Charles (interprété par Jean Dujardin) – écrivain maudit, barbe et vague-à-l’âme, alcoolisme patent – reçoit la visite de son cancer, incarné par Albert Dupontel. Secrètement amoureuse de lui, Louisa (Anne Alvaro), sa gouvernante, le suit impuissante dans ses dérives et ses excès avant de recevoir à son tour la visite d’une sombre messagère (Myriam Boyer), qui lui annonce également un cancer…

Le film de Bertrand Blier laisse un arrière-goût d’inachevé. La personnalisation fantasmagorique du cancer aurait pu donner lieu à une réflexion sur l’absurdité de l’existence, au non-sens qui aspire brutalement le protagoniste après le départ de sa femme… Elle n’est finalement que le prétexte à une prise de conscience bien banale : l’artiste alcoolique décide que la vie mérite d’être vécue et que, réflexion faite, il n’est pas pressé de mourir…

 

Le bruit des glaçons est un rendez-vous manqué, avec l’émotion notamment. Filmé en gros plan, le visage d’Anne Alvaro se charge pourtant d’une grande intensité expressive. Figure renouvelée d’une Pieta moderne, elle tente désespérément de sauver cet homme "inconséquent, égoïste, alcoolique et con", ainsi qu’il se décrit lui-même. Face à elle, Jean Dujardin est bouleversant lui aussi, dans le rôle de cet auteur perdu, dévasté et paradoxal, partagé entre autodestruction et désir de vivre malgré tout. 

 

Pourquoi alors cette attente déçue ? Pourquoi le film ne convainc-il pas ? Peut-être à cause de la musique, tout d’abord, envahissante, irritante, omniprésente, en décalage constant avec le récit, et qui instaure systématiquement une distance avec le spectateur.

Peut-être également parce que Bertrand Blier semble hésiter entre deux directions contradictoires : celle de l’identification et de l’empathie face au drame de la maladie, et celle de la réflexion sur l’absurdité et l’artificialité de l’existence humaine. Ainsi, la théâtralité de certaines répliques déclamées avec emphase, les références ponctuelles au cinéma, l’écran où surgit pour la première fois la forme personnifiée du cancer, la frontalité récurrente des personnages et leurs regards adressés directement au spectateur contribuent à instituer une distance critique anesthésiant systématiquement toute forme d’empathie.

De même, la récurrence des plans-tailles confère aux corps un statisme, une inertie désagréable. Le cadrage pourrait constituer une mise en péril des corps, menacés dans leur unité ; il ne distille qu’un effet de froideur. Ponctuellement, néanmoins, les corps s’imposent à l’écran, dans une intégralité paradoxale. Corps en chute du protagoniste assailli par les flashs d’un paparazzi, corps titubant de l’ivresse : ces plans trop rares, trop fulgurants, nous livrent des corps précaires et bouleversants, sublimes dans leur fragilité.

 

Le réalisateur de Buffet froid pêche ici par indécision. On sent comme une réticence de sa part à aller jusqu’au bout de son projet. Dans le rôle du cancer, Dupontel est moins inquiétant qu’irritant, par sa présence obstinée. La verve sombre et cruelle, qui semble pourtant attachée comme une ombre brillante et désespérée au corps même de l’acteur, est émoussée. Pas d’humour noir et tragique dans sa lucidité mais une maladie exaspérante, indésirable comme un moustique dans une nuit d’été. Sournois… comme le cancer lui-même, certes, qui avance larvé dans l’invisibilité des cellules.

Mais si le film tend parfois à illustrer cette expérience, dans son organisation et ses choix de mise en scène, et s’il ne manquera pas de provoquer dans les médias quelques débats (sans doute salutaires) sur la maladie et la fin de vie, il ne réussit pas à transcender son sujet pour en faire un enjeu signifiant de cinéma (comme chez Bergman par exemple). Du point de vue de l’art, on appelle cela une occasion manquée