Après treize ans de gouvernement et à la veille d’élections qui s’annonçaient difficiles pour Gordon Bown – ce qui fut le cas – quel bilan peut-on tirer de l’expérience New Labour ?
 

Telle est la question que posent Florence Faucher-King et Patrick Le Galès dans un livre qui nous dévoile les dessous d’un projet, le bilan et le fonctionnement d’un parti qui longtemps a fait rêver en Europe. Un gouvernement jeune et dynamique qui semble avoir trouvé la voie d’une gauche moderne ancrée dans le monde économique moderne, un Etat prospère qui affiche des résultats remarquables dans les domaines de l’éducation et de la santé où le Royaume-Uni était bien en deçà de la moyenne européenne, baisse du chômage… un modèle qui fait recette, jusqu’à la crise.

Un livre très intéressant ! Florence Faucher-King et Patrick Le Galès nous aident à comprendre le projet New labour et ses failles, la stratégie politique qui a guidé sa mise en œuvre et la construction d’un modèle qui, guidé par l’obsession du résultat et basé sur une économie de la croissance, n’a pas su rebondir face à la crise. 

En filigrane de ce livre, deux hommes : Tony Blair et Gordon Brown. Deux hommes qui, entre complicité et rivalité, ont créé le New labour et rythmé son histoire pendant les treize ans où le parti a été au gouvernement. Deux hommes dont les origines sociales, l’éducation et le caractère ont forgé l’identité du parti néotravailliste. Tony Blair, politique et médiatique, occupe le devant de la scène jusqu’en 2007 ; Gordon Brown, Chancelier de l’échiquier pendant ces 10 ans, surnommé "M. Prudence" pour sa gestion économique, lui succède ensuite.

Treize ans de gouvernement, treize ans pendant lesquels le Royaume-Uni est passé d’un élan de dynamisme et de nouveauté, à l’essoufflement du parti, du modèle et de la confiance du peuple dans les politiques.
 

Rationalité, modernité, et culte du résultat : le business gouvernement 

Lorsque les travaillistes arrivent au pouvoir, la Grande-Bretagne sort las des années Thatcher et Major, 18 ans de gouvernement conservateur. L’arrivée d’une nouvelle génération à la tête du pays est vue comme le signe d’un élan nouveau. Tony Blair attache une importance capitale à encadrer le vaste mouvement de réforme par un effort de communication pédagogique.

Le premier gouvernement Blair est marqué par le redressement économique orchestré par Gordon Brown avec un objectif majeur : rassurer les investisseurs par un cadre stable. Une des clés fondamentales du succès des travaillistes est en effet leur projet économique solide et convaincant. L’étude s’ouvre par ce modèle qui, l’on s’en aperçoit, structure le projet travailliste.

Car en effet, le New Labour a une obsession : prouver que les travaillistes peuvent réussir dans le domaine économique, domaine dans lequel l’histoire semblait montrer leur manque de crédibilité et qui n’a cessé d’être leur talon d’Achille. L’artisan du succès est incontestablement Gordon Brown, expliquant la place centrale qu’il n’a cessé d’occuper au sein du parti et ce, particulièrement durant les années Blair.

Le second gouvernement Blair, s’appuyant sur des bases économiques et financières solides grâce aux efforts et à la rigueur du premier mandat, s’attaque aux points faibles du Royaume-Uni, la santé et l’éducation principalement, avec un programme d’investissement considérable. L’ouvrage montre bien cependant, que si les résultats sont indéniables voire spectaculaires, le pays ne fait que rattraper son retard par rapport à ses voisins européens.

La troisième phase devait poursuivre la modernisation mais les travaillistes semblent avoir atteint la limite du modèle : la crise est passée par là mais pas seulement. La guerre en Irak (que les auteurs n’ont volontairement pas mis au centre de l’ouvrage pour privilégier le bilan politique et économique) a miné la popularité de Blair qui ne réussit à se faire réélire qu’à grande peine grâce, notamment, à Gordon Brown. L’économie, axe central du projet gouvernemental et de son succès, devient un moteur handicapant en tant de crise, car le New Labour ne fait pas recette dans un contexte sans croissance. Mais surtout, le fonctionnement lui-même des travaillistes s’épuise.

Au centre du modèle néotravailliste, se trouve le culte du résultat et par conséquent des évaluations. C’est l’obsession de tout contrôler, fixer des critères d’évaluation chiffrables et faire des classements pour mettre la pression sur les mauvais élèves qui sont pointés du doigt. Cela est particulièrement visible dans les domaines de l’éducation et de la santé, les deux domaines dans lesquels le Royaume-Uni était nettement en retard sur ses voisins et qui ont été particulièrement au coeur du projet New Labour. Le résultat en est désastreux à la longue, créant un climat oppressant et d’opacité de l’action gouvernementale. Les bureaux d’évaluation se multiplient au point de frôler le ridicule. New Labour ou Big Brother ? Le lecteur est en droit de s’interroger. Clairement, l’opinion publique décroche.
 

Entre l’héritage thatchérien assumé et la volonté de proposer un modèle nouveau, quel bilan pour quel New Labour ?

La victoire de 1997 voit l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération d’hommes politiques, élus à la Chambre des communes au début des années 80. On s’attend à une rupture. Or au fil de ce livre, on se rend compte de l’incroyable continuité –  assumée ! – avec les conservateurs et le gouvernement de Margaret Thatcher. Étonnamment une partie relativement considérable du livre est consacrée à l’étude du programme conservateur et des logiques qui l’ont guidé. A certains moments, le lecteur se surprend même à se demander si Tories et New Labour sont vraiment de deux bords politiques opposés, même si l’Europe reste clairement un point de démarcation radical.

L’introduction annonce que cette étude a vocation à servir de "leçon" au parti socialiste français. Mais le New Labour est-il réellement un parti de gauche ? Mettant volontairement de côté les syndicats et la société civile pour privilégier les think tanks proches du parti et les communicants, le modèle travailliste est fait pour les "gagnants" laissant sur la route les populations les plus en difficulté qui sont davantage marginalisées.

Au bout de treize ans de gouvernement, nous étions face à un gouvernement sclérosé, victime de son propre modèle. Au fond, les néotravaillistes ont créé un Etat centralisé, malgré les tentatives de décentralisation du pouvoir en Ecosse et au Pays de Galles, qui met de côté les syndicats et les parties civiles et repose principalement sur la communication et le contrôle des médias, un gouvernement opaque déchiré par les rivalités internes entre ses deux leaders, Blair et Brown. Mais c’est surtout la classe politique et la confiance des citoyens qui ressortent extrêmement affaiblies de l’expérience néotravailliste. En treize ans, "Cool Britannia" est devenue "Cruel Britannia"
 

* A lire également sur nonfiction.fr :

- Deux recensions de la première édition de cet ouvrage (1997), par Henri Verdier et Eloïse Cohen-de Timary.

- "Et si les libdems rejoignaient finalement le Labour ?", par Jérôme Tournadre-Plancq.