L’ancien numéro 2 du gouvernement travailliste de Gordon Brown sort cette semaine ses mémoires, ce qui ravive les vieilles tensions du New Labour, sur fond de guerre éditoriale.

Joli coup pour le Times. Le quotidien britannique de News Corp, groupe de média appartenant à Rupert Murdoch, vient de publier ce week-end en exclusivité une interview de Peter Mandelson, ancien numéro 2 du gouvernement Brown. Et ce n’est pas tout : le journal, qui a soutenu le parti travailliste pendant près de 18 ans, va offrir toute cette semaine à ses lecteurs des extraits exclusifs de ses mémoires, The Third Man ("Le troisième homme").

La publication de ce livre est un événement en Grande-Bretagne : d’abord parce qu’il raconte la vie, personnelle -comme la révélation de son homosexualité- mais surtout politique, d’un homme qui a côtoyé le sommet de l’Etat et qui a vécu, côté coulisses, une période majeure de l’histoire politique récente outre Manche : l’ascension du New Labour jusqu’à sa chute lors des dernières élections générales qui ont conduit à la constitution du premier gouvernement de coalition depuis la Seconde guerre mondiale.

Lord Mandelson a eu une vie politique bien remplie. Plusieurs fois élu député, il a aussi été commissaire européen. Impliqué dans des scandales, il a été contraint de démissionner à deux reprises du gouvernement pour y revenir chaque fois à un poste plus important. Il a été, last but not least, artisan de la reconstruction du Labour dans les années 1990, auprès de Tony Blair et de Gordon Brown. Mandelson, le troisième homme, sera pendant toutes ces années au cœur de la relation tumultueuse, faite d’amitié et de haine, qui liait les deux Premiers ministres travaillistes.

Le tunnel

Les bonnes feuilles publiées lundi dernier par le Times -sous le titre "Clegg the executioner"- livrent le récit saisissant des quelques jours qui ont suivi les élections du 6 mai dernier, la défaite du New Labour et la formation d’un "Parlement suspendu" (hung parliament). Gordon Brown, alors Premier ministre sortant, s’efforce de conserver le pouvoir en constituant un gouvernement de coalition avec les Libéraux-Démocrates de Nick Clegg. Celui-ci pose comme condition à tout accord la démission, au plus tôt, de Gordon Brown. Les discussions se tiennent dans le plus grand secret : pour se rendre à la rencontre prévue avec Clegg dans le bureau du Premier ministre à la Chambre des Communes, Brown et Mandelson empruntent, pour éviter d’être vus, le tunnel sous-terrain qui relie le 10 Downing Street au ministère de la Défense où une voiture les attend.

Par son intransigeance, Nick Clegg a précipité la fin du gouvernement travailliste et a flingué Brown. Après plusieurs de jours de négociation infructueuse, las et soucieux de partir dignement, Brown finit par téléphoner au leader des Lib-Dems pour lui annoncer que cette fois, c’est fini, il démissionne : "Non, vous ne pouvez pas", lui répond Clegg qui, à ce moment-là, n’a pas finalisé les discussions avec les Conservateurs et n’est absolument pas sûr que la coalition avec les Tories soit viable. La démission de Gordon Brown aurait donc pour conséquence l’arrivée d’un gouvernement Cameron sans majorité absolue. "L’opinion n’en peut plus d’attendre. Moi non plus, dit Brown. J’ai servi le pays de mon mieux. Je connais l’état d’esprit du pays. Il ne pourra pas accepter que j’attende une nuit de plus. Je n’ai pas d’autre choix. Vous êtes un homme bien et vous devez prendre une décision. J’ai pris la mienne. C’est la fin. Je vais au Palais [de Buckingham, pour remettre sa démission à la reine, ndlr]. Au revoir."

Le récit de Mandelson est une brulante illustration des limites du mode de scrutin en vigueur en Grande-Bretagne et légitime la nécessité d’une réforme électorale comme cela est envisagé par le nouveau gouvernement de coalition.

Bataille éditoriale : "prends l’oseille et tire-toi"

Derrière la publication des mémoires de Mandelson, se cachent en réalité une double bataille. La première, c’est entre Tony Blair et lui. "Mandy", comme on le surnomme affectueusement, est le premier à dégainer ses mémoires et le récit des années New Labour. Dans un laps de temps remarquablement court -les travaillistes n’ont quitté le pouvoir que le 6 mai dernier et le livre sort le 15 juillet, le troisième homme réussit à devancer de plusieurs semaines les mémoires de Tony Blair dont la sortie est prévue en septembre prochain, sous le titre The Journey. Cette course au scoop cache, en réalité, une rivalité entre deux grands noms de l’édition londonienne, Victoria Barnsley et Gail Rebuck. Les éditeurs ont cherché à tout prix à récupérer les ouvrages les plus vendeurs et l’argument financier a été déterminant : si Mandelson a touché une avance d’un peu moins d’un million de livres sterling, Tony Blair peut lui se vanter d’en avoir obtenu 4,6 millions. A ce prix là, cela vaut le coup d’attendre un peu