Une étude précise sur un "Grand évènement" de l’Histoire revu à la lumière des réactions immédiates de ses contemporains et étayée par de nombreux documents.

Le 14 mai 1610, Henri IV (1553-1589-1610) expire sous les coups de couteau de Ravaillac, catholique en désaccord avec l’action pacificatrice et conciliatrice du roi. Converti au catholicisme ce dernier prône l’entente entre catholiques et protestants depuis son avènement en 1589 dans un royaume vivant les affres de la guerre civile. Si la brutalité de cette journée de mai 1610 est parfois considérée comme l’acte final des guerres de Religion   , ses protagonistes ne peuvent être désincarnés au service de la construction d’un mythe. De nombreux historiens   se sont frottés à l’étude politique et factuelle de l’assassinat qui marqua pour beaucoup le début du XVIIe siècle. L’assassinat d’Henri IV appartient au patrimoine historique français. Vécu comme un basculement et une étape déterminante de la consolidation de la monarchie française, il souffre bien souvent de sa trop grande popularité et de reconstructions historiques tardives. L’image semble en avoir été troublée au profit de l’élaboration d’un paradigme de l’assassinat royal.

En orientant son étude sur les cinq semaines qui suivent la mort du roi, Michel Cassan tente de redécouvrir l’évènement dans son immédiateté, de lever le voile sur sa vérité première. Son regard est neuf et s’éloigne des analyses qui tendraient soit à chercher les causes de l’évènement, soit à réaliser une évaluation de son retentissement à travers les siècles. Le travail est minutieux et réalisé à partir d’un large corpus de textes officiels et privés recouvrant les différentes provinces françaises et émanant de toutes les couches de la société du XVIe siècle. Michel Cassan retrace heure par heure les modalités de circulation de la nouvelle, ses altérations, et sa réception dans le royaume. En effet, les premières semaines qui suivent la mort du roi s’avèrent cruciales pour l’État, le conseil de régence doit maitriser la diffusion de l’information officielle, et c’est au gré de cette circulation que l’on peut suivre les réactions des autorités, des corps de ville et des communautés urbaines. L’auteur ne s’intéresse ni à la figure de Ravaillac ni à l’action politique du Parlement de Paris, mais couvre les réflexes d’un royaume privé de son souverain, de son roi de Raison   .

Circulation, rétention, et falsification de l’information

Comment annoncer à un royaume entier la mort brutale de son roi à quelques centaines de mètres du palais du Louvre ? Et surtout, comment éviter le basculement dans l’affrontement et les troubles civils dans ce royaume dont l’ordre et le calme semblent alors liés à la figure d’un roi particulier ? En étudiant la réception et surtout l’organisation de l’annonce de la mort du roi, Michel Cassan souligne le sentiment d’effroi suscité par la peur d’une réactivation de la violence incontrôlable des guerres de Religion chez des sujets choqués par la soudaineté de la nouvelle. En 1610, les troubles religieux ont cessé depuis un peu plus d’une dizaine d’années seulement, et l’enregistrement même de l’édit de Nantes s’est poursuivi jusqu’en 1609. La mort du roi est à l’origine de cette "Grande Peur" d’une résurrection de la haine de l’autre. Néanmoins, la présence d’un héritier légitime, le petit Louis XIII (règne : 1610-1643), assure la continuité dynastique et offre une échappatoire possible au désordre. Le but principal de l’État et de ses relais dans les provinces se résume donc à assurer l’ordre public pendant la période incertaine de mise en place de la régence. Des cavaliers sont chargés de porter la nouvelle à toute vitesse aux gouverneurs, lieutenants généraux des provinces, parlements provinciaux, et autorités urbaines. Les structures de l’État moderne se mettent en branle afin d’acheminer la nouvelle le plus rapidement possible, et ce, conformément aux versions officielles élaborées par les conseillers du roi pour éviter la propagation de bruits et de rumeurs qui pourraient se révéler à l’origine de rébellions. Dans cette optique, les représentants officiels de l’autorité mettent en œuvre différentes tactiques impliquant la rétention de l’information, la falsification et l’annonce de la nouvelle en différé et par étapes. La mort du roi interrompt le temps ordinaire de la vie quotidienne. Les sujets des quatre coins du royaume, appelés par le tocsin à cesser leurs occupations habituelles, sont réunis sur les places publiques. Rupture à la fois concrète et symbolique, l’annonce de la mort du roi se doit d’être maîtrisée afin d’éviter tout mouvement de panique.


Peur des troubles et consolidation du royaume

La peur des troubles civils, mais aussi la peur de l’Espagnol, dont la responsabilité est vite évoquée, provoquent la  mobilisation en masse des Français. Les villes sont les plus touchées, elles retrouvent alors leurs prérogatives d’autorités civiles, organisent la fortification de leurs murs et formes de nouvelles milices urbaines. Le royaume entier voit ses défenses consolidées. Qu’ils soient catholiques ou protestants, les Français redoutent la reprise de la guerre. Si quelques personnages isolés en profitent pour raviver les contentieux politico-religieux sur leurs terres, la majorité, après avoir goûté à la paix henricienne, refuse un tel comportement. Grâce au long dépouillement de registres municipaux, Michel Cassan met au jour les pactes d’amitié scellés entre concitoyens d’une même ville. Catholiques et protestants se jurent de protéger leur ville ensemble, et l’idée de coexistence confessionnelle est réaffirmée avec force dans les provinces méridionales. Dans les villes où les deux communautés ne sont pas en nombre égal, la majorité se charge du maintien de l’ordre, et si les minorités se trouvent lésées de leurs droits civiques pendant un cours laps de temps, aucune échauffourée n’est à noter. Le bien commun est érigé en principe supérieur, les passions individuelles maîtrisées. Le souci majeur des réformés français résulte en la confirmation de l’édit de Nantes et de ses brevets secrets. Juridiquement, note l’auteur, "l’édit de Nantes est perpétuel et irrévocable", toutefois l’avènement d’un nouveau roi mineur et la désignation de Marie de Médicis, catholique convaincue, à la régence font renaître de vives inquiétudes chez les protestants. Le 22 mai, une "Déclaration du roi sur les édits de pacification" confirme les droits et privilèges accordés à ces derniers et les délivre d’une peur obsidionale croissante.

Maitrise de la peur et retour au calme

La maitrise de l’information et de sa délivrance semble avoir permis le maintien du calme nécessaire au bon déroulement de la réorganisation du royaume bouleversé par la mort de son "bon roi Henri". La consultation des livres de raison, dont le corpus s’avère étendu et varié au niveau géographique et social, a permis à l’auteur de mettre en lumière l’unicité des récits relatant la mort d’Henri IV. L’existence d’une version commune de l’évènement tend à prouver l’efficacité des communiqués et lettres officiels. Si les émotions individuelles ne sont pas explicitées, le désengagement des milices et gardes dans les villes dès la mi-juin est le témoignage de l’apaisement des tensions dans tout le royaume. L’unification du pays autour d’Henri IV s’avère donc durable. Le sentiment d’appartenance au royaume et la volonté de le préserver, visibles dans les serments d’allégeance prêtés au nouveau roi, ont pris le pas sur des considérations proprement religieuses.


L’assassinat d’Henri III avait plongé le royaume de France dans le chaos le plus total, l’action d’Henri IV et la garantie de la continuité dynastique empêchent le royaume de sombrer dans la stasis au moment où son roi de paix est assassiné par un catholique intransigeant. Michel Cassan livre une analyse solide de ces semaines d’inquiétude et de la progressive résorption du choc provoqué par la perte du roi. Son style clair et incisif plonge le lecteur in medias res au cœur des réactions et conséquences souvent ignorées de l’évènement. Les références constantes aux lettres closes, registres, livres de raison et correspondances diverses sont impressionnantes. Perpétuellement citées et insérées dans l’analyse, les sources viennent soutenir un argumentaire musclé. La disposition de pièces justificatives en annexe allège le propos et offre à la réflexion d’incomparables points d’appui. Les nombreuses cartes permettent une meilleure visualisation de la progression de la nouvelle. L’auteur peut ainsi décrire les faits bruts de la façon la plus concrète. L’ouvrage est riche mais suppose une connaissance antérieure des enjeux des guerres de Religion, Michel Cassan offre alors un point de vue novateur sur l’appréhension de ce qu’il classe parmi les "Grands évènements de l’histoire" de par sa soudaineté, sa brutalité et sa radicalité. Englobant les réactions et interactions entre représentants de l’État, corps de villes et simples sujets, son analyse politico-sociale ne vise pas à interpréter l’évènement mais à le décrire dans sa réalité