Humant l’atmosphère nauséabonde créée en France depuis la fin du mois de juillet 2010 par les annonces aussi faussement viriles et martiales qu’assurément hystériques et nocives de Nicolas Sarkozy, il n’est plus temps de dénoncer ou de faire mine de s’étonner de la tonalité extrémiste des prises de position de Nicolas Sarkozy et de ses obligés. Il faut les combattre.

 

Dans le discours qu’il a prononcé le 30 juillet 2010 à Grenoble, Nicolas Sarkozy, parmi toutes les propositions qu’il a déversées, a fait cette déclaration :

"La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police ou d'un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique".

Ce discours était placé sous le thème de la "sécurité" comme il fallait s’y attendre. En effet, la ficelle est grosse et utilisée chaque fois que ce pouvoir exécutif se trouve en grande difficulté comme c’est le cas depuis le début de l’année 2010.

Cette ficelle a été utilisée par le même président le 23 mars 2010, à Melun, après le camouflet infligé par les électeurs aux candidats aux élections régionales issus de la majorité présidentielle, à l’occasion des obsèques du Commandant de police Jean-Serge Nerin, tué le 16 mars 2010 dans une fusillade impliquant des membres de l’organisation terroriste ETA :

"Que les choses soient claires, quiconque porte atteinte à un policier, à un gendarme, à un fonctionnaire, par l'insulte ou par le geste, porte atteinte à la République elle-même. Face à ces agressions, nous appliquerons la tolérance zéro. Leurs auteurs devront systématiquement en répondre devant la justice. Brice Hortefeux et Madame Alliot-Marie exécuteront cette politique avec beaucoup de fermeté".

Si la vie des militaires de la gendarmerie nationale et celle des fonctionnaires de la police nationale ne formaient pas l’arrière-plan de ces déclarations, nous pourrions en rire.

 

Mais il ne s’agit pas plus d’en rire que d’y voir une prétendue prise de position politique. Car qui, dans le corps électoral et qui dans la classe politique, ne souscrirait à l’idée de protéger spécialement celles et ceux qui, sous l’uniforme, assurent la protection des citoyens, veillent à leur sécurité et travaillent à la prévention d’actes de violence ? Qui pourrait se réjouir ou s’accommoder d’événements qui démontrent que la gendarmerie et la police ne disposent pas des moyens humains et matériels adéquats pour mener à bien leur mission de service public ? Personne.

 

Ainsi la déchéance de la nationalité française des "Français d’origine étrangère" est-elle la parade que ce président vient de trouver pour, enfin, montrer aux citoyens qu’il agit et qu’il travaille à la sécurité de tous. Qui, selon lui, pourrait lui contester le bien-fondé d’une telle proposition puisque, si l’on croit les arguments développés en défense de cette proposition par les parlementaires de la majorité qui s’obstinent à renoncer à l’exercice de leur pouvoir normatif, les cas de déchéance de la nationalité française auraient été, dans le passé, validés par le Conseil constitutionnel ? Tel serait le sens, selon eux, de la décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 rendue par le Conseil constitutionnel à propos de la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire   .

Pourtant, il ne fait pas de doute, comme l’ont déclaré l’ancien Garde des sceaux et ancien président du Conseil constitutionnel Robert Badinter ("On veut faire des discriminations contre les Français au regard de mêmes crimes, de mêmes infractions, selon l'origine de la personne, selon les modalités d'acquisition de la nationalité française", France Inter, 02 août 2010) et le Professeur de droit constitutionnel Guy Carcassonne ("Je ne vois pas comment on peut distinguer deux classes de citoyens, selon qu'ils sont nés Français ou le sont devenus", Libération, 2 août 2010) que les gesticulations de ce pouvoir exécutif n’auraient d’autre issue que des lois fortement susceptibles d’être invalidées par le Conseil constitutionnel.

En effet, la procédure de déchéance de la nationalité française prévue par l’article 25 du Code civil est strictement encadrée. Tout d’abord, l’avis préalable du Conseil d’Etat est obligatoire. Deuxièmement, la personne concernée ne doit pas encourir, en conséquence de cette mesure, de devenir apatride. Troisièmement, la déchéance est impossible lorsque la personne concernée est Française depuis dix ans, ce seuil étant porté à quinze ans dans le cas d’une personne condamnée pour crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour crime ou délit constituant un acte de terrorisme. Quatrièmement, rien n’empêcherait une personne visée par cette mesure de la contester en justice, les questions relatives à l’état des personnes et à leur nationalité relevant de la compétence du tribunal de grande instance.

De fait, la déchéance de la nationalité reste tout à fait exceptionnelle et doit le rester. Cette exigence est la conséquence pratique des dispositions de l’article 8 de la Déclaration de 1789 qui veulent que les peines prévues par la loi soient "strictement et évidemment nécessaires" :

"La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".

Au demeurant, dans sa décision en date du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel avait pris le soin de préciser qu’"au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation"   .

 

Au delà du volet strictement juridique du débat (ce pouvoir exécutif peine à intégrer le droit dans sa pratique quotidienne), le caractère outrancier des déclarations de Nicolas Sarkozy doit être pris à sa juste mesure politique.

 

Le discours du 30 juillet 2010 à Grenoble a été prononcé dans le prolongement des actes de délinquance qui ont impliqué un membre isolé de la communauté des gens du voyage. La polémique réservée par ce pouvoir exécutif à ce fait divers a valu à la communauté Rom d’être prise pour la cible de déclarations xénophobes prononcées impunément par des membres de la majorité présidentielle. A droite, le concours de déclarations xénophobes et racistes est ouvert depuis la sortie humiliante de l’équipe nationale de football de la Coupe du monde qui s’est tenue en juin et juillet 2010 en Afrique du Sud. Chaque fois qu’il estime que cela va lui servir électoralement, ce président est accompagné de son ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, condamné le 04 juin 2010 par le Tribunal correctionnel de Paris à 750 € d’amende et 2 000 € de dommages-intérêts pour injures à caractère racial. Depuis de longs mois, au reste, le ministère de l’Intérieur de la France, au sein duquel jamais le corps préfectoral n’avait été aussi maltraité et piétiné, s’apparente en réalité plus à un ministère de la Loi et de l’Ordre.

 

Les déclarations de Nicolas Sarkozy sur la sécurité et la justice, qui se succèdent à un rythme particulièrement effréné en cet été 2010, méritent d’être analysées très attentivement.

Bientôt, tous les acteurs politiques seront tenus de rendre compte devant les citoyens.

Bientôt, l’hémicycle du Sénat et celui de l’Assemblée nationale résonneront-ils de l’écho des débats parlementaires sur ce qu’est un "Français d’origine étrangère", comme le Krolloper de Berlin - le Reichstag ayant été incendié - résonna de l’écho des débats préalables à l’adoption, le 15 septembre 1935, de la loi du Troisième Reich sur la nationalité ? Le droit français contiendra-t-il un jour une disposition comparable à celle de l’article 2 de la loi nazie sur la nationalité allemande : das Reichs- und Staatsangehörigkeitsgesetz ("Seule est citoyenne du Reich la personne qui est de sang allemand ou de sang similaire et qui, à travers sa conduite, montre qu’elle est à la fois désireuse et apte à servir fidèlement le peuple allemand et le Reich") ? Un décret d’application de droit français pourrait-il être pris un jour par un gouvernement, qui ressemblerait au décret nazi du 14 novembre 1935, pris en application de la loi du 15 septembre 1935, qui a distingué les Reichsbürger des autres habitants de l’Allemagne ?

En effet, on a hâte de savoir ce qu’un rapporteur parlementaire d’un projet de loi éventuel définirait comme "Français d’origine étrangère", à partir de quand, à quel degré ancestral, etc.

Sans, bien entendu, assimiler le discours et les projets gouvernementaux à ceux des Nazis – ne comparons pas l'incomparable – force est néanmoins de souligner de quel coté de la pente s'engage le gouvernement : celle de la différentiation du sujet de droit selon les conditions d'obtention de sa nationalité, celle de la consécration juridique de la catégorie "Français d'origine étrangère" et implicitement celle de "Français de souche", celle de la création d'une nationalité de seconde zone, d'égaux moins égaux que les autres. Bref, celle de l'anti-universalisme républicain et de la négation des termes même de l'article premier de notre Constitution : la France assure "l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".

 

Il est légitime de se demander dans quel sens et dans quel but réels se multiplient les déclarations qui divisent et polarisent dangereusement le pays. Pseudo-pragmatisme de l'idéologie sarkozyste ? Opération électoraliste nauséabonde ?

 

 

Nonfiction.fr, dans les semaines à venir, développera de façon plus détaillée une analyse raisonnée des politiques de sécurité et de justice mises en œuvre par ce gouvernement. Elle sera, notamment, l’occasion de se demander pourquoi les résultats de ce gouvernement en matière de lutte contre la délinquance sont aussi pauvres alors que ce président, élu il y a plus de trois ans, a occupé la fonction de ministre de l’Intérieur de mai 2002 à mars 2004, puis de juin 2005 à mars 2007.

Elle s’attachera à démontrer que les formes de délinquance dite astucieuse, autrement plus dangereuses et porteuses de désordre public que les faits divers qui obsèdent ce pouvoir, prospèrent, faute de moyens humains et matériels et de volonté politique, ainsi que l’a récemment démontré un rapport interne du ministère de la Justice que le gouvernement a tenté de garder confidentiel.

Elle aura pour ambition de renforcer dans l’esprit des lecteurs de Nonfiction.fr l’idée qu’en France, le droit et le pouvoir juridictionnel restent encore trop faibles.

Elle tendra à souligner combien la démocratie reste fragile et illusoire dans une société qui ne retient pas la leçon de Montesquieu, reprise par l’article 16 de la Déclaration de 1789 :

"Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution"

 

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- "Vox Populiste", de Matthias Fekl.