De 1860 à nos jours, Sylvie Schweizer retrace les grandes étapes ayant permis aux femmes d'accéder à toutes les sphères professionnelles... ou presque.
 

A la lecture de la première partie du titre, on pouvait s’attendre à un ouvrage retraçant le parcours de certaines femmes ayant pu obtenir des fonctions de pouvoir. Il s’agit en fait du parcours des femmes pour accéder aux professions dites masculines en Europe de l’Ouest de 1860 à nos jours.

Sylvie Schweitzer, historienne, professeure d’histoire contemporaine, s’intéresse à l’évolution des métiers à partir de la révolution industrielle. Elle retrace de manière exhaustive et détaillée cette évolution progressive qui a permis aux femmes d’exercer des métiers à forte autorité morale, technique, et scientifique.

Sylvie Schweitzer montre que ces changements ont été lents à s'imposer et qu'ils ont été communs à tous les pays d’Europe de l’Ouest; elle parle d’une "symétrie des évolutions européennes pour la place des femmes dans les espaces de pouvoir".

L’histoire de l’évolution professionnelle des femmes est présentée de manière chronologique. Elle s’appuie sur un découpage en trois phases (trois chapitres) permettant de montrer que cette évolution est liée aux mutations économiques et sociales. Le dernier chapitre intitulé " les stocks du prêt-à-penser " détaille des idées reçues et les mesures prises pour que la situation change.
Cette approche a priori un peu scolaire permet d’avoir une vision claire des évolutions historiques mais rend peu visible certaines problématiques abordées.



Une évolution liée aux mutations économiques et sociales


Pendant la période allant du début de la révolution industrielle à l'après Première guerre mondiale (1860-1920), la France est profondément transformée, les avancées vers l'égalité professionnelle sont significatives.

Des établissements secondaires publics non mixtes sont ouverts et rencontrent un grand succès partout en Europe occidentale. Ils permettent aux filles de la bourgeoisie de s'instruire même si l'enseignement dispensé correspond à des programmes allégés. Ces programmes sont censés être adaptés aux filles, à titre d’exemple les sciences mathématiques et physiques jugées trop ambitieuses pour les filles sont remplacées par de l'arithmétique. Les premières études et professions supérieures qui s'ouvrent aux femmes sont le droit et la médecine.


La deuxième période envisagée, de l'après guerre à l'après "mai 1968" (de 1920 à 1970), représente une phase d'évolutions importantes. En effet, dans l'immédiate après guerre, les femmes sont amenées à remplacer les hommes morts au combat. Elles trouvent leur place dans de nouveaux métiers, mais elles sont la plupart du temps embauchées dans des fonctions subalternes, des fonctions de support et non de décision. 
Les mentalités évoluent progressivement, les programmes des écoles de filles sont alignés sur ceux des garçons et certaines grandes écoles ouvrent leurs portes aux filles (l'école polytechnique féminine ouvre en 1925).


La dernière phase étudiée concerne la période postérieure aux évènements de mai 1968. Ces évènements, marqués par une forte contestation, changent fondamentalement le regard sur la "nature des femmes". Les femmes ayant obtenu le droit à la contraception (1967) et le droit à l'avortement (1974) veulent jouer un nouveau rôle dans les sphères publiques et privées, ce qui entraîne une accélération de la féminisation des professions. La place des hommes et des femmes dans la société est modifiée.
 
Des évolutions rendues possibles par les actions des féministes

Le combat féministe, visant à l'amélioration du statut des femmes dans les sociétés, n'est pas seulement une lutte de femmes. Tout au long de l'ouvrage Sylvie Schweitzer rappelle que les avancées visant à obtenir l'égalité professionnelle ont été possibles grâce à des actions personnelles et collectives, nationales et internationales, de femmes et d'hommes.

Sylvie Schweitzer établit une classification justifiée par le moment de l'arrivée des femmes dans l'action : pour chaque avancée il y a eu des pionnières, des femmes du deuxième cercle, arrivées après et celles du troisième cercle arrivées encore après. Celles qu'elle appelle les "pionnières" sont les femmes qui ont commencé le combat, elles sont les premières à s'être mobilisées. Elles mettent en avant leur volonté féministe. Elles sont des précurseurs, ce qui entraîne à leur encontre des propos hostiles et dévalorisants. Elles sont particulièrement actives, à l'instar des femmes dites du "deuxième cercle" qui sont plus nombreuses et plus discrètes que les pionnières. Elles jouissent des avancées qui ont pu être obtenues et sont les moins revendicatives. Les femmes du "troisième cercle" sont beaucoup plus nombreuses et revendiquent la stricte égalité avec les hommes.


Ces féministes se sont largement appuyées sur les réseaux et les groupes de pression. Ces réseaux se sont organisés très tôt. Ainsi, dès 1882 est créée en France la Ligue française du droit des femmes. Les mêmes organisations se développent un peu partout en Europe de l'ouest, et notamment en Belgique où la Ligue belge des droits des femmes est fondée en 1892. Des associations corporatistes, chargées de veiller à la défense des intérêts professionnels se sont également développées.
Ces mouvements s'amplifient après la première guerre mondiale et prennent appui sur des organisations internationales comme la Société des Nations (créée en 1919) au sein de laquelle est crée en 1930 un Comité consultatif des femmes. Les féministes peuvent également compter sur le soutien des loges maçonniques, dans lesquelles elles entrent à la fin du XIXe siècle. 


Après la Seconde guerre mondiale est constitué, à l'ONU, un Comité pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes. De plus, des comités sont créés au sein du Parlement européen (notamment la Commission du droit des femmes) ainsi qu'au Conseil de l'Europe (notamment le Comité pour l'égalité entre les femmes et les hommes, au sein duquel les principes de la discrimination positive ont été élaborés). Ces aspects, particulièrement intéressants, auraient pu être traités dans un chapitre séparé, cela aurait permis une meilleure compréhension des actions engagées.


Les femmes ont évidemment joué un rôle important mais elles ont été largement soutenues par des hommes féministes. Cet élément seulement mentionné aurait mérité d'être davantage développé tant il est essentiel, mal connu et souvent oublié. Pourtant comment un combat vers l'égalité entre les sexes aurait-il pu avancer avec le soutien d'un seul sexe ?

Une évolution ayant engendré une égalité réelle ?

Réussissant à dépasser les préjugés, les actions menées en vue d'obtenir une réelle égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ont été essentielles et ont permis aux femmes d'avoir accès à de nouveaux métiers. Les femmes ne sont plus seulement cantonnées aux métiers pour lesquels elles ont des "prédispositions" (l'éducation, le social). 
Elles peuvent désormais prétendre aux métiers anciennement masculins et ne se privent pas de ce droit. Ainsi, par exemple, il est intéressant de constater que depuis une dizaine d'années, les femmes sont majoritaires au concours d’entrée de l’école des commissaires de police.


Pourtant des inégalités de fait demeurent. En effet, aujourd’hui, la part des femmes qui atteignent des positions dominantes ou des mandats politiques reste très faible. Pour essayer de remédier à ces "niches masculines", la plupart des pays européens ont mis en place des quotas en faveur des femmes. La France a été le premier pays au monde à adopter une loi imposant aux partis politiques la parité des candidatures des femmes et des hommes à certaines élections. Ces lois organisant une discrimination positive permettent aux femmes d'accéder à des fonctions dont l'accès leur était rendu très difficile. Il est étonnant de constater que la "nature des femmes" qui a longtemps été un argument pour écarter les femmes de certaines fonctions, est désormais utilisée pour les promouvoir. Cela révèle une transformation profonde de la société et des mœurs.
Au regard de la vie politique française des dernières décennies, ces mesures ont permis de faire une place plus grande aux femmes politiques mais n’ont pas encore engendré une réelle égalité. Il faudrait peut être aller plus loin et interdire les listes qui ne respectent pas la parité plutôt que de les sanctionner financièrement puisque les partis préfèrent payer les amendes.


D'autre part, l'égalité réelle entre les femmes et les hommes implique que les femmes aient la possibilité d'exercer des métiers dits masculins, mais aussi que les hommes puissent entrer dans les sphères classiquement dites féminines. Ainsi comment peut-on appeler un homme qui exerce la fonction de sage femme ? Certains noms de professions ont été féminisés, il faudrait en masculiniser d'autres. De plus, l’égalité réelle impose une égale répartition des tâches dans l'espace privé. Sylvie Schweitzer, particulièrement optimiste, considère que l’égale répartition des tâches domestiques constitue la dernière étape de la mutation sociale ; étape qui s’amorce aujourd’hui (en 2009, 80 % des taches domestiques étaient encore réalisées par les femmes).
 
Sylvie Schweitzer propose une étude intéressante, illustrée par de nombreux exemples permettant d’avoir une vision claire de l’évolution analysée. Mais bien qu’il soit évident que des avancées importantes ont été faites, permettant aux femmes de s'instruire et d'investir le marché du travail, les inégalités professionnelles persistent entre les femmes et les hommes.
On peut d’ailleurs regretter que Sylvie Schweitzer n'ait pas choisi de développer la question de l’inégalité salariale qui est aujourd’hui l’une des barrières majeures à l’égalité professionnelle.