Une étude politique concise, claire et précise de l’histoire de la Pologne, depuis la fin du Xe siècle jusqu’à nos jours.

* Cet ouvrage est publié avec l'aide du Centre national du livre.

 

L’adhésion de la Pologne à l’Union européenne a suscité un regain d’intérêt pour l’histoire de ce pays, trop souvent négligée en France, à l’exception de ce qui concerne la transition postcommuniste. L’ouvrage dirigé par François Bafoil, La Pologne, paru en 2007 et qui analyse la place du pays dans l’Europe d’aujourd’hui, celui de Daniel Beauvois, La Pologne : histoire, société, culture, publié en 2005, en témoignent. L’Histoire de la Pologne dont il est question ici contribue donc à combler un certain manque. Certes, tout effort de concision dans la rédaction d’une histoire nationale expose son auteur au reproche d’omettre des aspects importants. Les auteurs de ce livre traduit de l’anglais conviennent d’emblée de cette lacune liée à l’exercice de style imposé par l’éditeur   . Il reste que le récit y gagne en cohérence : en se concentrant sur une histoire essentiellement politique, Jerzy Lukowski et Hubert Zawadski parviennent à décrire et expliquer l’histoire tumultueuse d’une nation longtemps pluriethnique, tantôt puissante en Europe, tantôt soumise aux appétits de ses voisins, sur une période de dix siècles. L’originalité de la démarche réside dans le choix de distinguer deux Pologne, non pas territorialement, entre Est et Ouest, mais chronologiquement, entre celle d’avant 1795 et celle de 1918   . La distinction étant faite entre les deux formes d’État, les liens qui les unissent n’en apparaissent pas moins au cours du récit. Ce parti-pris aide ainsi le lecteur à comprendre l’importance que les Polonais ont toujours attaché à leur histoire.

La Pologne des Piast et des Jagellon : la nation polonaise entre mythe et histoire

De manière classique, cette Histoire de la Pologne commence avec le baptême du prince des Polanes, Mieszko, en 966, qui marque du sceau du catholicisme l’identité de ce royaume naissant autour de ce que l’on appellera au XIIIe siècle la "Grande Pologne" (Wielkopolska). À la dynastie des Piast succède, en 1386, celle des Jagellon, du nom de Jogaila (Jagiello en polonais), grand-duc païen de Lituanie converti au catholicisme et fondateur de l’union polono-lituanienne. Comme ne manquent pas de le rappeler les auteurs, on touche avec la naissance de ces deux dynasties aux mythes fondateurs de la Pologne, utilisés par les régimes successifs, dont le régime communiste à partir de 1945, qui favorise alors la comparaison entre la nouvelle Pologne et celle des Piast, aux "frontières" similaires   . Précisons qu’en 1945, l’idée n’est pas nouvelle. Autour de la Première Guerre mondiale, les nationaux-démocrates de Roman Dmowski marquaient leur préférence pour un État polonais centré sur les anciens territoires "Piast" pendant que leurs adversaires, les partisans de Jozef Pilsudski, souhaitaient une nouvelle fédération polono-lituanienne, un retour de la Pologne des Jagellon.
Mais Jerzy Lukowski et Hubert Zawadski restent éloignés de toute récupération idéologique destinée à définir l’identité nationale polonaise. Ce qui apparaît de cette description parfois complexe des premiers siècles de la Pologne, ce sont surtout les faiblesses du royaume soumis à une instabilité chronique du pouvoir liée au manque de règles dans la succession du souverain. De fait, les principaux personnages royaux   ne sont pas héroïsés mais confrontés à leurs difficultés, en particulier aux influences étrangères. Colonisation allemande et agression mongole pour le XIIIe siècle, difficultés croissantes et durables face à la fois aux chevaliers Teutoniques   et à l’essor de la principauté de Moscou aux XIVe et XVe siècles, augurent des malheurs futurs de la Pologne située entre ces deux puissants voisins : Prusse, puis Allemagne et Russie.

Il reste que la Pologne est montrée, du fait de son union politique avec la Lituanie, comme une "puissance" européenne, même si les difficultés militaires et politiques des souverains les contraignent à accorder un poids croissant à la petite et moyenne noblesse (la szlachta) et aux "magnats" qui composent la grande noblesse. C’est justement ce qui constitue l’originalité du pays au XVIe siècle, alors en plein essor culturel et dans lequel les libertés politiques s’étendent en même temps qu’une liberté de conscience regardée comme étant la norme. Catholiques, protestants, orthodoxes et juifs se côtoient sans trop de heurts dans cette période qui apparaît comme le début d’un âge d’or   .

De l’ "âge d’or" aux partages successifs

Dès le XVIIIe siècle, un proverbe indiquait : "La Pologne ne tient que par son anarchie". Dans la nouvelle union que constitue la République des Deux Nations (polonaise et lituanienne), en 1572, la noblesse impose que le roi ne puisse désigner son successeur de son vivant (vivente rege). C’est l’époque de l’élection d’Henri, duc d’Anjou, en 1573, qui abandonne rapidement son trône pour devenir Henri III en France. Autre facteur susceptible d’aggraver l’ "anarchie" polonaise, le liberum veto, depuis 1652, impose à la Diète la règle de l’unanimité et non plus celle de la majorité. Il est donc possible à n’importe quel noble de rompre la Diète.
C’est justement sur les causes et les circonstances de cette anarchie que s’attardent les auteurs en décrivant le rôle politique et économique croissant des seigneurs au XVIIe siècle. La montée en puissance des grandes familles est montrée, ainsi que leur implication dans les jeux d’intérêts avec les voisins, comme les Czartoryski, liés à une Russie qui domine la région à partir du XVIIIe siècle. L’accent est mis sur les difficultés fatales de la Pologne : instabilité du pouvoir, ravages de la Guerre de Trente Ans, jeu des puissances pour qui l’ "anarchie nobiliaire" est une aubaine. Dans ce résumé méticuleux, le ton est celui de la sobre description   .

L’engrenage des difficultés de la Pologne mais surtout, il faut le rappeler, l’appétit des puissances voisines alors en pleine extension (la Prusse de Frédéric II et la Russie de Catherine II) conduisent aux partages de 1772, 1793 et 1795 qui mettent progressivement fin à l’existence politique du pays. Le récit en est très descriptif mais il s’enrichit d’une prise en compte des mouvements politiques et philosophiques de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles. Le contexte intellectuel des Lumières est peu évoqué   mais le rôle de Tadeusz Kosciuszko, la portée de la Constitution du 3 mai 1791 annoncent l’activité patriotique dans la Pologne disparue du siècle qui s’annonce.

Les deux chapitres consacrés à la Pologne disparue d’après 1795 montrent que la nation reste l’objet du jeu international dans les mains de souverains   qui l’utilisent pour leur propre politique européenne. Mais l’intérêt principal de ces chapitres est la restitution des mouvements nationaux polonais, des motivations de ces insurrections "romantiques" vouées à l’échec   et des transformations politiques, économiques, sociales et culturelles. En particulier, les mouvements nationaux (ukrainien, juif) et politiques (national-démocrate, socialiste) sont très clairement décrits.

Indépendances et sujétions du XXe siècle

Le lecteur, certainement ici en terrain plus connu, profitera d’une synthèse utile de la recherche anglo-saxonne sur la Pologne contemporaine. Dans ces trois chapitres qui représentent quantitativement la partie la plus importante du livre, les auteurs abordent dans la plus grande neutralité les circonstances de la renaissance d’un État polonais, celui de la Deuxième République, issu des Empires centraux. Après un rappel de la nécessité pour les Polonais récemment opposés dans le conflit mondial de s’unir pour exister, la fragilité du nouvel État, les crises politiques, les difficultés économiques, les erreurs de politique étrangère sont résumées. Le rôle de Jozef Pilsudski, chef de l’État en 1918, honni sous le régime communiste et très avantageusement réhabilité depuis 1989 en Pologne, est esquissé ici dans le ton de la nouvelle historiographie. Son "rôle providentiel"   est souligné aux moments cruciaux de la recréation de l’État et de la guerre polono-bolchevique mais l’action répressive de son "gouvernement autoritaire laïc"   est aussi mentionnée.

La Pologne dans la Deuxième Guerre mondiale est évoquée avec le même souci d’objectivité, sans intention de laisser au lecteur l’impression d’une Pologne "victime et martyre" à laquelle nous sommes habitués. La participation militaire à l’effort de guerre, la résistance mais aussi les souffrances endurées sont expliquées. Souffrances infligées par les Soviétiques (Katyn, passivité lors de l’insurrection de Varsovie) et surtout par l’Allemagne nazie, à tel point qu’ "un Pétain ou un Quisling polonais n’étaient absolument pas envisageables"   . La question de la Shoah, abordée sans passion, prend en compte l’historiographie la plus récente. Le débat sur les attitudes diverses des Polonais non juifs dans cette question   , n’est pas éludé   pendant que sont également évoquées l’action du conseil Zegota, organisé par la résistance polonaise pour venir en aide aux Juifs et celle, plus connue, de Jan Karski. Les faits ne sont que cités mais la qualité pédagogique du récit fait comprendre au lecteur la situation du pays dans ses heures les plus tragiques, ainsi que les relations des Polonais entre eux et avec leurs voisins. Ainsi, par exemple, comprend-on mieux les conséquences de la guerre sur les Polonais et les Ukrainiens, lancés dans une quasi guerre-civile en 1944   et du même coup, la fin du caractère multiethnique du pays.

Cette approche sereine, équilibrée et quelque peu distanciée est également de mise pour le traitement de la période 1945-1989, celle du communisme. Le processus de communisation et l’installation d’un système policier répressif y sont décrits, de même que les soubresauts de la période : révolte ouvrière de 1956, crise étudiante de 1968, grèves des années 1970 et 1980, jusqu’à la victoire de Solidarnosc. Les aspects culturels sont particulièrement développés, qu’il s’agisse de l’imposition du réalisme socialiste ou de la création contestataire, de l’influence occidentale via les ondes de Free Europe ou encore de l’action des émigrés réfugiés en France, à travers la revue Kultura   .

Le dernier chapitre est rédigé en guise de conclusion. Il décrit brièvement l’évolution politique du pays depuis 1989 et se termine par les résultats des élections de 2005. Entretemps, la Pologne a adhéré à l’OTAN et à l’Union européenne. Pour les auteurs du livre, c’est un signe qui ne trompe pas d’un retour de la Pologne à sa position d’ "acteur majeur de la politique européenne" antérieure à 1795, mais "en paix avec tous ses voisins"   et en harmonie avec elle-même.
Ce livre laissera peut-être sur sa faim le lecteur déjà bon connaisseur de l’histoire de la Pologne, bien qu’il soit toujours pratique d’avoir à sa disposition un tel ouvrage de synthèse. Mais par cette étude à la fois claire et très érudite, agrémentée d’annexes très utiles (cartes, chronologies et abondante bibliographie en langue anglaise), nous disposons d’un panorama complet qui nous épargne les sempiternels clichés sur l’histoire tumultueuse de notre partenaire européen