Cass R. Sunstein analyse dans Infotopia les atouts et pièges de l’information collective.

Professeur de droit à la prestigieuse Chicago Law School, éditorialiste au non moins prestigieux New Republic, Cass R. Sunstein pose dans Infotopia une question simple sur l'Internet social : comment faut-il s'organiser pour que les gens produisent de l'information en commun alors que plus ils sont nombreux à participer, plus leurs erreurs risquent de s'additionner.

Cette question devient bien sûr fondamentale avec l'émergence de la société de l'information. Les blogs ou les sites collaboratifs prennent une importance croissante au sein de nos sources d'information quotidiennes. Mais les processus qui gouvernent la constitution et la véracité d'une information produite collectivement ne sont pas les mêmes que ceux qui régissent une information émanant d'un individu identifié. Nous savons aujourd'hui comment analyser et contrôler les données qui proviennent d'un journaliste, d'un avocat, d'un politique ou d'un médecin. Mais nous ne savons pas encore traiter la connaissance collective qui résulte du travail effectué par les visiteurs d'un wiki, ou par les commentateurs d'un forum.

C'est le travail auquel s'attelle Cass Sunstein qui utilise les modèles du droit constitutionnel et de la théorie de l'information pour créer des outils permettant d'analyser la légitimité et la véracité des informations produites collectivement.

Infotopia est essentiellement consacré à l'analyse des phénomènes de délibération, aux outils conceptuels et techniques qui permettent de les gérer, ainsi qu'à leur déclinaison empirique ou non sur Internet. Le constat de Sunstein tient à ce que l'information est quelque chose de très dispersée au sein de la société. La plupart des individus en possèdent un peu qui pourrait aussi bénéficier à d'autres. Mais beaucoup de groupes et d'institutions échouent à regrouper cette information détenue par les individus, les conduisant ainsi à prendre des décisions erronées. 

Pire, la sur-sollicitation des groupes et des individus les force alors à sélectionner l'information qui leur arrive en fonction de leurs besoins, jusqu'à produire des "cocons informationnels", c'est-à-dire des mécanismes par lesquels ils ne reçoivent plus que des informations qui renforcent leurs préjugés et leurs modèles de départ.

La principale solution à ce phénomène consiste à faire précéder les prises de décisions par des processus de délibérations collectives, mais ceux-ci échouent régulièrement à améliorer la prise de décision. Notons déjà que l'énergie des individus n'est pas infinie et que si l'on demande de plus en plus leur avis à des non-spécialistes, ceux-ci auront de moins en moins d'énergie pour effectuer les recherches qui s'imposent. Ils seront donc de plus en plus enclins à construire leur avis sur la base de leurs préjugés.

Par ailleurs, les délibérations collectives sont généralement soumises à des phénomènes d'influence informationnelle et de pression sociale. D'une part, les individus ont tendance à se reposer sur l'opinion de la majorité et à remettre en question leur opinion propre, même s'ils ont raison sans le savoir. D'autre part, les phénomènes d'imitation et les stratégies de groupe poussent les gens à adopter le point de vue des autres, même s'il est faux.

Comme on le comprend rapidement, ces mécanismes ne se contentent pas de biaiser les processus de délibération collective, ils amplifient également leurs erreurs.

Les solutions proposées par Sunstein reposent essentiellement sur l'utilisation de théories de marché où l'utilisation correcte des informations est récompensée, soit selon des critères financiers, soit en fonction d'objectifs partagés par une communauté. Si les logiciels libres réussissent à agréger l'information collective produite par leurs développeurs, c'est d'abord parce que ceux-ci partagent des objectifs communs.

Comme il le dit lui-même, l'approche de Sunstein ne vise pas à sonner la fin des mécanismes de discussion sur Internet, mais à mieux les comprendre pour pouvoir les améliorer. De nombreuses entreprises utilisent déjà des wikis pour leurs prises de décisions. Plusieurs institutions gouvernementales apprennent désormais à répartir l'information au sein de leur administration plutôt qu'à la centraliser. Il est tellement fréquent de voir les analystes adopter une posture cynique ou pessimiste vis-à-vis de l'Internet social que l'ouvrage de Sunstein s'impose naturellement par son approche ouverte

 

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