les nanotechnologies sont présentes dans bien des domaines, de la santé à l’architecture en passant par les outils de communication. Ces nanotechnologies incarnent la chimie du XXIème siècle, plus orientée et consistante que la chimie organique née en 1920. Les nanotechnologies construisent et assemblent des structures organisées à partir de pièces détachées nanométriques aux propriétés physiques connues.

A ce stade de la connaissance, les rapports entre les nanotechnologies et le vivant présentent un vaste champ d’expérimentations comme par exemple le nanotransport de médicament vers une cible définie ou la détection de problèmes au sein même de l’organisme par des nanosondes. Tout semble possible comme le décrit Dorothée BENOIT BROWAEYS   mais doit être contrôlé tant les risques sont importants. Ces avancées technologiques amènent directement aujourd’hui à imaginer la synthèse de la vie par des vies artificielles ou d’autres formes d’intelligence artificielle. Les outils informatiques super puissants permettent de donner une image de ce que la vie pourrait être si elle était modifiée. La robotisation est en marche de même que la vie artificielle. Pour illustrer cette démarche, il est fait référence aux comportements mimant les fonctions vitales des virus informatiques, capables de se déplacer, de muter, de se reproduirent et d’infecter des cibles spécifiques tels les logiciels en les modifiant ou en les rendant inopérants. Le parallèle est simple à faire entre ces virus informatiques et les cellules numériques aussi identifiées comme e-cellules virtuelles. Reste à tester les comportements des modèles ainsi réalisés afin d’en comprendre les mécanismes de réaction face à des situations virtuelles. C’est ce que propose l’informatique que l’on peut démultiplier par l’interaction de calculateurs d’entreprise ou privés comme ce fut le cas pour des projets comme le Décrypton (AFM   ) en 2001 et 2005 afin d’identifier les processus génétiques des dystrophies musculaires.

Pour faciliter davantage la circulation de l’information, les informaticiens ont créé des fourmis artificielles, capables de communiquer entre elles afin de générer une intelligence collective, copie conforme de la nature. La première application concrète de cette technologie a été l’acheminement du courrier et des colis en empruntant les chemins les plus courts comme cela fonctionne chez le transporteur FEDEX.

Les expériences “in silico”   ne s’arrêtent pas aux fourmis artificielles mais se poursuivent vers l’ordinateur à ADN, plus rapide à trouver les solutions aux problèmes posés. Le mélange du physique et du biologique est en marche, de même que le remplacement de membres ou d’organes grâce à l’innovation des recherches entre chirurgiens et industriels. L’homme bionique, tel qu’il s’imaginait dans les années 70, est en train de naître progressivement mais les difficultés pour associer l’inerte et le vivant, tout en leur permettant de communiquer, sont réelles. Si les progrès se poursuivent dans ce domaine, la question du remplacement des organes ou le fait d’être homme ou machine fera certainement débat. La bionique ne fait pas partie de notre quotidien pour l’instant, cependant nombre d’applications dans le domaine médical permettent, grâce aux transmissions électriques implantées, de diminuer les douleurs chroniques avec des résultats probants. L’électrostimulation se concentre également au niveau du cerveau par l’implantation d’électrodes sur des groupes de neurones déficients comme ceux que l’on trouve dans la maladie de Parkinson. Les résultats de telles stimulations sont étonnants d’efficacité sur le bien-être du patient.

Actuellement, les expériences sont orientées sur le fait de permettre aux personnes plongées dans un locked-in syndrome de communiquer par l’intermédiaire d’un synthétiseur vocal. Le chemin est encore long et semé d’obstacles. Il est identifié sous le terme de biotique, contraction de biologie et informatique. De nombreuses applications et recherches sont en cours parfois même déjà abouties et utilisées de par le monde. Comme par exemple les biopuces et autres biotransistors qui sont la base de développement des interfaces entre l’homme et l’ordinateur. La recherche sur les robots avance également de façon rapide au point de représenter, pour le Japon, un enjeu économique fort. Ces robots très performants et en continuel progrès, interviennent dans des situations dangereuses pour l’homme. Le Japon, capitale mondiale du robot, installe progressivement les robots humanoïdes dans son paysage pour des rôles simples pour l’instant d’accueil et de représentation. D’autres expériences encore plus étonnantes relient via Internet le cerveau d’un singe à un robot situé à des milliers de kilomètres. Le résultat de cette connexion est étonnant puisque le robot est directement dirigé par la pensée du singe, de quoi alimenter tout un panel d’expérimentations.

Vers l’organisme planétaire hybride mais vivant

L’auteur nous entraîne vers une nouvelle dimension, celle, beaucoup plus large, de la planète : Association macro du vivant et de l’inerte, de la vie de tous les organes et de leur collaboration et des interactions entre tous ces éléments. Cela donne naissance à un macro-organisme planétaire dans lequel on peut distinguer trois niveaux de protection. Les peaux naturelles couvrant les organismes vivants et les séparant de leur environnement proche ; les peaux artificielles, construites par l’homme fournissent un niveau supplémentaire de protection ; enfin les peaux virtuelles, impalpables qui sont faites d’informations et de communication entre tous. Tous ces éléments forment, à l’échelle de la planète, un organisme vivant complexe et constitué de capacités biologiques, mécaniques, électroniques, etc. Les liens sont très étroits entre les hommes et ce macro-organisme planétaire (MOP). Plus nous progressons et plus le MOP progresse. Le concept de GAÏA ou hypothèse biogéochimique, parfois controversée de par le monde, d’après laquelle la terre serait “un système physiologique dynamique qui inclut la biosphère et maintient notre planète depuis plus de trois milliards d'années, en harmonie avec la vie” décrit par James LOVELOCK   , prend toute sa dimension dans ce superbe organisme en pleine expansion. Une macrovie à laquelle nous participons tous et en symbiose avec elle du fait de l’interaction possible entre nous.

Ce macro-organisme possède les quatre critères élémentaires de la vie, à savoir : l’autoconservation, l’autoreproduction, l’autorégulation et la capacité à évoluer. Par le jeu complexe des naissances et décès, construction destruction et progrès, le MOP s’assure un développement en voie de maturation. Toutes les sciences ébauchent une approche macroscopique de l’organisation des sociétés humaines. Bien au-delà du local, il devient  nécessaire d’envisager une macro écologie afin de coordonner les organisations, l’application des progrès et l’avenir du MOP. Les lois d’échelle permettent de comprendre la complexité de la dynamique des réseaux sociaux, économiques, énergétiques, etc. De ce fait, les principes d’économie semblent dépassés. Une approche biologique et écologique de l’économie, la bio-économie, serait certainement plus appropriée d’après l’auteur, s’appuyant sur des critères plus larges et non marchands comme les valeurs indispensables au développement de la société. De la même manière, la neuro-économie transdisciplinaire entre neuroscience cognitive et économie, considère l’influence des facteurs émotionnels dans les prises de décision.

La bionomique (biologie + économique), nouveau domaine économique, est une théorie qui décrit l’économie comme la biologie à savoir comme un système auto organisateur sous contrôle centralisé mais libre de se développer et de renvoyer à une autre référence aux nouvelles propriétés. La dynamique des réseaux, autre approche transversale, est également étudiée car elle permet de comprendre les liens tissés entre les personnes. Des chercheurs ont montré que, dans le monde, avec six personnes, il est possible de relier deux personnes qui ne se connaissent pas.   Internet a beaucoup contribué à cette dynamique de réseau tel Facebook et autres réseaux sociaux qui colligent des informations et permettent la mise en relation utile ou ludique de milliers de personnes. Finalement, nous ne sommes plus seuls. Nous entrons bien dans une macrovie dont les contours nous semblent flous. Quelles en sont les limites ? Celles du corps, de la vie de l’homme, ou celles de l’humanité toute entière ? Les chercheurs proposent des pistes et notamment le lien qui unit un organisme à son environnement dans le but unique de la vie. Nous entrons dans la vraie vie du macro-organisme planétaire, et comprenons progressivement ces mécanismes d’alimentation, de réflexion, de production, de digestion et de reproduction. Les démarches de mondialisation de l’économie sont prégnantes, de même que la collaboration des hommes au sein même de la politique. La régulation se fait progressive et la communication explose grâce à Internet. Cependant, les modèles qui régissent le monde comme les pouvoirs en vigueur (militaires, politiques) nous permettent de comprendre cette nouvelle dimension. Pour l’auteur, la biologie de synthèse apparaît comme un seuil fondamental sur la route de l’humanité. La place des scientifiques devient force de proposition dans cette tâche collective de compréhension du monde et de régulation de son avenir.

De la bioéthique à la macro bioéthique

Pour clore cet ouvrage, l’auteur évoque la bioéthique et la macro bioéthique appliquées à la biologie de synthèse. L’avenir de la biologie de synthèse se profile en une réponse de cinq points. Tout d’abord, la biologie de synthèse n’existe pas en tant que telle tant les disciplines qui la composent sont croisées. Deuxièmement, la production du vivant reste à l’écart d’ébauche et de recherche. Plus complexe, le troisième point démontre qu’une machine vivante devrait s’inventer elle-même et donc échapper à ses créateurs. Le quatrième point mène les chercheurs au-delà de leurs possibilités actuelles utilisant les combinaisons des bases de l’ADN. Enfin, conduisant à une vie synthétique complexe et pourquoi pas inconnue de la nature, la biologie de synthèse est capable du pire comme du meilleur. Ceci n’a pas échappé aux chercheurs qui ont, de fait, intégré la biosécurité dans le processus de leurs démarches. D’autant qu’une nouvelle question éthique apparaît sur la résultante de ces travaux, qui crée une nature ou une vie artificielle à la portée de tous. D’ici cinq à dix ans, à dires d’experts, les laboratoires auront créé une vie à partir de produits chimiques. La réflexion éthique doit avoir un espace privilégié afin d’éviter à l’homme de choisir les chemins néfastes à son fonctionnement et à son environnement tout en conservant au mieux ses possibilités d’autonomie.

Pendant ce temps, le MOP évolue et se développe sans réelle régulation au risque d’emballer la machine. Dans une société de gouvernance par la peur, cela aurait des conséquences désastreuses, aussi devons nous être attentifs à la communication et au dialogue afin de réguler ces nouvelles disciplines. Certains auteurs souhaitent que la gouvernance de l’évolution de la biologie de synthèse soit gérée par les politiques de façon à établir le meilleur management du progrès avec en filigrane le bien de l’humanité et la dignité de l’homme. Ceci ne sera possible qu’à condition d’organiser l’information, la pédagogie et la participation des citoyens. Les moyens existent, telle la Cité des sciences à Paris forte de nombre d’expositions, de débats et tables rondes entre spécialistes et scientifiques face au grand public. Dans ce débat, les courants américain (libéral et impatient) et français (plus prudent et éthique) s’opposent laissant aux médias le soin d’attiser le feu sur les discours. Pour preuve, on se rappellera les échanges houleux à propos des cultures transgéniques. On notera tout de même que la communauté scientifique internationale s’auto gère puisqu’elle ne s’autorise pas, par exemple, le clonage reproductif. Mais pour l’auteur, nous ne sommes pas à l’abri de déviances dues à l’influence d’industriels sans scrupules.

Telle que développée par l’auteur, la compréhension de la biologie de synthèse, de sa technologie à ses retombées immédiates et à venir, permet de bien appréhender cette nouvelle science. Le principe de l’éthique présent à chaque instant de l’ouvrage rappelle les risques de dérive possibles du fait d’industriels cherchant le profit ou de militaires en mal de pouvoir. L’auteur et sa collaboration soulignent la place que nous devons avoir pour assurer une éthique de qualité dans ces avancées. L’introduction, à partir du chapitre 5, du macro organisme planétaire a donné une nouvelle dimension, certainement présente, qu’est l’infiniment grand mais dont l’assimilation ou l’appropriation semble à distance du citoyen lambda. La biologie de synthèse est déjà à mon sens un puits de curiosités, un monde d’excitation et d’espoirs. Son orientation vers la macro humanité m’a semblé ambitieuse car cela demande aux lecteurs un effort d’acculturation afin d’en bien mesurer les enjeux de demain. Les idées d’encadrement de la biologie de synthèse grâce à l’éthique sont fort intéressantes mais concrètement, arriverons-nous à faire comprendre à l’homme créateur de vie qu’il doit adopter une attitude plus haute que celle, toutefois respectable, du technicien de biologie de synthèse ? Au final, une lecture qui s’adresse plutôt à un public averti surtout dans le domaine de la biologie et de la bioéthique. Cependant, les aspects fiction que l’on rencontre dans l’ouvrage, ne permettront pas aux étudiants un regard purement scientifique et factuel, d’autant que les références bibliographiques nous ramènent parfois au vingtième siècle