Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution sur la Coupe du monde de football et de tout ce dont on ne parlera pas du 11 juin au 11 juillet. 

 

11 juin – 11 juillet 2010 : "Talons contre crampons" proclament les affiches du film Sex and the city 2 sur les murs des villes françaises. 

11 juin – 11 juillet 2010 : Coupe du monde de football en Afrique du sud, donc. Puisque c’est le sujet du moment, parlons-en. 

 

Parlons de la Coupe du monde en Afrique du sud puisque la grande messe du ballon rond permettra pendant un mois d’avoir les yeux rivés sur un pays, les oreilles remplies du bourdonnement de ses trompettes, et de ne pas voir, de ne pas entendre les souffrances et les déchirures de la société sud-africaine post-apartheid. Certes, les joueurs français comme les joueurs danois ont visité le township de Knysna. Certes, cette Coupe du monde peut d’une certaine manière être appréhendée comme une parenthèse heureuse dans la vie sud-africaine. Certes, on peut espérer qu’une nouvelle fois le miracle de l’union nationale par le sport se reproduira, et que Clint pourra tourner la version ballon rond de son hommage à l’ovalie bafana bafana. En relisant Disgrâce de John Maxwell Coetzee, on ne peut toutefois s’empêcher de penser au cours de la vie qui reprendra dans moins d’un mois. Aux appréhensions et aux rancœurs mutuelles. A la violence latente, crue et froide. A la misère des bidonvilles que l’on ne montrera pas à des touristes fascinés par la beauté de stades gigantesques. 

 

Parlons de la Coupe du monde en Afrique du sud puisque le Premier ministre français a profité, comme attendu, de l’entrée des Bleus dans la compétition pour réaffirmer dès le lendemain – le 12 juin donc (il aurait pu être dangereux d’attendre plus longtemps, la confiance dans les chances françaises restant nationalement limitée) – son intention de toucher au "symbole" de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans, ainsi que pour annoncer sa volonté de réduire de 45 milliards d’euros les dépenses publiques. Bon exercice de communication. Une nouvelle version du "travailler plus pour gagner plus" sarkozien en quelque sorte : "amusez-vous plus pour ne pas voir que vous toucherez moins". Dans un pays où les acquis sociaux sont désormais dénoncés comme des tabous et les seniors sans emploi à partir de 55 ans sommés de travailler jusqu’à 65, on ne pouvait en attendre moins de la "majorité populaire". Mais à trop prendre les Français pour des "veaux", l’actuel gouvernement devrait quand même prendre garde. L’explosion sociale – nous ne sommes qu’au mois de juin, et le tour de France n’a pas commencé –, n’est pas loin – même le grand Charles n’a pas échappé à un tel épisode – et elle pourrait se révéler d’une violence extrême, à la lumière de cette injustice sociale qui creuse chaque jour son sillon plus en profondeur au cœur de la société française. 

 

Parlons de la Coupe du monde en Afrique du sud puisqu’on évitera ainsi de parler d’exclusions autres que footballistiques – mais également sur terrain africain –, comme par exemple le remplacement de Jean-Christophe Rufin par Nicolas Normand comme ambassadeur de France à Dakar. De ce remplacement qui illustre la persistance de la diplomatie française parallèle en Afrique – pour ne pas parler de "Françafrique" –, le président sénégalais étant intervenu avec le succès que l’on voit auprès de l’Elysée pour choisir un remplaçant à un ambassadeur visiblement trop critique. Il est vrai que Rufin l’écrivain avait la plume diplomatique féroce, oubliant sans doute que le contenu des télégrammes fuitait malencontreusement parfois lorsqu’il comparait le fait d’accorder une aide financière massive au Sénégal sans que ne soit mise en place en contrepartie aucune réforme de son système politique, au fait de "fournir à un toxicomane la dose qu’il demande, mais qui le conduit un peu plus sûrement vers sa fin". Il est vrai aussi que Robert Bourgi, conseiller officieux au Château, est aussi le conseiller officieux de Karim Wade, fils du président sénégalais, et aurait présenté Nicolas Normand à Wade père et fils dans les locaux de l’ambassade du Sénégal à Paris en 2009. No comment (confidentiel diplomatie). 

 

Mais bon, on peut parler de la Coupe du monde en Afrique du sud et conseiller à Rufin, aux futurs retraités français et aux habitants des townships sud-africains – respectivement privés de poste, de pensions et d’avenir – d’écouter Gainsbourg et Catherine Deneuve – ou la version jazzie de Stacey Kent, qui est aussi vraiment bien : 

 

Mieux vaut n'penser à rien 

Que n'pas penser du tout 

Rien c'est déjà 

Rien c'est déjà beaucoup 

On se souvient de rien 

Et puisqu'on oublie tout 

Rien c'est bien mieux 

Rien c'est bien mieux que tout