Cette rentrée politique aux Etats-Unis est largement dominée par les élections de mi-mandat qui auront lieu début novembre. Les sondages prédisent une large défaite pour les Démocrates. La blogosphère américaine se passionne bien sûr pour cette campagne qui s’ouvre.

La déception Obama

A gauche, les blogueurs anticipent déjà la défaite et ils essayent déjà de l’expliquer. Même si son nom n’apparaîtra sur aucun bulletin de vote, Barack Obama est considéré comme le principal responsable des problèmes des Démocrates. Fin août, le célèbre politologue John Judis a publié dans The New Republic un article très critique à l’encontre du président, qui a fait sensation, "The Unnecessary Fall of Barack Obama". Depuis, le site du magazine a été le théâtre d’un vif débat entre intellectuels libéraux (au sens américain du terme) sur la pertinence des arguments de Judis. Il y a quelques jours, ce dernier s’est défendu dans un long post qui résume bien les doutes et les colères de la gauche américaine 18 mois seulement après l’arrivée d’Obama à la Maison Blanche : "I’ve spent a lot of time considering some of the … counter-arguments to my piece, and I’d like to take the opportunity to respond to them here [J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir aux contre-arguments opposés à mon article … et j’aimerais y répondre]. 

1. You shouldn’t be encouraging populism. [Vous ne devriez pas encourager le populisme.]
"I wasn’t arguing for populism as a political ideal, but as the means by which Obama could have more plausibly achieved objectives that he, and I, and many Americans share: a return to a buoyant prosperity, a narrowing of inequality, and the reinforcement of the social safety net [je ne défends pas le populisme comme un idéal politique, mais comme un moyen par lequel Obama aurait pu plus facilement réaliser des objectifs que lui, et moi, et beaucoup d’Américains, partageons : un retour à la prospérité, une baisse des inégalités, et le renforcement de la protection sociale]. […] Mike Kazin, who wrote the definitive book on populist rhetoric, suggests that I am exaggerating the role of populism in Franklin Roosevelt’s success in his first two years. I disagree with Mike on this point [Mike Kazin suggère que j’exagère le rôle du populisme dans les succès de Franklin Roosevelt lors des deux premières années de sa présidence. Je ne suis pas d’accord avec Mike sur ce point]. Obama waited a year before pressing for financial reform [Obama a attendu un an avant de réclamer une réforme du système financier]. During Roosevelt’s first months, he helped banks survive, but he also pressed immediately for policies that reinforced his populist message. He got Congress to pass the Glass-Steagall Act, which split off commercial from investment banking and established the Securities Act, which set the stage for the creation of the Securities and Exchange Commission. Roosevelt made it abundantly clear that he was on the side of Main Street not Wall Street. Obama did not [Sous les premiers mois de Roosevelt, il a aidé les banques à survivre, mais il a aussi immédiatement lancé des mesures qui renforçaient son message populiste. Il a convaincu le Congrès de passer la loi Glass-Steagall, qui a séparé les activités commerciales des activités d’investissement des banques, et il a créé le COB. Roosevelt a clairement montré qu’il était du côté des petites gens, pas du côté de Wall Street. Pas Obama].

2. You exaggerate Obama’s political difficulties [Vous exagérez les difficultés d’Obama].
"What the government does during Obama’s presidency will dramatically shape how the country fares in the future [Ce qu’Obama va faire va changer de façon spectaculaire le futur du pays]. To restore employment, the government is going to have to spend, and run greater deficits [Pour restaurer l’emploi, le gouvernement va devoir dépenser et provoquer de plus grands déficits encore]. But if Obama and the Democrats lose seats in November, they are not going to be able to meet these challenges [Mais si les Démocrates perdent des sièges en novembre, ils ne pourront pas relever ces défis]. It won’t be like Clinton and the Democrats losing the Congress in November 1994. At that time, the economy was already beginning to surge on its own. If Obama can’t move the country forward, it is going to move backward [Ce ne sera pas comme quand Clinton et les Démocrates ont perdu des sièges en novembre 1994. A ce moment-là, l’économie prospérait toute seule. Si Obama ne peut pas pousser l’économie vers l’avant, alors elle ira à reculons]. … To get that majority, however, Obama had to be as bold and as politically attuned as Roosevelt was in 1933. He was not [pour conserver la majorité au Congrès, Obama aurait dû être aussi audacieux et politiquement astucieux que Roosevelt en 1933. Cela n’a pas été le cas].

3. Yes, Obama made mistakes, but in comparing him to Jimmy Carter, you are forgetting that he has accomplished more in two years than Carter accomplished in four [Oui, Obama a fait des erreurs, mais en le comparant à Jimmy Carter, vous oubliez qu’il a accompli en 2 ans plus que Carter n’a accompli en 4].
"The memory of Bill Clinton’s incrementalism seems to have obscured what is a persistent fact of American politics : the presidency is an enormously powerful office [Comme on a encore en mémoire la prudence de Bill Clinton, on a oublié ce qui est un fait persistent de la politique américaine : la présidence est une institution immensément puissante]. Many of our presidents have been extraordinary bold …. Think of Wilson, Roosevelt, Truman, Johnson, Nixon, Reagan, and George W. Bush. So there is nothing unusual about a bold president [Nombre de nos présidents ont été extraordinairement audacieux, comme Wilson, Roosevelt, Truman, Johnon, Nixon, Reagan, Bush. Donc cela n’a rien d’exceptionnel]. The question about Obama is whether, giving the circumstances of this recession, he was bold enough. And the evidence so far is that he was not [La question est de savoir si Obama, étant donné les circonstances de cette récession, a été assez audacieux. Tout montre que non]".

Qui sont les électeurs ?

Au-delà de cette obsession rooseveltienne, qui illustre comment un pan très important de la gauche américaine semble engluée dans un paradigme vieux de 80 ans, d’autres blogueurs appréhendent les élections de novembre en essayant de comprendre les préoccupations de l’Amérique du XXIème siècle. Ici, la démographie joue un rôle essentiel.

A gauche, certains blogueurs tentent de se rassurer en montrant que le dynamisme démographique est du côté du Parti démocrate (on peut d’ailleurs constater de manière ironique que John B. Judis lui-même n’a pas toujours joué le rôle de Cassandre que l’on vient de décrire, puisque cette théorie démographique optimiste pour la gauche américaine était au cœur de l’un de ses livres les plus célèbres, The Emerging Democratic Majority, publié en 2002). Ainsi, sur le site de The American Prospect, Jamelle Bouie rappelle comment les statistiques montrent que le parti républicain est le parti d’une Amérique en voie de disparition  : "In the least surprising survey result ever, Gallup finds that non-Hispanic whites make up the vast majority of the Republican coalition [Dans ce qui est le résultat de sondage le moins surprenant de l’histoire, Gallup vient de montrer que les blancs non-hispaniques composent la grande majorité des rangs républicains] . […] I think it's far more important to note the significant advantage Republicans have among older voters ; 57 percent of whites age 45 and older voted for John McCain in 2008, and older whites form the vast majority of the conservative grassroot [Il est important de remarquer l’avantage significatif qu’ont les Républicains parmi les électeurs les plus vieux ; 57% des blancs âgés de plus de 45 ans ont voté pour McCain en 2008, et les blancs les plus vieux sont la vaste majorité de la base conservatrice].”

La blogosphère de droite réfute de telles analyses. Elle se base pour cela sur un article du New York Times décrivant une grande désaffection des jeunes pour Obama, alors que la cohorte des 18-29 ans avait largement voté pour lui en 2008. Sur le site de la très conservatrice National Review, Katrina Trinko, se réjouit de cet inattendu développement : "For young adults, Obama is no longer the hipster-in-chief [pour les jeunes adultes, Obama n’est plus le ‘mec cool en chef’].  Maybe it’s because of the persistent unemployment : 19% in July for 16- to 24-year-olds. Maybe it’s because they just realized that Obamacare likely means colleges will no longer be able to offer affordable health-care. Or maybe it’s because Lady Gaga now has more Facebook fans than Barack Obama [Peut-être que c’est à cause du chômage persistent : 19% en juillet pour les 16-24 ans. Ou peut-être parce qu’ils ont réalisé que la réforme du système de santé allait signifier que les universités ne pourront plus leur offrir des assurances santé à des prix raisonnables. Ou c’est peut-être parce que Lady Gaga a maintenant plus de fans sur Facebook que Barack Obama]. […] Of course, there’s still considerable support for Democrats among young adults. But it’s no longer a 70/30 split: it looks like it’s now more about 55% leaning Democrat and 30, 35% leaning Republican [Bien sûr, les jeunes restent largement démocrates. Mais ce n’est plus une coupure 70/30, c’est plutôt 55% pour les Démocrates, et 30-35% pour les Républicains]. That means about 15% of young adults are up for grabs, giving the GOP a chance to make the case to them that free enterprise and lower taxes will improve economic opportunity for all [Cela veut dire qu’environ 15% des jeunes sont indécis, ce qui laisse aux Républicains une chance de leur démontrer qu’un système de libre entreprise et de fiscalité basse peut améliorer la situation économique de tous].” Indépendamment de la pertinence des promesses républicaines, le fait même que cette génération de jeunes américains (génération que la presse, la blogosphère et les politologues annonçaient en 2008 comme une immense vague politico-démographique qui ferait basculer pour des décennies le paysage électoral américain vers la gauche) semble, moins de deux ans plus tard, prête à tourner la page Obama montre bien que le pessimisme et la sévérité de Judis sont malheureusement justifiés

 

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- "Etats-Unis : la blogosphère américaine joue avec le feu", par Françoise Coste.