À deux mois du premier tour de l’élection présidentielle au Brésil, tout indique que Dilma Rousseff, candidate désignée par Lula pour lui succéder, donnera une chance au Parti des Travailleurs (PT) d’obtenir un troisième mandat consécutif. La victoire du PT consacrerait alors une stratégie de conciliation d’interêts adoptée il y a une dizaine d’années pour courtiser un plus grand nombre d’électeurs. Après presque huit ans au pouvoir, nous constatons de fait que le gouvernement de Luiz Inacio Lula da Silva a pu agencer une politique d’expansion du marché intérieur, reposant sur l’inclusion des secteurs les plus pauvres de la société brésilienne et le maintien d’une politique économique de stabilité qui ne met pas en péril les soubassements de la pyramide sociale.
 

Bien que les sondages donnent Rousseff au coude-à-coude avec son principal adversaire, le chef de file centriste José Serra du Parti de la Social-Démocratie Brésilienne (PSDB) – tous deux sont autour de 40 % des intentions de vote – les sympathisants de la candidate du PT savent que la popularité de Lula, qui atteint presque 80 % d’opinions favorables, finira par donner à Rousseff un avantage électoral significatif. Leur conviction s’appuie sur l’espoir que la diffusion des messages télévisés des candidats, qui débutera d’ici quelques semaines, permettra une plus grande visibilité à la candidate officielle parmi les électeurs qui approuvent la gestion de Lula mais qui ne connaissent pas encore sa dauphine. Ils espèrent ainsi que cette publicité accrue pourra rapprocher le niveau de popularité de leur candidate de celui du président. Au début de cette année, tous les sondages situaient Rousseff sous le seuil des 30 % des préferences, ce qui montre que la progression de sa popularité est soutenue et qu’elle va de concert avec la diffusion graduelle de son image auprès du grand public.


La candidature de Rousseff est soutenue par une dizaine de partis de teintures idéologiques différentes. En pratique, la grande pluralité de partis politiques qui caractérise le jeu politique brésilien empêche qu’un parti puisse gouverner en solitaire ou qu’il ne se satisfasse que de l’appui des partis idéologiquement les plus proches. L’histoire des expériences démocratiques au Brésil démontre que la plupart des gouvernements se sont constitués à partir d’une coalition de forces politiques, d’identités régionales et même idéologiques très différentes les unes des autres. Une équation qui s’est avérée efficace pour assurer la gouvernabilité, mais aussi pour ne pas trop bouleverser le statu quo. Depuis 1989, date à laquelle les Brésiliens ont récupéré le droit d’élire directement leur président, aucun candidat ayant remporté l’élection présidentielle n’a obtenu plus de 20 % des sièges à la chambre des députés. Cette contrainte oblige les élus à former des gouvernements de coalition permettant, d’une part, de rassembler des forces majoritaires au Congrès et, d’autre part, de céder une partie des postes ministériels au contrôle des alliés.


Jusqu’en 1998, Lula s’est allié trois fois comme candidat à la présidence à des partis avec qui il avait des affinités idéologiques patentes. Chaque fois, le résultat fut le même : la défaite. En 2002, pour la première fois, il a étendu l’alliance à un petit parti de droite proche du milieu entrepreneurial, le Parti Libéral. Il s’est également engagé à respecter les principes macro-économiques qui ont permis au gouvernement de Fernando Henrique Cardoso de stabiliser l’économie et de gagner la confiance des investisseurs. Dès la première année de son mandat, Lula a démontré qu’il savait bien tenir ses promesses face aux exigences du marché. Cependant, il n’a pas fait d’efforts significatifs pour élargir sa base d’appui au Congrès National au-delà des partis qui l’ont soutenu pendant la campagne électorale. Progressivement, cette négligence a compliqué la viabilité législative des projets de lois qu’il a présentées. Ainsi, un an après son ascension au pouvoir, il s’est vu obligé de faire appel au soutien de la première force législative et de l’intégrer au gouvernement. Paradoxalement, c’est le Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB, centriste), parti qui a participé au gouvernement Cardoso et qui a été la cible des critiques virulentes du PT lorsqu’il était dans l’opposition, qui a fait office d’allié du gouvernement Lula. Aujourd’hui, c’est ce même PMDB qui est le partenaire principal du PT, et ce, tant dans la course pour l’élection présidentielle que dans la joute électorale pour le renouvellement de la composition du gouvernement des états.

 

Cette combinaison d’alliances pluralistes et de modération pragmatique fut un facteur décisif dans les succès électoraux de la formation de Lula. Néanmoins, elle a coûté la défection de quelques militants historiques du PT et l’abandon du programme strictement anti-libéral. Ceux qui sont restés fidèles au programme historique du PT ont fondé un nouveau parti en 2004 : le Parti Socialisme et Liberté (PSOL). Son candidat présidentiel en 2010, Plinio Arruda Sampaio (1 % des intentions de vote), rédacteur du premier document statutaire du PT, s’est prononcé de manière péremptoire en faveur d’une réforme agraire et contre le pouvoir excessif des investisseurs privés. Jusqu’ici, les électeurs brésiliens ne lui ont cependant pas prêté beaucoup d’attention. Le PSOL n’a que trois députés dans la chambre basse et un seul sénateur qui a pourtant été élu sous l’égide du PT.


Par ailleurs, Marina Silva, du Parti Vert (PV), arrive à cette première étape de la campagne électorale en troisième position, comptant sur 10 % des intentions de vote. Elle aussi a été membre du PT et ministre de l’Environement du gouvernement Lula. C’est à cette époque que remonte sa célèbre rivalité avec Dilma Rousseff, qui a d’abord siégé en tant que ministre de l’Énergie et ensuite à titre de chef du cabinet ministériel. Originaire de la région d’Acre, en pleine Amazonie, Silva s’opposait aux projets d’infrastructure promus par le gouvernement qu’elle jugeait contraires à son agenda de préservation environmentale. Marina Silva a une biographie comparable à celle du charismatique Lula : née dans une famille de condition modeste de la périphérie de Rio Branco (capitale de l’état d’Acre), Silva s’est alphabétisée tardivement et, une fois à l’université, elle a commencé à militer dans l’aile communiste du PT. Elle a quitté le gouvernement en 2008 et le parti en 2009, et a finalement accepté la candidature des verts. Dans les prochaines semaines, les premiers débats télévisés lui donneront peut-être l’opportunité de mettre au premier plan ses projets en faveur du développement durable et d’expliquer les autres éléments de son programme.


Quant à José Serra et les partis de centre-droite qui l’appuient, la campagne s’est révélée difficile au moment de présenter un discours électoral original et même d’opposition. Compte tenu de l’apparente satisfaction du grand public devant les résultats des huit dernières années du gouvernement Lula, le changement proposé par l’opposition dirigée par José Serra peine à convaincre. Que lui reste-t-il donc à faire ? Pour l’instant, il lui faut réaliser un grand effort pour démontrer qu’il est le seul candidat pouvant devancer Lula. Pour ce faire, il devra sans doute s’appuyer sur l’expérience accumulée en tant que maire et gouverneur de la ville et de l’Etat de São Paulo, ainsi que sur le résultat du travail accompli en tant que ministre de la Planification et ministre de la Santé sous le gouvernement Cardoso.


Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que la presse brésilienne écrive à l’unisson que les élections de cette année sont marquées par l’absence de véritables représentants de la droite. De leur point de vue, il semble pour le moins difficile de trouver un candidat défendant ouvertement une politique conservatrice, et ce, que ce soit dans le domaine économique ou dans le domaine social. La trajectoire politique de Serra contribue à corroborer cette analyse. Ce candidat a de fait participé au mouvement étudiant s’étant opposé au coup d’État des militaires en 1964 et, en tant qu’économiste, il a maintenu un lien étroit, à l’instar de Fernando Henrique Cardoso, avec les groupes d’intellectuels progressistes qui se sont penchés sur l’analyse des processus de développement et de dépendance économique en Amérique latine. Et ce n’est sans doute pas un hasard s’il a aussi contribué à fonder un parti "social-démocrate". Si on les compare à des partis et à des personnalités de la droite latino-américaine, Serra et son PSDB seraient certainement placés à la gauche de beaucoup d’entre eux. Mais dans le contexte brésilien, ils sont manifestement à droite du PT et du gouvernement actuel. Cette position lui assure un prestige certain auprès des élites économiques du pays et de la classe moyenne élevée.


Sous le gouvernement dirigé par Lula da Silva, le pouvoir d’achat des familles les plus pauvres s’est accru, la valeur relative des salaires ne diminue plus et de nombreux emplois ont été créés. Dans ce contexte, une nouvelle vague d’optimisme s’est emparé du pays. Parmi les plus enthousiastes, on entend dire que le Brésil a finalement trouvé le bon chemin vers le développement. De leur côté, les plus modérés mettent en garde les Brésiliens contre les dangers provoqués par les graves problèmes non résolus dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’écologie et ceux qui résultent de la concentration de la richesse. Dilma Rousseff, pour l’instant, se présente comme la garante de la continuité. Pour sa part, José Serra et les autres auront le défi de persuader une majorité de Brésiliens que les résultats positifs de l’administration Lula sont plus artificieux que réels et que seul une alternance politique est susceptible d’assurer un véritable progrès