Ouvrage qui propose une approche intimiste du "port mythique" de Valparaiso.
Valparaiso, voilà un nom qui fait rêver... et c'est justement ce que se propose Manuel Peña Muñoz dans cet ouvrage consacré au "port mythique", tel qu'évoqué sur le photomontage de la couverture de l'édition française publiée chez l'Harmattan, dans la collection Horizons Amériques Latines. Le titre espagnol du livre, Ayer soñé con Valparaíso, c'est-à-dire "hier j'ai rêvé de Valparaiso", éclaire davantage le contenu de l'ouvrage, me semble-t-il, que le titre français. Mais nous reviendrons sur cet aspect.
Valparaiso, "le val du Paradis" si l'on traduit littéralement le nom de cette ville chilienne, nourrit effectivement l'imaginaire européen par ses sonorités même, mais aussi par son parfum d'exotisme, sa position lointaine au bord de l'océan Pacifique. Comme Vancouver ou San Francisco, Valparaiso est un lieu connu mais lointain, et c'est là que le travail de l'auteur ouvre sur une géographie intime subtile et attentive. Comme il l'annonce lui-même dans sa préface, cette traduction française a été recomposée pour permettre au voyageur ou au touriste de se faire une idée de cette ville apparemment si particulière. Nous allons voir si le but est atteint.
Le plan de l'ouvrage procède par chapitre un peu comme un guide touristique, mais sans que la topographie ressorte très clairement. Le sommaire, très détaillé, laisse entrevoir bien des perspectives différentes, où alternent lieux et personnages pour composer un portrait littéral de la ville, c'est-à-dire à la fois une description subjective et une évocation de la réalité bâtie, sinon vécue, de cette même ville. Un index des lieux accompagne l'ouvrage, mais il n'y a aucune bibliographie, ce qui nous oblige à croire l'auteur sur parole.
C'est bien la parole, du reste, qui structure le livre et le place sans ambages du côté de la promenade littéraire ou de l'évocation personnelle et de l'anecdote vécue ou entendue. Les mots nostalgie, rêve, romantique, reviennent très, et l'on pourrait même dire trop souvent au fil des pages, au fur et à mesure que l'on progresse sur le chemin bien incertain de la description de cette ville qui semble remarquable.
Le plan déroule donc plusieurs thématiques récurrentes : les "ascenseurs", qu'il aurait mieux valu traduire par funiculaires, caractéristiques de la ville, car liés à sa topographie très accidentée ; l'architecture ancienne et la réhabilitation des constructions remarquables de la ville ; les personnages qui ont coloré l'histoire du lieu et ont contribué à son élaboration si l'on peut dire, que ce soit les riches industriels locaux, les artistes venus d'Europe ou encore les nouveaux habitants du lieu, eux aussi souvent venus de l'étranger pour rebâtir, restaurer et sauver de l'oubli des bâtiments autrement destinés à disparaître. L'auteur met également en scène les artistes locaux qui se sont emparés du lieu et le font vivre ou revivre au gré de leur propre goût. La chronologie n'est pas bien nette, et la "nostalgie" omniprésente nous laisse simplement deviner que le temps a irrémédiablement dégradé la ville qui s'éloigne ainsi indéfiniment de son état supposé originel. Nostalgie signifie maladie du retour, et c'est bien ce qui ressort des nombreuses anecdotes et descriptions de lieux proposées par l'auteur. Mais retour à quoi ? A une époque ancienne et révolue qui semble courir entre la Belle Époque et l'entre-deux-guerres ? Ou encore le moment où la plupart des constructions prestigieuses ont été bâties ? On comprend bien volontiers le regret qui semble étreindre l'auteur quand celui-ci évoque les destructions, les drames qui ont affecté la ville, comme le grand tremblement de terre de 1906 ou les différentes guerres qui ont directement touché les étrangers, nombreux, de Valparaiso.
La ville est donc abordée par ses maisons, maisons de bois peint, et surtout luxueuses demeures construites à l'époque où le port était l'un des principaux d'Amérique latine, sinon du Pacifique. On y détaille donc avec complaisance les coloris, les atmosphères intérieures, les styles présents, et les destinées de leurs propriétaires, commanditaires et architectes. Mais cela est-il suffisant pour comprendre et connaître une ville ? Car enfin, suffit-il d'évoquer les mille et une anecdotes des vies écoulées dans ces demeures des collines, les cerros, pour comprendre la réalité de cette ville ? La réponse ne me semble pas simple.
A la lecture, la curiosité cède le pas à l'agacement, et à la lassitude devant les répétitions: certes, on comprend que cette ville, classée en partie au patrimoine mondial de l'UNESCO, puisse susciter la nostalgie, mais enfin est-ce le seul sentiment possible ? On devine la tristesse de l'auteur qui voit disparaître pan par pan la ville de son enfance, et les observations qu'il fait peuvent souvent sonner juste, et faire revivre des époques révolues. Mais ensuite un hiatus apparaît entre ce que l'auteur veut faire comprendre et ressentir de sa ville et ce que le lecteur, a priori ignorant de cette ville, peut imaginer. L'évocation purement littéraire ne laisse presque aucune place à des développements plus approfondis sur une foule d'aspects qui restent dans l'ombre jusqu'à la fin du livre: Pourquoi une telle architecture est-elle née en ce lieu ? Quels en ont pu être les financements ? Quelles en sont les caractéristiques précises ? Quelle a été la période de plein épanouissement de cette architecture ? Comment la ville se présente-t-elle ? Quelle en est la topographie ? Quel rapport les habitants de la ville entretiennent-ils avec ce patrimoine ? Qui étaient les artisans et les artistes qui ont rendu possible une telle floraison architecturale ? Questions peut être triviales, mais qui me semblent essentielles, surtout pour un non-connaisseur de Valparaiso, encore une fois.
L'approche de l'auteur, sympathique, reste à mon sens trop superficielle. Elle parvient certes à restituer une certaine atmosphère de la ville, mais qui laisse (délibérément ?) de côté les aspects plus conflictuels de celle-ci. On comprend en filigrane que les personnes qui ont fait bâtir ces maisons remarquables, ou les ont fait restaurer, sont très riches, et que les quartiers décrits semblent correspondre aux quartiers les plus chics de la ville. En tout cas, la géographie sociale est totalement absente du livre, et ce qui est rêve ou nostalgie pour les uns a peut-être été ou est encore injustice ou frustration pour les autres. De cela, il n'est jamais question, et on a une impression de naïveté au détour de plusieurs pages pourtant intéressantes par ailleurs.
Mais l'on touche ici aux limites d'une traduction qui, pour correcte qu'elle soit, laisse bien des aspects de la ville dans l'ombre. Des notes expliquent des traits culturels propres au Chili, mais cela reste insuffisant. Autant le public chilien, en lisant cet ouvrage, a pu certainement y retrouver des souvenirs, des détails plaisants et des histoires savoureuses, autant le public français risque de ne pas tout saisir, à moins de déjà connaître le lieu et son histoire. Or, ce livre est censé faire découvrir Valparaiso.
Il est particulièrement regrettable, à cet égard, que le livre contienne des photographies si médiocres de la ville, et surtout ne contienne aucune carte, aucun plan qui permettrait d'identifier les lieux évoqués, d'en comprendre la configuration, d'en saisir au moins la logique élémentaire. Cet ajout, mineur, aurait permis de mieux comprendre une fois de plus, les particularités de cette ville.
Au final, Valparaíso, chroniques d'un port mythique réussit partiellement à convaincre. Le livre a connu un franc succès au Chili et a déjà été traduit en anglais. Le titre français, "chroniques" est dû au choix de textes extraits de l'édition originale. L'approche, très intimiste, nous livre des petites histoires sur les habitants de la ville. On peut penser à la collection Autrement de guides urbains plus "littéraires", censés faire partager une vision plus intérieure des villes présentées. Dans tous les cas, ce livre donne envie d'en savoir plus, et c'est sans doute là l'essentiel.