Bien qu'au coeur de cette institution, Dominique Schnapper nous laisse dehors. Regrettable.

Dès la première page de l'ouvrage, Dominique Schnapper annonce la couleur : "il m'est apparu inenvisageable de raconter ce que furent les personnes et leurs relations pendant les neuf ans de mon mandat", ajoutant qu'elle a "d'autant moins de raisons de le faire qu'[elle n'a] rencontré, de la part de chacune d'entre elles, qu'amabilité et courtoisie"   . Alors que Dominique Schnapper aurait pu se servir de son implication, elle préfère s'en tenir à "une analyse, telle qu'un sociologue extérieur à l'institution aurait pu la mener"   .

L'ouvrage s'organise en trois parties aux volumes inégaux, au détriment de la deuxième partie qui est pourtant la seule à offrir un regard sociologique sur l'institution et à s'appuyer (à petite dose cependant !) sur des observations directes. La troisième partie, moins fluide que les deux précédentes s'intéresse au statut hybride du Conseil.

L'ouvrage s'ouvre sur l'histoire du Conseil constitutionnel, sa mise en place et son rôle. Extrêmement bien documentée, la première partie témoigne de l'acculturation de la sociologue – qui s'estime peu connaisseuse du Conseil avant sa nomination – à l'institution. Dominique Schnapper revient sur les difficultés du Conseil Constitutionnel à sa création (comment s'imposer alors que la Constitution-même a été écrite par le Général de Gaulle ?) ainsi que sur les critiques émises par des juristes spécialistes du droit constitutionnel à l'encontre des membres du Conseil, alors tous sans expérience juridique ou proches du pouvoir. La sociologue retrace le processus de légitimation du Conseil, dû a sa "seconde naissance" – du fait de la décision de 1971 et de la révision constitutionnelle de 1974 – qui lui a permis d'étendre sa compétence et l'a amené, depuis, à veiller également au respect des droits et des libertés individuels. L'écriture de l'ouvrage ayant pris fin avant le 23 juillet 2008, rien n'est dit des modifications survenues depuis la dernière révision constitutionnelle. Cette première partie laisse peu de place à l'analyse ; Dominique Schnapper nous offre une frise historique du Conseil qui semblera indigeste à quiconque approche pour la première fois le droit constitutionnel.

Par la suite, Dominique Schnapper porte son regard sur les Conseillers : qui sont-ils, pourquoi sont-ils nommés, comment deviennent-ils "Conseillers" ? La sociologue relève que le vivier de recrutement des Conseillers se situe de moins en moins du côté des"politiques", au profit de celui des "juristes" ; selon Dominique Schnapper, ce changement témoigne de l'évolution du Conseil vers une Cour. Les Conseillers sont généralement en fin de carrière ou en semi-retraite ce qui évite, selon l'auteur, qu'ils soient candidats à une autre fonction publique à leur sortie et favorise leur indépendance au cours de leur mandat. Sans s'intéresser aux rapports de genre au Conseil – la réflexivité n'est pas le fort de l'auteur – Dominique Schnapper souligne néanmoins que le nombre de femmes au Conseil est faible (cinq sur soixante-six depuis sa création). Leurs voix, moins nombreuses, sont-elles plus (moins) écoutées ? Quels dossiers leur confie-t-on ? Nous n'en saurons rien.

A l'analyse de genre, Dominique Schnapper préfère une typologie (en deux types) élaborée à partir des professions exercées par les conseillers avant leur nomination. Pour la sociologue, la richesse de cette clé de compréhension tient du fait que "si la nature de leur carrière professionnelle entraîne un rapport spécifique à la pratique juridique, il faut aussi faire intervenir la signification que leur nomination donne à l'ensemble de leur carrière"   . Elle distingue deux types : 1/ les "politiques" dont la nomination signifie finalement une "baisse de statut" – due aux conditions matérielles, à l'absence de chauffeur et de voiture personnels ou encore à l'obligation d'effacement individuel face au collectif – qui les rend parfois "surpris et déçus" ; 2/ les "juristes" qui, eux, voient leur nomination comme le couronnement de leur carrière professionnelle. Cette typologie permet à l'auteur d'utiliser la très classique ficelle de la "carrière" pour expliquer comment on devient conseiller selon que l'on est "politique" ou "juriste". Si la carrière des "politiques" est finement décrite, ce n'est pas le cas de celle des "juristes" dont on ignore les étapes sinon qu'être membre du conseil est pour eux "une promotion et un honneur" ou encore, que "certains, particulièrement consciencieux, travaillent tous les dossiers comme s'ils en étaient les rapporteurs"   . Pas de quoi parler de "carrière", mais le terme (employé à l'excès par les sociologues) permet à l'auteur d'offrir un semblant d'analyse.


Le passage portant sur les motivations qui amènent le président de la République, celui du Sénat et celui de l'Assemblée nationale à nommer un individu nous a semblé parmi les plus pertinents. Si la "compétence" du conseiller est la seule référence légitime, Dominique Schnapper en recense six autres, qui n'ont rien à voir avec la "compétence" prétendue : 1/ "la récompense" (ex : un président récompense ceux qui l'ont aidé) ; 2/ "le prolongement" (ex : un président, juste avant la fin de son mandat, désigne un collaborateur pour garder un pied au plus haut niveau) ; 3/ "s'assurer une retraite encore un peu influente" (ex : lorsqu'un homme politique important n'est plus à son avantage, il peut suggérer au président de le nommer afin de se mettre à l'abri ; pour l'opposition c'est un moyen de mettre à l'écart de la politique active cet homme politique) ; 4/ "la compensation" (ex : lorsqu'une personne n'a pas eu la carrière qu'on lui prédisait) ; 5/ "la protection" (ex : mettre quelqu'un qui a des problèmes de santé ou des ennuis judiciaires à l'abri) ; 6/ "l'ouverture d'esprit" (ex : nommer une femme).

Malgré la pertinence de cette catégorisation, la sociologue conclut : "ma propre nomination a ceci de particulier qu'elle contredit toutes ces analyses et illustre la part de hasard qui peut aussi présider à des choix qui ne sont pas soumis à un contrôle institutionnalisé"   . Surprenant ! N'illustre-t-elle pas parfaitement la sixième "raison" ? Dominique Schnapper ajoute que sa nomination est en partie due à sa contribution aux travaux de la Commission de la nationalité qui avait eu des échos favorables, bref : à sa compétence. Ce passage illustre l'absence totale de réflexivité et de recul de l'auteur.

Alors que l'observation et la participation, sur un tel terrain, ne sont pas données à tout le monde, Dominique Schnapper se prive de ses propres ressources et préfère se servir de ce qui a déjà été écrit plutôt que de prendre le moindre risque. Première sociologue nommée au Conseil Constitutionnel, l'auteur aurait sans doute dû prendre plus de temps et de recul avant de proposer ses résultats