Le premier tome de cette histoire visuelle de la typographie vue à travers une collection particulière de spécimens typographiques illustre l'essor industriel et l'inventivité esthétique de l'imprimerie entre le XVIIe siècle et le début du XXe siècle.

Les amateurs de typographie seront sans doute surpris de voir Taschen, qui n’a jamais caché sa curiosité pour le graphisme, s’aventurer dans ce champ plus restreint de la typographie et ce, de façon aussi spectaculaire. En effet, deux tomes d’une ambitieuse Visual History of Typefaces & Graphic Styles paraissent dans un format séduisant et accompagnés d’une iconographie impressionnante.

Ces amateurs, toujours eux, ont certainement dans leur bibliothèque l’exemplaire Typo, livre-encyclopédie-annuaire de Friedl, Ott et Stein publié en 1998 qui marqua l’arrivée du sujet typographique dans l’édition grand-public. Édité par l’Allemand Könemann (éditeur de livres pratiques) à prix modique, cet ovni trilingue a trouvé, à l’époque, son public et a épuisé en deux années son important tirage. Aujourd’hui introuvable, Typo avait sans doute besoin d’un petit frère contemporain, né avec les années 2010.
 
L’initiative de Taschen arrive donc à point nommé

Le premier tome, dont nous allons parler ici, se concentre sur une longue période allant de 1628 à 1900. Le mystère de ce découpage ne doit rien à une quelconque logique historique. En effet, on découvre dans les textes qui introduisent le cœur du livre (c’est-à-dire, les images) que cette "Histoire" est vue par le prisme d’une collection privée, construite par Jan Tholenaar.

Ce dernier, que son patronyme désigne comme Hollandais - ce qui n’est à aucun moment écrit dans le texte et qui, au vue de la sélection des pièces, a son importance - est collectionneur de "spécimens de caractères" qui sont ces petits documents fabriqués par les fonderies de caractères pour promouvoir leurs créations. Et de tels documents existent depuis le XVIIe siècle, période à partir de laquelle l’imprimerie connaît un essor fabuleux. C’est à l’imprimerie Vaticane que semblerait revenir l’invention de ces spécimens, en 1628, qui prennent la forme d’un livret proposant en italien, latin et grec des exemples des caractères en usage dans l’atelier pontifical. En italique ou en romain, en gros corps et en plus petits, "L’indice de caratteri" propose des mises en pages qui mettent en scènes les différents alphabets.

On ignore le but de la publication d’un tel document, la visée commerciale de l’imprimerie vaticane n’étant pas évidente, mais on peut imaginer que l’objet avait pour fonction de constituer l’inventaire d’un stock qui, à l’époque, comptait également de nombreux alphabets arabes.

Il faudra au lecteur attentif échafauder fréquemment de telles suppositions tant le texte (publié en trois langues) souffre de nombreuses lacunes et imprécisions. En effet, que ce soient la préface, l’introduction ou l’essai écrit par le collectionneur lui-même, aucun texte n’approche de façon rigoureuse la question de l’évolution des formes typographiques. Tholenaar, dont la passion pour ses "spécimens" est enthousiasmante, ne parvient pas à prendre le recul nécessaire pour nous raconter l’histoire du "spécimen" de caractère mais nous abreuve, sur 15 pages d’anecdotes sur la façon dont il démarra sa collection et les rencontres que sa quête lui fit faire.


Après tout, la faiblesse du texte peut-être excusée par la clarté du projet éditorial que porte son titre, A Visual History of Typefaces and Graphic styles.
Passées donc les 70 premières pages de textes qui semblent parfois être écrites davantage en esperanto qu’en français, nous rentrons dans ce voyage visuel dont le classement, chronologique a, au moins, l’avantage de la simplicité.

Les 300 pages suivantes explorent les trésors de la collection Tholenaar

L’aventure passionnante qui se révèle à nos yeux est celle d’une épopée tant industrielle qu’artistique. On est surpris par l’extraordinaire maîtrise des alphabets produits aux XVII et XVIIIe siècles, avec des spécimens de Bodoni (1788) mais surtout des fonderies flamandes telles que celles de Bernard Dominique Bricx (1787) ou d’Enschedé (1748).

Ces documents, d’apparence austère, magnifient le travail de gravure des caractères, travail alors effectué manuellement et dont peu de ces artisans sont passés à la postérité. En effet, comme le note justement Cees W. de Jong dans sa préface, jusqu’au début du XXe siècle, seul était connu le nom d’une poignée de typographes (dessinateurs d’alphabets) tels que Garamond, Bodoni ou Fournier. Ainsi, les alphabets mis en valeur et montés sur un piédestal de papier ornementé sont des œuvres qui restent, la plupart du temps, anonymes.

Les productions du XIXe siècle sont néanmoins prépondérantes dans cette collection (contrairement à ceux des siècles précédents qui n’occupent qu’une dizaine de pages), ils soulignent la véritable explosion de l’imprimerie à cette époque.

Cette explosion commerciale semble aller de pair avec une expansion des frontières des formes… et du bon goût. Le XIXe siècle paraît avoir été le siècle de la "vignette", image gravées sur plomb qui, incluse dans la maquette, avait pour but d’enrichir l’aspect visuel de celle-ci. Bordures "brodées", animaux en tout genre, usines, locomotives… mais aussi en-têtes spectaculaires pour des lettres, factures ou chèques… la production imprimée de l’époque renoue avec les manuscrits enluminés du Moyen-Age.

En outre, ce livre nous montre que des styles se répandaient à travers le monde occidental et de véritables modes typographiques s’imposaient de l’Allemagne au Portugal, des États-Unis à la France. Cette "mondialisation" des formes typographiques et de ces ornementations qui "contaminent" tous les continents laisse néanmoins apparaître, parfois, quelques particularismes locaux, que le lecteur attentif tentera, seul, de déceler.

À l’aube de 1900, avec le développement de la lithographie, on note d’une part une plus grande liberté et une adaptation claire à l’art nouveau du moment et, d’autre part, l’apparition d’alphabets qui annoncent l’émergence de mouvements d’avant-garde qui seront au centre du deuxième tome de cette passionnante "histoire visuelle"