* Le Prix Nobel de Littérature a été attribué le jeudi 7 octobre 2010 à Mario Vargas Llosa. Nonfiction.fr revient dans l'article ci-dessous sur l'exposition qui lui est actuellement consacrée à la Maison de l'Amérique latine, à Paris.

 

C’est une vie bien remplie que celle de l’homme de lettres péruvien Mario Vargas Llosa, présentée à la Maison de l’Amérique latine, à Paris. A l’entrée, dans une grande salle, des photos évoquent une époque qui ne paraît pas tout à fait révolue. Si quelques-uns des amis de l’écrivain ne sont plus, d’autres sont encore là et une photo de lui-même en 2009, écrivant entouré de tissus et à la lumière d’une bougie, indique une perpétuation. D’ailleurs, Mario Vargas Llosa aurait l’habitude d’établir ses projets d’écriture sur cinq ans.

Sur les photos, l’écrivain est à Lima, Paris, Barcelone, Londres, New York, Aix en Provence. Ces quelques villes tracent une pérégrination mondaine jamais achevée et la mise en scène de la dernière photo semble bien suggérer que cela se poursuit. En 2004, Jorge Semprun le recevait à Francfort et concluait : "(…) pour tes livres à venir, qui vont continuer à propager le feu de la littérature (…)". Cette exposition à la Maison de l’Amérique latine est une étape en forme d’hommage rendu par Alonso Cueto, Juan Ossio, Frederick Cooper Llosa, Fernando de Szyszlo, Fernando Carvallo, Jorge Semprun, Albert Bensoussan et Michel Braudeau du 14 septembre au 6 novembre 2010. Une publication du catalogue de l’exposition paraît chez Gallimard, Mario Vargas Llosa. La liberté et la vie, 155 p.

 

L’avenir est une promesse du passé

En descendant l’escalier qui mène au sous-sol où se trouvent d’autres photos et des objets, on remarque des pages dactylographiées et manuscrites, signées et datées, éparpillées au sol et sur les marches. On peut s’y pencher ou les fouler sans s’arrêter, revenir. En bas, de grands panneaux rouges portant des textes, des photographies et des vitrines de papiers personnels disent la voracité précoce avec laquelle Mario Vargas Llosa est entré en littérature. Depuis toujours, il dévore les livres, dont les auteurs classiques français. Sur une liste établie par lui en 1981 d’une trentaine d’écrivains et d’œuvres qu’il considère comme les maîtres absolus des XIXe et XXe siècles se trouvent en tête Hugo, Stendhal, Balzac et Flaubert.

Vargas Llosa est aussi témoin et acteur de son temps : un témoin attentif et passionné et un acteur engagé. Des articles de journaux et des extraits filmiques retracent sa carrière de journaliste ainsi que la campagne présidentielle qu’il mena en 1990 pour les élections au Pérou où il s’était réinstallé à partir de 1974. La salle aux hippopotames, qui contient quelques pièces de sa collection particulière d’hippopotames miniatures, est un clin d’œil à la récurrence du mammifère dans ses écrits et à l’importance particulière qu’il accorde au théâtre. Cette collection a en effet été initiée suite à la création de sa pièce, Kathie et l’hippopotame, au début des années 1980.

L’écrivain se démultiplie ainsi autour du monde : historien, journaliste, homme de théâtre, homme politique, reporter, acteur.

La vie littéraire de Mario Vargas Llosa doit beaucoup à Paris. C’est en 1958 qu’il remporte un concours organisé par la Revue Française et se rend dans la capitale française. Durant toute son enfance, il s’était forgé de Paris une image idéale et il affirme ne pas avoir été déçu en arrivant. C’était la bonne époque, nous dit-il tandis que nous déambulions entre les salles en sa compagnie.

Paris, où il passera sept ans, était alors, selon Octavio Paz, "capitale de la culture latino-américaine". Mario Varga Llosa y rencontre aussi Sartre, Beauvoir, suit des conférences captivantes à la Mutualité. C’est dans cette ville qu’il est devenu écrivain, irrémédiablement. Il publie en 1963 La ville et les chiens, son premier roman tiré de son passage au collège militaire de Lima Leoncio Prado. Pourtant, si le théâtre avait été plus développé au Pérou dans les années 50, c’est vers lui qu’il se serait tourné car la dramaturgie l’intéresse avant tout.

La ville et les chiens porte les traits de son écriture de toujours : vive, drôle, saccadée, disloquée, dense et dure. Julio Cortázar se dit "complètement subjugué par [son] immense capacité narrative, par ce qu’[il] possède et le rend différent et meilleur que les autres romanciers latino-américains vivants"   . Cette écriture peut être jouée et mise en scène, comme le fit le réalisateur péruvien Francisco Lombardi en 1985 et comme le feront d’autres cinéastes avec plusieurs de ses œuvres.

Si l’écriture est dure parfois, c’est parce que la réalité bouleverse Mario Vargas Llosa depuis qu’il a revu son père à l’âge de 14 ans. Alonso Cueto raconte que l’ayant cru mort, il l’avait idéalisé à partir d’une photographie. La rencontre lui révèle un homme autoritaire et froid, et "marque son entrée dans l’âge adulte : elle mesure le fossé qui sépare la réalité de la fiction". Si l’image du père s’effondre au contact de la réalité, c’est parce que celle-ci est originellement corrompue par l’idée même du père, comme l’exprime Alonso Cueto. Dès lors, les personnages de Mario Vargas Llosa sont dans le récit pour échapper à la réalité. Pourtant le récit est fragmenté, fait des aller-retours, sape l’ordre et la linéarité, en écho à une réalité qui se moque de la cohérence.

Arrêté devant une vitrine qui contient ses propres livres annotés, il pointe le livre d’André Malraux, La condition humaine, et exprime le regret que l’auteur et cette œuvre n’aient pas la place qu’ils méritent au sein de la littérature. Sans doute, le lien ainsi établi entre l’auteur de La voie royale et Mario Vargas Llosa ne manque pas de réalisme …