Les candidats à la prochaine élection présidentielle américaine investissent les réseaux sociaux sur Internet, Facebook en particulier. Au-delà du buzz autour du phénomène, ces sites, de plus en plus prégnants dans l'activité en ligne des jeunes et des moins jeunes, facilitent les pratiques militantes. Une (petite ?) révolution numérique, dont la campagne pour les municipales de 2008 offre déjà les premières illustrations en France.

Les réseaux sociaux en ligne sont des sites permettant aux internautes de créer un profil public ou semi-public dans un système fermé, d'interagir avec une liste d'utilisateurs avec qui ils partagent une ou plusieurs connexions et de naviguer au gré de celles établies par les autres au sein de ce système, la nature et la nomenclature de ces connexions variant selon les sites  

Facebook, créé en 2004 par Mark Zuckerberg et initialement réservé aux étudiants d'Harvard, s'est progressivement ouvert à tous les internautes. Depuis mai 2007, les applications les plus diverses peuvent librement s'y greffer. C'est l'une des clés de son phénoménal succès. Facebook est le 7ème site le plus visité dans le monde (derrière Yahoo!, Google, YouTube, Windows Live, MSN et Myspace), le 1er au Canada (10% de la population inscrite) ou en Norvège (20% de la population inscrite) par exemple. Précision d’importance : plus de la moitié des membres consultent le site quotidiennement, et y restent vingt minutes en moyenne.

Le phénomène Facebook gagne la France depuis quelques mois. Bien que n’ayant pas encore de version française, sa croissance y est fulgurante, grimpant en quelques semaines de la 30ème à la 12ème place dans la liste des sites les plus consultés, avec plus d'un million de membres et 16.000 nouveaux inscrits par jour.

Le site, qui sera sans nul doute le plus important réseau social en ligne au moment des élections prochaines, devient, à mesure que les équipes de campagne et les militants l’investissent, un important espace de communication politique.


Barack Obama et "l’effet facebook"

Le militantisme en ligne a une longueur d'avance outre-Atlantique : de l'association MoveOn dès 1998 à la campagne de Richard Dean en 2004, l'Oncle Sam innove en matière de politique participative sur Internet. Les réseaux sociaux permettent de franchir une nouvelle étape, vers plus de démocratie, ou de communication c'est selon, illustrée par le boom d'Obama sur Facebook.

Plutôt qu'un ténor de la communication politique, Barack Obama a engagé, pour gérer sa campagne en ligne, le cofondateur de Facebook, Chris Hughes, 23 ans, diplômé d'Harvard en histoire et littérature (spécialités Société française et Théorie politique). Un choix qui n'explique pas nécessairement le succès du candidat démocrate sur Internet, mais qui témoigne de l'enjeu que représentent aujourd'hui les réseaux sociaux dans le cadre d'une campagne électorale.

Le Personal Democracy Forum, mesure le soutien aux différents candidats à l'investiture pour l'élection présidentielle américaine de 2008 sur Facebook (via l'application US Politics), MySpace et YouTube notamment.  

Selon Andrew Rasiej, fondateur du site, les conversations sur la politique qui avaient lieu autour de la machine à café sont aujourd'hui boostées par les réseaux sociaux, à la fois chambres d'écho et porte-voix efficaces de l'opinion.

Un sondage réalisé par le Global Market Insite auprès d'un échantillon représentatif de 2116 américains a récemment montré que 17% d'entre eux, et 39% des 18-24 ans, ont consulté le profil d'un candidat sur un réseau social, notant que 62% de ces visiteurs ont plus de 30 ans. Cette étude met donc à mal deux idées préconçues : les jeunes internautes ne seraient pas intéressés par la politique et ils seraient les seuls à surfer sur Facebook ou MySpace. Concernant l'intérêt de la présence des candidats sur ces réseaux, 64% des sondés déclarent avoir l'impression de mieux connaître leur personnalité après avoir surfé sur leurs pages.

Stephanie Taylor, responsable éditoriale de Democrats.org et membre de l'équipe d'Howard Dean sur Facebook explique comment le profil du candidat permet de toucher notamment la population universitaire, difficile à atteindre via le marketing politique traditionnel. L'objectif est de construire une communauté autour d'intérêts communs et de valeurs partagées, puis d'organiser l'action politique, selon des méthodes qui vont évoluer à mesure que se développent les réseaux sociaux eux-mêmes.

Ce sont sur les groupes créés par les internautes, plusieurs centaines pour Barack Obama comme pour Hillary Clinton, que l'on trouve le plus grand nombre de supporters. Le succès de certains est assez édifiant. Le jour de l'annonce de la candidature d'Obama à l'investiture, Farouk Olu Aregbe, étudiant de 26 ans, se connecte sur Facebook et crée le groupe One Million Strong for Barack. Cent personnes le rejoignent dans l'heure, 10.000 en moins de cinq jours, et 200.000 au bout de trois semaines. Ils sont aujourd'hui presque 400.000 membres.

Un autre groupe très important soutient le sénateur de l'Illinois : Students for Barack Obama, créé par Meredith Segal, 21 ans, en 2006. Devenu un organe politique structuré, il compte des dizaines de milliers de membres, des comités dans plus de 80 universités, un directeur des opérations de terrain, un directeur Internet, un directeur de l'équipe de blogueurs et un directeur des finances. "Les jeunes sont sur Internet, c'est comme cela qu'on s'organise", déclare l'étudiante. Le groupe organise des manifestations qui réunissent plusieurs milliers de sympathisants, et auxquelles participe parfois Obama lui-même.

Les supporters postent des photos du candidat sur leur profil, mettent des liens vers les dernières informations de campagne, réagissent aux actualités et participent à des discussions qui se poursuivent 24 heures sur 24.

Un engouement que le nouveau-venu dans la course à la présidentielle pourrait tempérer : Stephen Colbert, trublion télévisuel officiant sur ComedyCentral, notamment célèbre pour le discours terriblement irrévérencieux qu'il prononça lors du dîner annuel de l'association des correspondants à la Maison Blanche en avril 2006. L'animateur est candidat aux primaires des deux grands partis, et le groupe 1,000,000 Strong For Stephen T Colbert sur Facebook a atteint le million de membres en quelques jours. Ils sont maintenant plus d'1,5 million.

Un succès étourdissant lié à la popularité du personnage, mais dont la portée politique ne doit pas être minorée : l'appel à l'inscription sur les listes électorales publié sur la page du groupe a permis d'enregistrer près de 8.000 nouveaux électeurs en un mois.

Joe Trippi, fer de lance de l'e-campagne d'Howard Dean en 2004, est convaincu de la puissance des réseaux sociaux comme outils politiques : "Il nous a fallu six mois pour créer une mailing-list de 139.000 personnes", quand quinze jours suffisent à leur rassemblement spontané sur Facebook. De plus, un post sur le "wall" d'un politicien (un module qui affiche sur le profil les derniers messages laissées par ses amis) est bien plus efficace qu'un email. Cela manifeste publiquement une opinion, qui est directement attachée à celui qui l'exprime. Et comble de la viralité, le message peut être communiqué simultanément à tous les contacts du réseau. Les nouvelles applications qui seront développées pour Facebook pourront améliorer et rendre plus dynamique l'interaction entre une personnalité politique et ses groupes de soutien.

Peter Levine, directeur adjoint du Center for Information and Research on Civic Learning and Engagement, prédit un "Facebook Effect" : "Tous les experts guettaient le premier candidat qui transformerait l'essai sur les réseaux sociaux. Le message d'Obama est attractif pour une certaine catégorie de jeunes gens. Il dit : "VOUS avez un rôle à jouer", et il y a un véritable appétit pour ce genre de messages."

Un rôle que peuvent aussi jouer les groupes de pression, dont l'action trouve tout à fait sa place sur les réseaux sociaux comme Facebook. L'objectif est alors d'influer sur l'agenda politique, particulièrement en période de campagne.

En ce qui concerne la récolte de fonds, le Facebook Effect est moins flagrant. L'utilisation de Causes et Change.org, des applications tierces qui invitent ceux qui les rejoignent (de la même manière que les groupes) à donner de l'argent, ont permis à Barack Obama de récolter quelques malheureuses centaines de dollars. Les internautes seraient-ils radins ? Peu enclins en tout cas à ouvrir leur porte-monnaie pour les causes qu'ils soutiennent, comme en témoignent les faibles sommes récoltées par les associations les plus populaires telles Save Darfur.

Mais toutes les donations ne passent pas, bien évidemment, par Facebook, et le réseau social est aussi un moyen de mobiliser les internautes vers d'autres espaces en ligne, à commencer par les sites des candidats. Barack Obama a reçu environ un quart des 25 millions de dollars de son premier palier de financement de plus de 50.000 donneurs sur Internet.


De Facebook aux urnes

Les hommes politiques comptent leurs amis sur Facebook en rêvant d'un mandat comme les apprenties popstars sur MySpace dans l'espoir d'un contrat. Sont-ils tous devenus fous ? Du virtuel au réel, il pourrait n'y avoir qu'un pas, et si la révolution est en marche, autant ne pas rater le coche.

Si Todd Zeigler du Bivings Group, une société de communication en ligne qui travaille aux États-Unis avec le parti républicain, souligne que le soutien à Barack Obama sur les réseaux sociaux est spontané et non pas orchestré dans le cadre de sa campagne, on pourra remarquer que le sénateur de l'Illinois, Hilary Clinton ou Ron Paul ont un grand nombre d'amis mais des profils n'utilisant que les fonctions basiques de Facebook. Leur popularité est-elle donc vraiment gagnée sur le site ou dérivée d'un marketing efficace ? Ces soutiens se traduiront-ils par des suffrages dans les urnes ?

L'année dernière, Facebook a créé un profil pour chacun des candidats au Congrès américain, leur laissant le loisir de les gérer à leur guise. 32% des candidats au Sénat et 13% des candidats à la Chambre ont mis à jour leur profil (en majorité des démocrates, semble-t-il plus enclins que les républicains à utiliser Internet). Christine B. Williams et Girish J. Gulati, professeurs à l'université de Bentley, ont analysé, dans une étude intitulée Social Networks in Political Campaigns: Facebook and the 2006 Midterm Elections, la relation entre les votes et le soutien sur Facebook.

Selon eux, le lien de corrélation est significatif : un nombre de soutiens deux fois supérieur correspond à 1,1% de voix supplémentaires pour un candidat en place, et 3% pour un candidat challenger.

Avant de conclure à un lien de causalité, il est nécessaire de soulever quelques limites au potentiel impact de Facebook sur les suffrages : les jeunes sont la catégorie de la population la plus représentée sur le site, et celle qui vote le moins. Les supporters des candidats ne sont pas forcément en mesure de voter pour eux (mineurs, habitants d'une autre circonscription, personnes n'ayant pas l'intention de voter, etc.). Ils n'étaient pas non plus directement encouragés à militer hors-ligne ou même à s'inscrire sur les listes électorales. Les messages groupés étaient par ailleurs non-recommandés par le site (afin de limiter les abus).

Les auteurs considèrent donc que Facebook a plutôt capturé l'enthousiasme et l'intensité du soutien pour chacun des candidats. Mais si les scrutins à venir montrent un véritable lien de causalité entre l'activité des candidats sur les réseaux sociaux et leur score aux élections, Facebook pourrait devenir un espace important dans le processus démocratique. Au-delà de la communication de campagne, l'activité des candidats sur les réseaux sociaux les rendent, en apparence au moins, plus accessibles, authentiques. Elle peut aussi initier la discussion entre les sympathisants, intégrer leurs préoccupations politiques à une vie sociale en ligne dynamique, faciliter les connections et encourager la participation hors-ligne.

Christine B. Williams et Girish J. Gulati soulignent, alors que se délite aux États-Unis le tissu associatif, l'importance du capital social qui fructifie sur ces réseaux, propices à la mobilisation politique des citoyens.


En Vélib' sur Facebook

Les élections municipales approchant, Facebook qui n'est pas encore très politique en France, ou l'est parfois avec fantaisie, devrait voir candidats et militants investir le réseau plus activement…

Qu'en est-il de la politique hexagonale sur Facebook, qui n'a pas encore de traduction française ?

Les grands partis sont inégalement présents. L'UMP y a fait une entrée médiatisée avec la création d'une fédération numérique présidée par Thierry Solère, maire-adjoint de Boulogne-Billancourt, vice-président du Conseil général des Hauts-de-Seine et secrétaire national du parti de la majorité. Pour lui, "l’écueil, c’est l’absence". La plate-forme interne d'e-militantisme sera donc interconnectée avec Facebook, que l'UMP entend utiliser comme outil de recrutement. 2.234 membres ont à ce jour répondu à l'appel.

Le Parti Socialiste compte lui un modeste millier de membre, quelques centaines dans sa section virtuelle TemPS Réels, qui existe offline depuis plusieurs années, et de nombreux groupes régionaux. Des groupes de soutiens aux candidats socialistes ont été créés pour les grandes villes de France.

Le MoDem réunit près de 500 membres, les Verts et le Parti Communiste moins de 200. Le Front National est quasi-absent du site.

Le journaliste blogueur Christophe Grébert propose quant à lui "de réfléchir à la création d'un e-parti citoyen et réformiste, français, européen et mondialiste autour d'un projet social et libéral, et qui utilisera à plein les outils Web2.0". Tout un programme !

Quel que soit le parti, la tendance est un peu à l'éparpillement, mais les groupes inactifs devraient progressivement disparaître au profit des plus importants et des plus structurés.

C'est du côté des personnalités politiques que l'on trouvera plus d'activité, en témoigne Olivier Besancenot qui a plus de 1.000 amis et un groupe de soutien, tandis que la LCR n'a pas de présence officielle sur le site.

Le plus populaire sur Facebook, c'est Bertrand Delanoë, qui a atteint la limite de 5.000 amis fixée par les éditeurs et s'en excuse sur son profil. Malgré un groupe d'opposants assez actifs, le maire de Paris dispose d'une longueur d'avance dans la course en ligne des municipales, avec son groupe de soutien et des comités dans chaque arrondissement, ainsi que de nombreux groupes d'amateurs du Vélib' (plusieurs milliers de membres). 

Anne Hidalgo, première adjointe au maire de la capitale, est active sur le réseau et répond personnellement à ses 1.000 contacts. Elle les invite même à des soirées Facebook afin de passer du virtuel au réel. Adjoint chargé de la culture à Paris, Christophe Girard propose également à ses 1.000 amis de se rencontrer, à la "Soirée Friends Christophe Girard", tout simplement. Une implication personnelle qui séduit, tant que n'est pas suspecté le délit de faux profil personnel, tenu par des stagiaires.

François Bayrou a plus de 1.500 amis, dont certains lui dédicacent des chansons (Sexy Back de Justin Timberlake pour n'en citer qu'une), un compte photo et un microblog, mais l'on doutera qu'il s'occupe personnellement de la mise jour de son profil. Dominique Voynet soutient 23 "causes", un engagement affiché qui plaît peut-être à ses 222 amis et qui aura séduit en tout cas le poète moustachu qui lui écrit des mots doux ! Sur le profil de la ministre de l'Enseignement supérieur Valérie Pécresse, des messages de soutien à la réforme des universités, mais pas seulement, la critique n'étant pas systématiquement effacée comme on pourrait s'y attendre, ou la réaction se faisant tarder comme, mauvaises langues, on pourrait le supposer. Quant à la secrétaire d'État chargée des Droits de l'homme Rama Yade, on apprend sur son profil qu'elle "en a marre du froid"... La plupart de ces pages manquent cruellement d'intérêt, mais "l'écueil, c'est l'absence".

Les réseaux sociaux ne sont pas encore un intense lieu de débats pour les prochaines élections, mais au vu du buzz généré par le phénomène et de la façon dont ces sites sont devenus incontournables outre-Atlantique, cela ne saurait tarder.

En Grande-Bretagne les Libéraux Démocrates préparent un programme électoral de troisième voie enrichi des contributions postées sur le profil du député Steve Webb. Ce dernier a invité ses 1.900 amis à donner leur avis sur les politiques à mener outre-Manche : "Si vous pouviez ajouter un élément au manifeste des Lib Dems, lequel choisiriez-vous ?".


Politique 2.0, quelques écueils

Campagne 1.5 sur YouTube et MySpace. En politique, l’éden participatif promis par le web 2.0 n’est parfois qu’un mirage : le premier évènement de la campagne présidentielle américaine sur le web était l'organisation par CNN et YouTube de débats où une trentaine d'internautes ont pu poser des questions, sélectionnées par la chaîne d'information, aux candidats à l'investiture démocrate. L'interactivité n'était malheureusement pas vraiment au rendez-vous, avec l'impossibilité de rebondir sur les réponses et un discours toujours très formaté, une innovation technologique qui n'a donc pas tiré parti du caractère social de la plate-forme de partage de vidéos.

MTV et MySpace se sont associés pour une initiative similaire : un "dialogue présidentiel" punchy en direct entre un candidat, filmé sur un campus universitaire, et de jeunes internautes. Ceux-ci peuvent évaluer la performance des intervenants au moyen de sondages en temps réel, un petit plus sans grand intérêt. Les questions sont également filtrées par un groupe d’experts. John Edwards et Barack Obama ont déjà testé la formule.

Ces opérations sont avant tout une récupération par les médias traditionnels, la télévision en l'occurrence, d'une affluence en ligne, chez les jeunes particulièrement, qui risque d'éroder leur audience.

À trop redouter "l’écueil de l’absence", la surenchère peut aussi friser le ridicule. Sur le site de John Edwards, une page est dédiée au social networking, avec des liens vers 23 réseaux différents, certains ne présentant qu’un intérêt très relatif, et il est fort à parier que l’interactivité entre le candidat et ses supporters est quasi-nulle sur la plupart d’entre eux.

Les équipes de campagne ont toujours un désir de contrôle, qui n'est pas vraiment compatible avec le credo participatif du web 2.0. Joe Anthony en a fait les frais : ce jeune juriste a ouvert il y a trois ans une page MySpace pour l'élection de Barack Obama au Sénat. Celle-ci contenait des informations biographiques et quelques photos, mais a au fil du temps attiré des milliers de visiteurs. Quand la campagne fut lancée, Joe proposa ses services à l'équipe du candidat démocrate. Mais les 160.000 "amis" réunis sur sa page ont effrayé les communicants, embarrassés par cet espace trop indépendant. "Et si quelqu'un postait un commentaire obscène pendant que Joe est au travail", s'inquiétait ainsi un membre de l'équipe de campagne sur son blog…

Difficultés juridiques également, les règles de la Commission Électorale Fédérale n'étant pas adaptées à ce nouveau type de soutien. Fin avril 2007, les collaborateurs de Barack Obama demandent à MySpace de fermer la page, et perdent en un clic les dizaines de milliers de contacts accumulés au fil des mois. Joe Anthony ne soutient plus le sénateur de l'Illinois. "Nous sommes exactement les gens ordinaires dont vous parlez, nous utilisons Internet pour essayer de changer le monde."

La communication politique en ligne s'avère être un univers aussi impitoyable qu'hors ligne : le QG de John Edwards a été vandalisé par des opposants dans Second Life et celui du Front National bombardé de cochons roses. D'innombrables vidéos sont postées par des détracteurs sur YouTube ou Dailymotion (l'épisode des 35 heures pour les professeurs avait coûté cher à Ségolène Royal), et les ennemis se réunissent sur Facebook avec autant d'ardeur que les amis, en témoignent les 600.000 membres du groupe One Million Strong AGAINST Hillary.

Le réseau social accueille aussi les fantaisies, plus ou moins amusantes, des internautes. Ainsi les groupes politiques ne sont pas toujours très sérieux : Ségolène Royal is fucking hot, Mieux vaut Knut l'ourson que Ségolène Royal, Pour la reconversion de Nicolas Sarkozy en convoyeur de pompes funèbres, the Brice Hortefeux appreciation society (ironique ?) ou le Mouvement Révolutionnaire d'Unité Chiraquienne…

Quant à identifier une personnalité publique au milieu des "fakes", ces faux profils que chacun peut créer et alimenter à sa guise, la tâche n'est pas toujours aisée.

Certains groupes sont, plus gravement mais inéluctablement, le fait d'extrémistes et posent problème, à l'image du groupe anti-Islam. Des risques que Facebook préfère ne pas commenter.

Le site peut aussi être à l'origine de mésaventures comme celle qu'a connue Rudolph Giuliani le jour où sa fille Caroline a rejoint le groupe de soutien à Barack Obama. Information pas dramatique en soi mais immédiatement connue des membres du groupe qui l'ont relayée avec plaisir. L'ancien maire de New York avait réagi en disant respecter la vie privée de ses enfants avant tout.

En France, les "fils de" ont également oublié de protéger leurs informations privées, notamment l'appartenance à certains groupes comme Pour que Diam's, Sinik, Yannick Noah et Jamel quittent comme promis la France, Je suis trop fier de mon caca, l’Amicale de la cuite et J’aime me coller des grosses lattes !!!!!!! pour Charles Fillon…

Le reporter américain Ben Smith, qui suit la campagne démocrate, explique par ailleurs comment l'usage généralisé de Facebook peut nuire au secret des sources : il est ainsi possible de consulter les listes d'amis de journalistes ou de membres des équipes de campagnes pour identifier les "entourages", les "sources proches" qui divulguent un certain nombre d'informations et pourraient ne plus le faire par crainte de représailles.

L’on trouvera par ailleurs étonnant que des journalistes français du service public aient déjà accepté les invitations de certaines personnalités politiques, mais pas de toutes.

 
En campagne sur les réseaux sociaux

Envie pressante de créer un nouveau parti révolutionnaire de centre flou ? Volonté farouche de sauver les mouches à trois pattes d'une extinction prochaine et trop peu médiatisée ? Désir ardent de lutter contre la quotidienne de Cauet au sein d'une organisation structurée ? Une seule solution : Facebook. Un seul objectif : fédérer et fidéliser le maximum d'amis.

    Dix conseils pour une bonne campagne sur Facebook :

1. Consacrer du temps à la recherche de contacts susceptibles d'être sensibles à la cause que l'on défend. Une personne bien choisie que l'on invite personnellement peut être amenée à recruter des centaines de membres.
2. Recruter des contacts dans les groupes similaires (thématique, couleur politique, etc.).
3. Utiliser des applications tierces (entretenir de bonnes relations avec leurs développeurs), voire créer sa propre application.
4. Préférer à un(e) seul(e) groupe/cause lié(e) à son organisation les groupes/causes spécifiques. Les gens s'engagent plus facilement sur un sujet particulier.
5. Répondre à tous les messages, aux sujets de discussion et aux inscriptions sur son "wall", et si personne ne dit rien, lancer la conversation. Montrer qu'il y a une interaction entre l'organisation et les membres est essentiel et donne son sens au réseau social.
6. Contrôler les discussions et utiliser le groupe comme un forum pour exprimer les positions de son organisation sur certains sujets.
7. Poster les dernières nouvelles et informations de campagne dans le "discussion board" et sur le "wall". N'utiliser les messages individuels que pour les informations urgentes et les invitations aux actions.
8. Inviter les contacts à reposter les évènements et les liens sur leur propre profil.
9. Uploader des vidéos, des photos sur son profil et demander aux contacts de poster des contenus liés (photos d'une manifestation par exemple).
10. Utiliser la section "Officers" du groupe : récompenser l'engagement des membres en leur donnant un titre et ainsi les encourager à recruter plus de contacts.

    L'exemple de la Humane Society of United States

Carie Lewis est manager du marketing Internet pour la Humane Society of the United States, association de protection des animaux qui compte près de dix millions de membres.

Elle livre ses conseils : "Nous avons fait la promotion de notre profil Facebook chez nos 29.000 amis sur MySpace, mis un lien sur notre site. […] Bien souvent les gens deviennent nos amis simplement après avoir vu notre groupe dans la liste des groupes d'un de leurs amis, c'est un très bon recrutement viral, ou par bouche-à-oreille. Ensuite il faut prendre du temps pour que le profil soit à jour et intéressant, et pour communiquer avec le groupe. […] Nous avons commencé à récolter de l'argent en collaborant au Project Agape à l'origine de l'application Causes (plus de 4 millions d'usagers). Celle-ci permet aux internautes de créer ou rejoindre une cause qui les passionne et de récolter des fonds pour notre organisation. Ils obtiennent une reconnaissance sociale via une application sur leur profil qui indique la somme qu'ils ont récoltée et le nombre de personnes qu'ils ont recrutées. Ils peuvent aussi collaborer via les commentaires ou les messages avec des personnes partageant leurs intérêts, et qui leur seraient restées totalement étrangères autrement. C'est, je pense, ce qui fait que ça marche. Nous sommes là pour donner des conseils, répondre aux questions, apporter des ressources et encourager l'investissement des internautes."

 
Facebook, nouvel institut de sondage, nouveau média ?

Comme le rappellent nombre d'observateurs, l'enjeu majeur du phénomène Facebook est la publicité. La communauté du réseau social offre un potentiel extraordinaire pour les études de toutes sortes, avec la possibilité de toucher plusieurs dizaines de millions de personnes selon des critères géographiques, d'âge et de sexe, selon les centres d'intérêt et pourquoi pas le parcours scolaire et professionnel ou tous les autres éléments que le principe même du réseau social incite quotidiennement à renseigner sur soi. La constitution d'échantillons représentatifs ne semble pas encore possible, mais il faut noter que la participation aux sondages relève sur Facebook d'une démarche plus volontaire que la simple réponse aux traditionnels appels téléphoniques des instituts, ce qui constitue un élément non-négligeable de précision (sans qu'il faille non-plus surestimer la valeur des résultats).

Un véritable Eldorado du sondeur, que les équipes de Mark Zuckerberg monnayent déjà via les Facebook polls. Le système est pour l'instant le suivant : une question peut être posée à 1000 personnes pour la modique somme de 250$ si l'on veut les réponses en 24 heures, 500$ en 4 heures ou 1000$ en 30 minutes. Les possibilités sont encore limitées mais nul doute que Facebook saura tirer parti de la mine d'or d'informations offerte par la communauté de ses membres, avec son consentement et ce en dépit des critiques autour de la sécurité des données privées.

Le réseau social n'est pas encore la panacée pour gagner une élection, mais déjà une phénoménale chambre d'écho et un indicateur performant des préférences des citoyens pour une cause ou un candidat, dans la course à l'investiture pour l'élection présidentielle américaine notamment (application US Politics).

Facebook permet également de connaître les sujets de campagne les plus importants pour ses membres, et leur position à travers la participation à certains groupes pro ou anti : peine de mort, mariage gay, avortement, guerre en Irak, etc. Une page dont on remarquera qu'elle était sponsorisée par la chaîne de télévision Fox News, avant qu'ABC News reprenne la main (Rupert Murdoch se serait-il aperçu de la surpopulation démocrate sur Facebook ?). A la fin de l'été, la préoccupation première était la réduction de l’âge légal pour consommer de l’alcool à 18 ans, sujet d’importance pour nombre d'étudiants américains, laissant planer quelques doutes sur l’intérêt des sondages effectués sur le site. Ils sont maintenant plus sérieux, en apparence au moins.

Les "groupes de débat" sont en fait des sondages, dont on ne sait qui rédige les questions (est-ce la rédaction d'ABC News ?), et dont on partage les résultats avec ses amis. Il est de plus possible d'ajouter un commentaire à chaque réponse. Veut-on vraiment savoir que son collègue de bureau contre le mariage gay, parce qu'il n'aime pas les homosexuels ? D'aucun s'insurgeront contre cette publicisation de l'opinion personnelle, comme ils redoutent l'usage de leurs données privées. D'autres rétorqueront que ne se diffusent que les informations que l'on aura bien voulu donner, et considèreront le procédé comme un moyen de susciter le débat privé, en même temps qu'est pris le pouls de l'opinion publique. Facebook vient en tout cas d'inventer le sondage social.

Facebook entend polariser les débats présidentiels sur le réseau autour de l'application US Politics, invitant les membres à afficher sur leur profil le candidat de leur choix, à se tenir informé grâce aux nouvelles d'ABC News. Les reporters de campagne "embedded" de la chaîne de télévision ont un profil spécial, et les internautes peuvent s'inscrire en tant que "followers" afin d'être tenu au courant, via Facebook évidemment, des dernières informations, photos, vidéos produites par les journalistes.

Sur la page de garde de l'application US Politics, enfin, un lien permet aux internautes américains de s'inscrire sur les listes électorales.

Lieu de la conversation privée, puis du débat public, espace de partage de l'information, puis de sa publication, baromètre de l'opinion, avant d'en devenir son émanation, média social, à l'ambition de média total, Facebook évoluera très certainement beaucoup dans les mois qui viennent, selon les usages, bien difficiles à prédire, que développeront ses membres.


Une révolution Facebook ?

La politique 2.0, ou politique open source, ne désigne pas l'extension du champ de la communication politique classique aux espaces ouverts par le web 2.0, les réseaux sociaux en tête, mais consiste en une évolution de la mobilisation et des pratiques politiques impliquant une participation accrue des citoyens. C'est, grâce aux nouvelles technologies, une révolution dans la manière de suivre, soutenir et influencer les campagnes électorales.

Peter Leyden, directeur du New Politics Institute, précise que la politique 2.0 suppose une conception différente du l'exercice du pouvoir : décentralisation, collaboration et auto-organisation, par opposition au culte du chef caractéristique du XXème siècle. Selon lui, l'économie et les médias évoluent en ce sens, alors pourquoi pas la politique ?

Probablement car la politique moderne est dans toutes ses dimensions antithétique aux principes de l'open source : contrôle des candidats, contrôle des messages et contrôle de la participation, rétorqueront certains. Et la politique 2.0 de n'être finalement, selon les sceptiques, qu'une version un peu plus jeune, plus en vogue et plus chaotique d'un cirque somme toute très classique.

Aux internautes, dès lors, de prendre en main ce vieux manège.


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crédit photo : rklau / flickr.com