Une somme monumentale qui propose l’étude minutieuse du destin de Marie de Médicis, reine honnie par l’Histoire.

Qui est véritablement Marie de Médicis ? Quel rôle a-t-elle joué dans la politique de son temps ? Et enfin, que dire de l’image de l’image qu’elle a laissée à la postérité ? Jean-François Dubost, dans un ouvrage en rupture totale avec l’historiographie qui a prévalu jusqu’ici, dresse le portrait d’une reine tel un dévoilement au monde. Dans la lignée des biographies qui ont tendu, ces dernières années, à réhabiliter de grandes figures historiques diabolisées, notamment des femmes, l’auteur souhaite rendre hommage à une reine dont la légende noire a collé au corps et à la mémoire. Le parti pris est d’emblée posé, il ne s’agit pas de décrire les faits tels qu’on les connaît mais de réinterpréter chaque acte de Marie de Médicis, grâce à l’appui de nombreuses sources, afin de lui rendre des contours plus humains, mais également plus royaux. Marie de Médicis a souvent été incriminée pour toutes les erreurs commises sous son gouvernement ; une véritable légende noire s’est ainsi transmise de ses contemporains aux historiens associant la reine à l’incapacité et la méconnaissance politique. Elle a même été accusée d’avoir commandité l’assassinat d’Henri IV. En effet, l’action politique et même la vie de Marie de Médicis ont souvent été analysées à l’aune de son échec de 1630 face à Richelieu - l’épisode bien connu de la Journée des Dupes. Pour Jean-François Dubost, elle gouverne malgré de nombreux handicaps : elle est étrangère, elle est une femme et ses origines sont bien souvent suspectées. Enfin, son mariage avec Henri IV n’est reconnu que tardivement par la monarchie espagnole créant un halo d’instabilité et d’illégitimité autour d’elle.

L’auteur affirme d’emblée son intention : étudier, à travers l’histoire d’un personnage précis, le rôle de l’individu et sa marge de manœuvre dans la société du premier XVIIe siècle. Dès lors, l’ambition de l’ouvrage ne se résume pas à une simple biographie chronologique, mais vise à réhabiliter la figure de Marie de Médicis en abordant les grandes thématiques qui ont émaillé sa vie. C’est grâce à une étude minutieuse des sources dans leur globalité que Jean-François Dubost s’attaque aux préjugés historiographiques et historiques sur la mère de Louis XIII. L’œuvre est monumentale et la liste des sources manuscrites et imprimées, qui ont fondé l’étude biographique, quasiment exhaustive. Ce travail de longue haleine, réalisé sur plus d’une dizaine d’années, dévoile, page par page, la véritable identité et la réelle action de la fondatrice de la nouvelle dynastie française : les Bourbon.

Jean-François Dubost s’attaque aux idées préconçues qui ont guidé les recherches historiques sur Marie de Médicis. Son premier cheval de bataille concerne les origines de la reine. Décrite comme une "grosse banquière", héritière d’une famille de financiers florentins, les Médicis, encore mal dégrossie lorsqu’elle arrive à la cour de France, Marie de Médicis n’a pourtant rien d’une vulgaire bourgeoise en 1600, lors de son mariage avec Henri IV. En effet, ses origines sont plus complexes qu’il n’y paraît. Elle se rattache à la famille impériale par sa mère et connaît parfaitement les liens familiaux et clientèlaires qui la lient aux grandes familles européennes. Si les Médicis sont souvent accusés d’avoir gagné gloire et prestige par des jeux d’alliances et de mariages, ils n’en sont pas moins au cœur d’une dorsale catholique qui s’étend de la Lorraine à l’Italie. Dès son plus jeune âge, Marie de Médicis est élevée dans l’espoir d’être l’instrument d’une alliance si prestigieuse qu’elle ôterait toute suspicion sur la légitimité du pouvoir des Médicis. Ainsi, les règles et connaissances nécessaires à la pratique politique lui sont bien inculquées dans le contexte d’une Florence rêvée, modèle de la Réforme catholique. Arrivée en France en 1600 à l’âge de 27 ans, elle est alors tout à fait armée pour faire face au rôle éminent qui lui incombe.

L’image négative, qui a poursuivi la reine jusqu’à nos jours, a également oblitéré l’accueil qui lui a été réservé à la Cour de France à son arrivée. Après le déchaînement des guerres de Religion et la stérilité du mariage d’Henri IV et de Marguerite de Valois, elle apparaît comme la reine providentielle que Dieu veut offrir au royaume. Née catholique dans une famille alliée aux Guise, anciens chefs de la Ligue, elle apporte à Henri IV la légitimité qui lui manque en raison de ses nombreuses conversions et abjurations. Néanmoins, le plus beau cadeau qu’elle offre à la France reste incontestablement la naissance des enfants royaux, six enfants dont cinq parviennent à l’âge adulte dont le Dauphin, né en 1601. Marie de Médicis représente donc la "bonne reine" dans toute sa splendeur, protectrice du royaume lui apportant fécondité et prospérité. Elle n’est en rien l’incapable que certains contemporains, comme Sully, ont décrite a posteriori. Jean-François Dubost insiste à la fois sur les modèles qui l’ont influencée et sur la manière dont elle s’impose rapidement sur la scène politique. Il est important de souligner l’empreinte laissée par Catherine de Médicis, reine et régente, à la cour de France. Marie s’en inspire et se ménage, peu à peu, une marge de manœuvre plus importante en entretenant une vaste clientèle et en se positionnant comme conseillère du roi. Ce dernier n’hésite pas à afficher publiquement la confiance qu’il lui accorde. En 1610, alors qu’il se prépare à partir en campagne militaire, il décide de faire sacrer la reine et de lui confier la gouvernance du royaume. Là encore une fois, les mauvaises langues l’ont affublée de tous les vices : arrivisme, soif de pouvoir et "machiavélisme" car avant même de partir en guerre le roi tombe sous les coups de Ravaillac en plein Paris. Jean-François Dubost note l’absence de mouvements de remise en cause de son rôle de régente. La reine est par essence et par délégation du roi celle qui doit gouverner et protéger le royaume.



Marie de Médicis semble avoir fait preuve d’une grande capacité à gérer les affaires politiques et financières. Si certains ont critiqué sa politique financière l’accusant de dilapider l’argent des caisses du royaume, elle n’est pourtant que la simple héritière des pratiques de cour qui supposent des dépenses faramineuses liées au train de vie des maisons du roi et de la reine. Constamment durant la régence elle se réfère à la politique d’Henri IV et s’en réclame. Telle est son intelligence politique : s’adapter aux besoins du temps et au caractère de ses sujets. Si nombre d’historiens en ont fait une catholique intransigeante obsédée par le pouvoir, Jean-François Dubost rétablit la vérité et démontre qu’elle côtoie et favorise tant les protestants que les catholiques dans une politique de coexistence aussi bien religieuse qu’intellectuelle. En politique comme en religion, elle fait preuve d’un pragmatisme à toute épreuve et prend l’initiative des mariages espagnols dont le succès lui est rarement imputé. De même, l’auteur s’attaque à un mythe quasiment indestructible érigeant les époux Concini en véritables artisans de la politique de la reine. L’étude minutieuse des sources révèle les fondements erronés d’une telle interprétation. En effet, Marie de Médicis se passait aisément des Concini. De nombreuses mentions indiquent qu’elle partait souvent en voyage sans Léonora, tandis que le maréchal d’Ancre n’est mentionné dans les sources diplomatiques qu’à partir de 1614. Elle conserve donc une réelle indépendance dans son gouvernement. Enfin, les études biographiques oublient souvent la finesse dont elle a pu faire preuve notamment en favorisant la carrière du cardinal de Richelieu. Ce dernier lui doit la pourpre cardinalice mais l’histoire n’a malheureusement retenu que leur affrontement final lors de la journée des Dupes en 1630 qui voit s’affirmer le pouvoir du cardinal conte la reine mère.

Le point d’orgue et la réussite la plus complète de Marie de Médicis concerne la politique de représentation qu’elle a mise en œuvre. Digne héritière du mécénat médicéen à Florence, elle soutient non seulement les artistes et industries locales mais elle met également à profit cet engouement pour l’art dans sa stratégie politique. Un chapitre entier est consacré aux deux cycles qu’elle commande à Rubens pour le palais du Luxembourg : la vie de Marie de Médicis et les batailles d’Henri IV. La décision n’est en rien anodine, elle s’y fait représenter triomphante et incarnant les vertus politiques tandis qu’Henri IV, fondateur de la dynastie, vient légitimer ses actes par ses victoires faisant rejaillir la gloire sur sa descendance. Marie de Médicis devient alors la protectrice, la mère du royaume. Pour Jean-François Dubost elle deviendrait même une allégorie de la France, de ses vertus et de sa magnificence. Elle devient Junon-Minerve tandis qu’Henri IV se fait Jupiter, réactualisant une véritable triade capitoline. En cela, il est indéniable qu’elle mène une politique de représentation habile en parfaite harmonie avec son époque.

Aborder la dernière partie de sa vie, celle des jours moins glorieux de "guerres" avec son fils, de désaveux et d’exil, n’est pas aisé. Toutefois, si le but de l’auteur est de réhabiliter la figure de Marie de Médicis, il n’en est pas moins conscient des erreurs qui lui furent fatales. C’est avec beaucoup de compréhension et un fin esprit d’analyse qu’il met en avant les contradictions inhérentes au caractère de la reine, mais aussi à sa génération. Sa fuite du château de Blois en 1619 et celle du château de Compiègne en 1630, souvent transformées en frasques grotesques, sont replacées dans un contexte diplomatique précis leur rendant toute leur logique. Ces actes de désobéissance envers le roi ont constitué une réelle menace pour ce dernier. Loin d’être recluse, la reine mère garde une vaste clientèle sur laquelle s’appuyer, même après sa défaite face au favori, le duc de Luynes. Dès 1620, grâce à son habileté politique elle parvient à réintégrer officieusement le Conseil de façon épisodique.

L’exil des dernières années lui vaut pour beaucoup la réputation de mauvaise reine qui a perduré jusqu’à nos jours. Accusée de trahison, elle a pourtant préservé un pouvoir royal intact pour son fils et placé deux des enfants de France sur des trônes européens. Rapatriée en France à sa mort elle ne bénéficie que de funérailles intimes, réservant la gloire à ses opposants. Le portrait que Jean-François Dubost dresse de cette reine hors du commun, qui a tant lutté pour s’imposer sur la scène politique, est à la fois précis, scientifique et émouvant. La reine est présentée sous ses différentes facettes, ni la reine ni la femme ne sont négligées. Continuellement, son action est réintégrée dans le contexte imminent mais aussi le contexte plus large du XVIIe siècle. Parfois peut être un peu trop nourri de digressions, le texte est clair et ne laisse rien passer sur les différentes hypothèses de lecture d’une vie plus complexe que l’historiographie traditionnelle a pu le décréter. Le résultat est une étude solide, documentée avec précision, qui ne laisse pas de doutes quant à la valeur et l’exemplarité de la vie de Marie de Médicis