Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution issue du "Petit lexique à l'usage de la gauche" sur la sécurité.

 

Des débats ayant précédé le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 à ceux s’étant tenus avant, après et pendant celle de 2007, la droite a non seulement instrumentalisé la question de la sécurité, mais a également réussi à en imposer sa vision, laissant la gauche se débattre avec une conception de la sécurité incompatible avec ses valeurs. Une telle situation ne doit pas conduire la gauche à déserter la question de la sécurité, mais au contraire à en proposer une conception cohérente, respectant ses valeurs, et à l’imposer dans le débat public. Se réapproprier la question de la sécurité, non en courant derrière la droite mais en construisant un projet novateur et respectueux des libertés de tous, constitue une urgence pour la gauche aujourd’hui.
 
La sécurité de chaque individu appelle deux types de protection, indissociables : des protections civiles garantissant les libertés fondamentales et assurant la sécurité des biens et des personnes dans le cadre d’un Etat de droit d’une part ; des protections sociales couvrant contre les principaux risques – maladie, vieillesse, accident du travail, perte ou absence d’emploi – susceptibles d’entraîner une dégradation de la situation des individus d’autre part. En se focalisant uniquement depuis plus de trente ans, malgré la persistance d’une crise économique et sociale aux secousses de plus en plus violentes, sur la première dimension, la droite feint d’ignorer que la sécurité sociale est tout aussi essentielle que la sécurité des biens et contribue à la détérioration progressive d’un tissu social déjà fragilisé par la "nouvelle insécurité sociale" (Robert Castel) – individualisation, déclin des collectifs protecteurs, précarisation des relations de travail, prolifération des nouveaux risques…

En ignorant, avant 2002, le développement rapide d’un sentiment d’insécurité, la gauche a commis une erreur fondamentale. Il est en effet tout aussi nécessaire aujourd’hui de déconstruire méthodologiquement les apories du discours sécuritaire officiel – mode de production des chiffres de la police, invraisemblances des annonces sur l’âge et le degré de violence des jeunes délinquants –, que d’intégrer dans son projet l’existence de ce sentiment d’insécurité qui, à travers ses effets sociaux et politiques, structure en partie l’expérience sociale de chaque individu.

Abandonner la position – méprisante – de déni de la réalité des préoccupations sécuritaires, accepter enfin de répondre à ces préoccupations, ne doit cependant pas signifier pour la gauche être à la remorque des politiques de stigmatisation et de clivage social conduites par la droite et inspirées par l’extrême droite. Le Parti socialiste doit au contraire porter aujourd’hui un programme qui fasse du renforcement du lien social son objectif premier. Un tel programme demande que soit entièrement repensée la double dimension de la sécurité.

Les protections civiles sont indispensables mais elles ne sauraient seules prévenir la dégradation de la situation des individus : si les agressions physiques touchent l’ensemble des personnes et ne peuvent être tolérées, il n’en reste pas moins que connaître une agression contre ses biens nécessite au préalable de posséder quelques biens de valeur.

Renforcer les protections sociales, à l’inverse, c’est non seulement prévenir la dégradation de la situation des individus face aux difficultés économiques et sociales, mais c’est aussi lutter contre une insécurité physique nourrie par les situations de désespérance sociale. Les politiques de dissociation sociale conduite depuis plus de huit ans par la droite sont à l’origine de l’insécurité civile aussi bien que de l’insécurité sociale.

La gauche doit aujourd’hui porter deux combats. Consciente de la légitimité de la recherche de sécurité, elle ne doit pas abandonner les protections civiles, mais en luttant chaque jour pour le respect de l’Etat de droit, droit pour chacun à la sécurité de sa personne et de ses biens, mais également droit pour chacun de se promener dans la rue sans être sans cesse contrôlé au faciès, mais également droit pour chacun au respect de son intégrité physique et psychologique lors des contrôles de police comme lors des gardes à vue. Le deuxième combat est tout aussi essentiel : consolider les protections sociales existantes et développer des protections sociales inédites, avec la création notamment d’un "bouclier social", afin de soutenir chaque citoyen face aux difficultés économiques et sociales et de redonner au mot solidarité la place centrale qui lui appartient au panthéon des valeurs de la gauche