* La publication de cet article vient consacrer le lancement du nouveau pôle Droit de l'environnement de nonfiction.fr, qui sera animé par Sébastien Mabile et Vincent Delbos.

 

Alors que des universités installent des chaires de droit du climat, Jean-Pierre Mignard   du Cabinet Lysias a demandé à Yves Lemoine, magistrat et historien - prochain ouvrage à paraître Fernand Braudel, Ambition et inquiétude de l’historien aux Editions Michel de Maule - de réfléchir avec nous sur un sujet brûlant dans tous les sens du mot : le climat est-il une problématique historique ? le climat peut-il est appréhendé par le juriste ?

 

Jean-Pierre Mignard / Lysias- Yves Lemoine, vous êtes nourris intellectuellement de l'Ecole des Annales, vous êtes un spécialiste de l'histoire longue, et sur des matériaux qui ne sont pas spécifiques à l'histoire évènementielle: le climat est-il une problématique historique ?

Yves Lemoine : L’histoire n’ayant pas d’objet propre mais une méthode singulière le "climat" entre dans le champ de ses enquêtes  bien sûr".

Fernand Braudel, dans sa thèse La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, cite un glaciologue italien évoquant l'avance des glaciers alpins à la fin du XVIe siècle.

On a bien sûr en tête immédiatement L’histoire du climat depuis l’An mil que Leroy Ladurie publia aux éditions Flammarion en 1967 mais on peut citer par dizaines les études particulières ou générales sur le sujet   .

L’étude de Leroy Ladurie mérite une mention particulière par sa hardiesse. C’est pour un historien faire preuve de quelque témérité que de clore son étude   par l’évocation de deux ordres de problèmes : les relations des fluctuations du climat et de l’histoire des Hommes et les causes profondes de ces fluctuations. Et c’est, bien sûr dans ce dernier questionnement que ressort la hardiesse du propos. Un historien est-il fondé à  rechercher des "causes" et des liens entre les causes et leurs conséquences dans un domaine aussi lourd de conséquences de toutes sortes : sociales, économiques, anthropologiques. Tirer des conséquences c’est en effet empiéter sur l’ensemble des champs de connaissance.

 

Jean-Pierre Mignard / Lysias- Vous citez Leroy Ladurie. Celui-ci a magistralement appréhendé le climat comme un matériau de l’historien. Il n’est pas le seul, Montesquieu l’avait déjà entrepris jusqu’à proposer une théorie du climat et des systèmes politiques et juridiques. D'autres aussi comme vous le soulignez.  Ce qui est nouveau ce sont les perspectives offertes par la science à propos de l'évolution du climat. La prévision du climat, de ses tendances  longues comme de ses effets, semble avoir ouvert de nouvelles frontières au champ politique et juridique. Quels sont les effets repérables du climat sur l'histoire des Hommes ?

Yves Lemoine : Citons Leroy Ladurie : On peut rapprocher certains faits : la civilisation romaine a coïncidé avec un beau réchauffement. De même les grands défrichements de la période gothique entre 1000 et 1300 qui accompagnent le petit optimum médiéval.

Mais avant le XXe siècle, le climat joue surtout le rôle de la Faucheuse. Un hiver très rude en 1709 qui détruit le blé : 600 000 morts ; la canicule de 1719, qui tue 400 000 personnes, surtout des enfants. La dernière grosse catastrophe, en 1846 : une canicule ajoutée à la maladie de la pomme de terre : 200 000 morts.

La fin du XIXe siècle règle cette question : avec la navigation à vapeur, les chemins de fer, on aura toujours à manger. Plus de disette. La grosse canicule de 1911 ne fait plus que 40 000 morts en France. A l'échelle du XXe siècle, c'est énorme, mais on n'en parle jamais, car l'imaginaire a surtout été frappé par les inondations de 1910, avec Paris sous l'eau.

Sur le plan politique, le climat a pu jouer aussi : la révolution de 1789 est précédée par une grave crise des subsistances, en 1787-1788. Idem avec la révolution de 1848. Mais il faut se garder de tout déterminisme. Le climat, comme l’écrira quelque par Leroy Ladurie "est une gâchette, qui ne fait pas basculer l'Histoire, mais qui peut contribuer à l'écrire."

Il y a le rude hiver 1917, très dommageable pour les récoltes. L'Allemagne va être particulièrement touchée, c'est une des raisons de son effondrement. Et puis les hivers 1940, 1941, 1942 sont parmi les plus froids du siècle (si Hitler s'était intéressé un peu plus au climat, la bataille de Moscou aurait eu une issue différente). Hormis ces deux exemples, je vois l'hiver 1946-1947, très dur, suivi de la canicule en 1947. Il n'y a pas de mortalité, car les gens les plus fragiles sont déjà morts de privations. Mais les prix s'envolent et sont à l'origine de grèves très violentes où le Parti Communiste est sur le point de prendre le pouvoir. Il y a enfin les belles années 1972-1975, qui modifient le vignoble français, surtout dans le Languedoc : jusque-là, elle est très dépendante de la surproduction, qui fait s'écrouler les prix. Il y a la grosse manifestation de Montredon, le 4 mars 1976 : 2 morts, 30 blessés. Du coup, on s'oriente vers la qualité et non plus la quantité.

Leroy Ladurie qui est issu d’une famille de propriétaires exploitants s’attache à des constatations très précises intéressant la relation entre pluviométrie et mortalité : en 1692-1693 la pluie avait fait 1,3 million de morts en France, pour une population de 20 millions. Mais dire que la pluie est l’unique cause de cette mortalité semble hasardeux !

L’histoire rurale nous permet de découvrir des angles de recherche inédits par exemple  les dates de vendange, une mine pour étudier le climat. La plus tardive, vers le 15 octobre, date de 1816, à la suite de l'explosion d'un volcan indonésien qui obscurcit la planète.

Les chiffres sont là. Le climat change. La question est de savoir si l’homme subit ces variations ou s’il en est acteur. C’est toute la problématique historique scientifique et politique de ces dernières années. Leroy Ladurie conclut cette énumération qui précède : "Je suis intimement persuadé que ce réchauffement se prolongera, mais je ne suis ni un prophète ni un scientifique, simplement un historien. Je me suis appuyé sur les données de 30 stations de Météo France où l'on a éliminé le facteur urbain. La France suit le mouvement mondial. Moi, je suis inquiet pour mes petits-enfants."

 

JPM/ Lysias- Pouvez-vous préciser les conséquences anthropologiques des variations du climat ? Pouvez vous nous dire en quoi :la méconnaissance de l’écosystème, les atteintes à l’intégrité de la nature peuvent à leur tour favoriser les mutations climatiques ?

Yves Lemoine : Au Ier siècle avant J.-C. l’historien grec Strabon écrit une Histoire (qui a complètement disparu) puis une Géographie pour lui faire suite. Strabon décrit les riches boisements des parties basses de l’ile de Chypre tellement boisées que les arbres ne laissaient pas vraiment place à la culture. Mais, en limite de zone climatique la forêt est fragile. Les arbres sont les seuls soldats en bataille contre la sécheresse. C’est le drame du bassin méditerranéen. En quelques siècles (pas plus de trois) la déforestation massive induit un manque d’humidité atmosphérique et une destruction des sols rendant le renouvellement naturel impossible. Lisez le passionnant article de Maurice Lombard, un historien dont Braudel disait qu’il était le seul à pouvoir être comparé à Lucien Febvre (ce n’était pas un mince compliment), Un problème cartographié : le bois dans la Méditerranée musulmane  publié dans la revue des Annales en 1959   vous comprendrez l’autre coté. Celui où l’homme en pleine inconscience détruit son environnement. L’exploitation intensive  du bois fait totalement disparaître les forêts épaisses autour de Carthagène et de Malaga dont on tirait quotidiennement d’énormes quantités de bois aux IIIe et IVe siècle pour le traitement des minerais et les chantiers navals de la côte. Au Ve siècle le déboisement est un fait accompli sur la plupart des côtes méditerranéennes. Au VIIe siècle le commerce du bois sera pour la Méditerranée musulmane un commerce maritime à longue distance, complexe, mettant en jeu d’énormes capitaux, des effectifs humains importants. D’une certaine manière il dévore lui-même sous forme de navires sa propre substance. Il faut songer à ces caravanes du bois comprenant jusqu’à cinq mille chameaux. Très tôt donc l’industrie de l’homme ravage les richesses naturelles et préparent les infertilités des sols, les sécheresses la craquelure des sols qui ne se reconstituent pas.

Le constat global est sans équivoque : l’homme détruit son environnement sans avoir conscience qu’il agit négativement sur une richesse irremplaçable : l’humidité, l’oxygène, l’air.

Aussi paraît-il dérisoire de contester ce constat comme il le serait de le limiter aux effets induits de l’ère " industrielle ".  Les alertes répétées du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), font que la conscience contemporaine ne peut que s’alarmer d’une situation très préoccupante, qui pourrait provoquer une hausse des températures allant de 4 à 5° d’ici 2100. Le climat qui a toujours causé des mortalités inhabituelles en période de dérèglement a fait des morts au XXe siècle (moins il est vrai que précédemment) il continuera au XXIe siècle, en été comme en hiver.

JPM/ Lysias : Les derniers et violents incendies en Russie semblent être la conjonction de plusieurs facteurs : le réchauffement climatique, le défaut d’entretien du territoire (des milliers de bouteilles laissées à même le sol et offertes au rayonnement solaire ont  été de véritables cocktails Molotov jetés dans la nature). L'incurie évidente des services publics, ou leur pauvreté, ont fait le reste. In vivo ce fut une démonstration pathétique d’impuissance de l’Etat russe, le Premier ministre M. Poutine se faisant filmer aux commandes d’un bombardier d’eau ! Ce scénario de destruction - impuissance correspond  t-il au nouveau concept d’anthropocène ?

Yves Lemoine : En 2000, sur la proposition de la commission de stratigraphie de la Société géologique de Londres, les membres de la Société forgèrent le mot pour constater un changement majeur qu’ils datèrent du début du XIX e siècle. Notre monde, depuis un  peu plus de deux cents ans a donc prit un tournant décamillénaire. Les spécialistes ont voté à l’unanimité l’appellation "anthropocène" pour désigner la période qui nous attend désormais. Jusque-là, nous en étions à l’holocène, terme désignant la longue période chaude ayant succédé à la dernière glaciation (-12.000 ans) et au cours de laquelle les civilisations agricoles et urbaines se sont développées. Mais, considérant que l’importance des changements climatiques et environnementaux causés par l’homme peut désormais dépasser en ampleur les précédents naturels, ces scientifiques ont décrété le début d’une nouvelle ère caractérisée par le réchauffement de l’atmosphère, l’instabilité des grands équilibres, l’extinction ou la migration de nombreuses espèces vivantes et la généralisation des monocultures.

L’anthropocène, c’est l’ère d’une action humaine capable d’agir sur l’ensemble de la planète. Mais agir ne veut pas dire maîtriser, nombreux sont ceux qui doutent des scénarios rassurants imaginés par le GIEC en 2007, visant à maintenir le climat de la Terre dans des limites supportables. Depuis la révolution industrielle, entamée à partir de 1750 en Angleterre nous sommes donc entrés dans l’ère de l’homme tout puissant : c’est désormais lui qui règle le climat pour une forte part. Il ne s’agit plus de l’homme prédateur des sept ou huit premiers siècles de notre ère. Il s’agit de l’homme destructeur tant par la surexploitation des ressources fossiles que par les fortes émissions de gaz dans l’atmosphère. L’océan s’acidifie; son niveau monte. Nous avons vécu depuis 1998 les dix années les plus chaudes connues, les plus brûlantes ayant été 1998 et 2005. La situation est extrêmement préoccupante pour l’Afrique, alors que ce continent n’y est pour rien. Le dessèchement s’annonce rude, les problèmes de migration aussi. L’histoire ne progresse plus linéairement, elle mute. Le drame qui se prépare est celui de l’accélération exponentielle du temps historique dont Braudel constatait déjà l’altération, dans sa leçon inaugurale au Collège de France   .De ce constat s’ensuivait l’occultation du futur, l’incapacité de penser dialectiquement. En un mot la perte de l’histoire laminée par la précipitation des changements. L’histoire des variations climatiques permet d’apporter des précisions dans cette pensée : science et technique s’envolent projetant dans l avenir immédiat des dangers mortels auxquels il faut immédiatement répondre. Le contrôle politique, la  responsabilité éthique, les projets de société stagnent.. Bref le monde politique tel que nous le connaissons n’est plus que l’apparence de lui-même.

L’historien du droit Aldo Schiavone (dans son court essai Histoire et destin, Belin, 2009) précise que cette singularité implique d’apprendre "un nouveau langage et une nouvelle syntaxe sociale". Force est d’admettre qu’aucune des institutions générées par nos cultures issues pour une très large part de notre post-latinité (ou post-romanité selon ce qu’on préfèrera) ne suffit à préserver la poursuite de la course de l’humanité devenue "historiquement exponentielle".

 

JPM/ Lysias : La crise des systèmes politiques nationaux étatiques se révèle patente. Récemment le ministre français de l’environnement, pourtant homme de bonne foi, se félicitait de ce que depuis 2007 la France rejetait moins de CO2 qu’en 1990. et  que nous faisons mieux que les autres. Soit. Mais que vaut une telle victoire, toute relative d’ailleurs ? Nous gagnerons tous ou nous perdrons tous, la planète gagnera ou toutes les nations perdront. A ce stade le discours politique national devient inaudible. En matière de climat le slogan des étudiants de 68 dans les rue de Paris  doit s'imposer " Les frontières on s’en fout ! ". Il  n'y a plus aujourd'hui d'organisation mondiale pertinente sur le climat. Il n’y a plus d’internationale ouvrière, les deux premières ont perdu de leur substance première ou ont disparu.  Il y a bien  l’ONU  mais qui se heurte au jeu politique interétatique, il n’existe pas d'instrument politique transnational efficace sur la question climatique. En est-on réduit à se tourner alors vers une nouvelle spiritualité qui servira de boussole à des politiques soit mondiales soit inexistantes. La société civile mondiale est encore trop faible.

Yves Lemoine : Etant naturellement déiste et difficilement chrétien je dois à l’honnêteté de dire (en accord d’ailleurs avec Schiavone qui l’affirme en marxiste conséquent)  qu’en matière de norme et de morale on ne saurait être réellement efficient sans accepter un processus symétrique de sacralisation. Il existe bien des tabous inviolables dans toute société humaine mis en place pour préserver des règles non pas indiscutable mais à ne pas discuter ce qui est différent et appelle l’usage d’une force contraignante au moins spirituelle.

Comme les autres religions monothéistes le christianisme à efficacement concouru à l’affirmation de cette juridicité. C’est le fond de l’emprunt de la modernité laïque, du moins pour une grande part. L’Eglise a perdu les grandes batailles de Galilée à Darwin mais elle a su aussi après chaque défaite reconstruire un discours toujours moins soumise à la littéralité des textes biblique et coranique. Les trois religions monothéistes,  campent sur le refus absolu des manipulations de l’ingénierie biologique. La maturation de sa pensée l’a amenée à une sacralisation de la vie (elle préconisait naguère la mort en cas de grave déviance religieuse et elle théorisait sur la guerre juste).

La bataille qui se joue ici est bien sur une bataille du pouvoir et bien loin derrière d’évangélisation. Elle se joue sur l’entrée et la sortie dans et de la vie. Les pratiques sociales et culturelles impliquées dans la gestion de notre naturalité. Et bien sûr tout est décliné à partie de ce socle. La gestion conforme aux lois divines de notre terre et de notre survie conforme aux conditions "normales" pour y vivre.

 

JPM/ Lysias- Ce que vous dîtes correspond à l'initiative du Pape Jean Paul II avec les rencontres d’Assises largement conçues par le professeur Ricardi et la communauté San Egidio du fond de son Eglise désaffectée du Trastevere à Rome. C’est  Le Dalaï- Lama qui avait choisi Assise en hommage à François d’Assise. Même les spiritualités indiennes d'Amérique du Nord étaient représentées. La lettre encyclique de Jean XXIII, Pacem in terris, avait, il est vrai, ouvert la voie à une spiritualité planétaire.

Yves Lemoine : Il est en effet tout à fait indispensable que les grandes traditions religieuses s’expriment. Pour ce qui concerne l’Eglise catholique, que par la voie d’une Encyclique voire de la réunion d’un Concile Œcuménique voire plus et mieux dans une institutionnalisation des rencontres d’Assise du 27 octobre 1986. Car il est évident qu’au-delà du dialogue interreligieux c’était d’une commune habitation de la Terre-mère qu’il s’agissait. C’est bien le renouvellement de la théologie de l’Esprit-Saint partagé par tous les croyants qui sera le prochain normateur des règles du vivre ensemble.

 

JPM/ Lysias- Les chrétiens se reconnaitront facilement dans votre formulation de l’Esprit Saint, délivrée de sa gangue dogmatique. Pour que d'autres spiritualités y adhèrent, il faut peut être parlé d'un souffle de vie au sens  grec du mot  pneuma, même si cela nous tiens encore à proximité de la théologie conciliaire de Vatican II et du père Yves Congar. Le philosophe Michel Serre parle de la nature comme d’un sujet de droit et développe une véritable spiritualité de la nature sans  recourir à une théodicée. Il faudra trouver le mot qui fera converger toutes ses forces, spirituelles, religieuses, agnostiques, toutes convoquées à ce banquet.

Yves Lemoine : Les fluctuations climatiques que l'Europe a connues avant que n'existent les instruments de mesure. Si les résultats sont encore partiels et surtout cantonnés aux mille dernières années, les grandes périodes de réchauffement et de refroidissement se révèlent moins stables qu'on ne le croyait.

Effet de serre, réchauffement de la planète : depuis quinze ans, l'influence éventuelle de l'activité humaine sur le climat est devenue une préoccupation internationale dont l'importance ne cesse de croître.

Mais l'approche est loin d'être sans problème. .Le climat passé a bel et bien influencé l'activité humaine, et l'humanité serait bien inspirée de réfléchir à quelques-unes des leçons que lui a données la nature (séries de famines en Ecosse et en France à la fin du XVIIe siècle provoquées par les vagues de froid successives). Le vice-président américain Al Gore lors d'un discours en 1992, reconnaissait que " les changements climatiques ont des effets considérables sur la stabilité politique et sociale de la civilisation ". Montesquieu avait en effet été le précurseur de ce constat. La question politique est donc nécessairement polémique et tant que durera cet état dialectique aucun travail décisif ne sera accompli. La politique est toute entière livrée aux jeux pervers des lobbies. Il faudra donc passer à travers ce mur d’intérêts. Nous n’avons que peu d’armes assez puissantes pour cela c’est pour cette raison que nous en appelons sans nous préoccuper de ce qu’en diront les esprits étroits aux puissances "spirituelles".

 

JPM/Lysias- Nous sommes juristes l’un et l’autre et viendra le moment où le droit positif sera la figure  lisible et utilisable soit d'un droit naturel ancien simplement ordonné, soit de normes nouvelles suscitées par les circonstances et les urgences de la sauvegarde de la planète. Ni un penseur aussi lucide que Montesquieu ni un géologue et sociologue comme Vidal de la Blache n’avaient envisagé de saisir le climat par le droit. Ils avaient, chacun dans leur champ de recherche spécifique, la philosophie politique pour l’un  et la géographie et la géologie pour l’autre,  mesuré les effets du climat. Aucun des deux n’avait anticipé que l’on pourrait le prévoir et, bouleversement ultime, prétendre infléchir ses tendances. Ce sera l’objet du prochain sommet de Cancun après la désillusion de celui de Copenhague. Ceci relève t il d'un fantasme ?  Le climat est il être appréhendé par le juriste ?

Yves Lemoine : Le devoir social du juriste est d’interpréter et de faire passer dans la vie sociale un corpus juridique doté de la force de la puissance publique. S’il n’existe aucune puissance publique qui donne sa sanction à la décision du juge son interprétation demeure comme l’herméneutique littéraire ou philosophique vouée à sa propre fin. L’interprétation des textes juridiques est directement orientée vers des buts pratiques et propres à déterminer des effets pratiques. C’est ainsi que Pierre Bourdieu définit très précisément le travail du juriste   .

Notre lecture des instituions capables de donner leur sanction au travail du juriste que j’ai exposé plus haut, me rend pessimiste. Sauf que, sauf que comme l’Eglise, l’Ecole, la Justice est capable d’organiser hiérarchiquement ses décisions, ses interprétations et, les unes pour les autres, les normes et les sources qui confèrent leur autorité à ces décisions. Les trois institutions disposent en effet d’une arme redoutable, dont les " politiques " se sont démis, un effet d’Universalisation.

Il est essentiel, et c’est déjà le cas que les universités de sciences sociales dispensent un enseignement transdisciplinaire concernant ce champ de connaissances et de pratiques. Mais dans le même temps des unités de recherches sur les procédures c’est-à-dire les mises en application du fruit de ces nouvelles normes du vivre universel.

Le droit prétorien à Rome disait Da mihi factum, dabo tibi jus (donne moi le fait je te donnerai le droit). L’adage garde toute sa valeur si on veut bien admettre que c’est l’effort conjoint des anthropologues, des historiens, des juristes, des climatologues...qui va donner le fait, ce sont les institutions religieuses qui transcendent les aires culturelles, les zones économiques, les pays technologisés et ceux qui aspirent à le devenir qui donneront les sanctions. Ce sont, parmi d’autres les juristes  qui écriront notre devenir

 
 
 
* Cet entretien a été publié par le Cabinet Lysias.